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21/03/2022 | FRANCE | N°439835

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 21 mars 2022, 439835


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2000496 du 30 mars 2020, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente du tribunal administratif de Nancy a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par la commune de Jarny.

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nancy le 19 février 2020, et un mémoire en réplique, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 janvier 2022, la commun

e de Jarny demande :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir de la décision imp...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2000496 du 30 mars 2020, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente du tribunal administratif de Nancy a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par la commune de Jarny.

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nancy le 19 février 2020, et un mémoire en réplique, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 5 janvier 2022, la commune de Jarny demande :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir de la décision implicite résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande d'abrogation du décret n° 2005-918 du 2 août 2005 portant approbation de la directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 95-115 du 4 février 2015 ;

- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;

- l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 ;

- l'ordonnance n° 2020-745 du 17 juin 2020 ;

- la décision n° 439835 du 5 août 2020 par laquelle le Conseil d'Etat n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Jarny ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Jarny a saisi le Premier ministre d'une demande tendant à l'abrogation du décret du 2 août 2005 portant approbation de la directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé à sa demande. Eu égard à l'argumentation soulevée, ses conclusions doivent être regardées comme tendant à l'annulation du refus d'abroger le décret contesté en tant qu'il approuve les orientations de la directive territoriale d'aménagement relatives à la constructibilité dans le bassin ferrifère.

Sur le cadre juridique applicable :

2. Lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.

3. Les directives territoriales d'aménagement ont été instaurées par la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire dont l'article 4 a modifié la rédaction de l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme à cet effet. L'article 13 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement les a remplacées par les directives territoriales d'aménagement et de développement durables, introduites aux articles L. 113-1 et suivants du code de l'urbanisme, désormais repris aux articles L. 102-4 et suivants du même code. Toutefois, en vertu du III de cet article 13, les directives territoriales d'aménagement antérieures, adoptées avant la publication de la loi du 12 juillet 2010, ont conservé les effets que leur attachait l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure à cette loi, sauf à ce qu'elles soient modifiées pour leur appliquer les dispositions relatives aux directives territoriales d'aménagement et de développement durables ou qu'elles soient supprimées par décret en Conseil d'Etat.

4. Les dispositions transitoires du III de l'article 13 de la loi du 12 juillet 2010 ont été codifiées aux articles L. 172-1 et suivants du code de l'urbanisme par l'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme, le 1° du IX de l'article 10 de la loi procédant à leur abrogation de la loi du 12 juillet 2010. Aux termes de l'article L. 172-1 du code de l'urbanisme : " Les directives territoriales d'aménagement approuvées avant le 13 juillet 2010 restent en vigueur. / Elles sont soumises aux dispositions des articles L. 172-2 à L. 172-5. " Les dispositions des articles L. 172-2 à L. 172-5 du même code sont respectivement relatives aux effets des directives territoriales d'aménagement et à leurs modalités d'adaptation, de modification et de suppression. Si les dispositions de l'article L. 172-2 prévoyaient que : " Les directives territoriales d'aménagement conservent les effets suivants : / 1° Les schémas de cohérence territoriale sont compatibles avec les directives territoriales d'aménagement ou, en l'absence de ces documents, avec les dispositions particulières au littoral et aux zones de montagne prévues aux chapitres Ier et II du titre II du présent livre. Il en va de même, en l'absence de schéma de cohérence territoriale, pour les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu et les cartes communales ; / 2° Les dispositions des directives territoriales d'aménagement qui précisent les modalités d'application des dispositions particulières au littoral et aux zones de montagne prévues aux chapitres Ier et II du titre II du présent livre s'appliquent aux personnes et opérations qui y sont mentionnées ", elles ont été modifiées par l'article 1er de l'ordonnance du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicable aux documents d'urbanisme qui a supprimé les deux premiers alinéas de l'article, faisant ainsi disparaître, à compter de l'entrée en vigueur de cette modification le 1er avril 2021, l'exigence de compatibilité des schémas de cohérence territoriale, ainsi que le cas échéant des plans locaux d'urbanisme, les documents en tenant lieu et les cartes communales, avec les directives territoriales d'aménagement.

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'à la date de la présente décision la légalité des directives territoriales d'aménagement approuvées avant le 13 juillet 2010 et encore en vigueur doit être appréciée au regard des dispositions des articles L. 172-1 à L. 172-5 du code de l'urbanisme dans leur rédaction actuellement en vigueur, mais aussi au regard des dispositions qui étaient applicables aux directives territoriales d'aménagement avant l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010 et qui sont demeurées en vigueur. A cet égard, l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 12 juillet 2010, disposait que : " Des directives territoriales d'aménagement peuvent fixer, sur certaines parties du territoire, les orientations fondamentales de l'Etat en matière d'aménagement et d'équilibre entre les perspectives de développement, de protection et de mise en valeur des territoires. Elles fixent les principaux objectifs de l'Etat en matière de localisation des grandes infrastructures de transport et des grands équipements, ainsi qu'en matière de préservation des espaces naturels, des sites et des paysages. Ces directives peuvent également préciser pour les territoires concernés les modalités d'application des dispositions particulières aux zones de montagne et au littoral figurant aux chapitres V et VI du titre IV du présent livre, adaptées aux particularités géographiques locales. / Les directives territoriales d'aménagement sont élaborées sous la responsabilité de l'Etat, à son initiative ou, le cas échéant, sur la demande d'une région, après consultation du conseil économique et social régional. / (...) ". En vertu des dispositions de l'article L. 121-1 du même code dans sa rédaction applicable à la même date, les directives territoriales d'aménagement visées à l'article L. 111-1-1 " déterminent les conditions permettant d'assurer : / (...) 3° Une utilisation économe et équilibrée des espaces naturels, urbains, périurbains et ruraux, la maîtrise des besoins de déplacement et de la circulation automobile, la préservation de la qualité de l'air, de l'eau, du sol et du sous-sol, des écosystèmes, des espaces verts, des milieux, sites et paysages naturels ou urbains, la réduction des nuisances sonores, la sauvegarde des ensembles urbains remarquables et du patrimoine bâti, la prévention des risques naturels prévisibles, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature. (...) ".

6. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 562-1 du code de l'environnement : " I.- L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. / II.- Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin : / 1° De délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ; / (...) ".

Sur les conclusions à fin d'annulation :

7. Il ressort des pièces du dossier que la directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains dont la commune de Jarny a demandé l'abrogation a été approuvée par un décret du 2 août 2005. Dans sa troisième partie (partie C) consacrée aux objectifs et orientations de l'Etat, présentée comme normative, elle comporte notamment des orientations relatives à la constructibilité dans le bassin ferrifère destinées à permettre de concilier les nécessités du développement local avec une minimisation des risques liés aux aléas miniers. A cet effet, elle pose un principe d'inconstructibilité pour les constructions nouvelles dans les zones d'aléas pouvant mettre en cause la sécurité des personnes ainsi que dans les zones d'aléas dites " affaissement progressifs ", ce principe pouvant toutefois être adapté par les plans de prévention des risques miniers dans ces dernières zones pour les communes regardées comme " très contraintes ", c'est à dire pour les communes dans lesquelles plus de 50 % de la zone urbanisée est affectée par des zones d'aléas miniers, ainsi que pour les communes à la fois très contraintes dans leur zone urbanisée et dans leur zone d'extension. S'agissant des zones non concernées par ce principe d'inconstructibilité, la directive territoriale d'aménagement prévoit que les plans de prévention des risques définissent les prescriptions techniques que les constructions autorisées devront respectées.

8. En premier lieu, en énonçant de telles orientations, la directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains a défini des " orientations fondamentales " de l'Etat en matière d'aménagement, destinées à déterminer les conditions permettant d'assurer la prévention des risques liés aux aléas miniers sur son périmètre, conformément à ce que prévoient les dispositions des articles L. 111-1-1 et L. 121-1 du code de l'urbanisme précédemment citées. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, les termes contestés de la directive territoriale d'aménagement dont l'abrogation est demandée ne peuvent être regardés comme méconnaissant les dispositions de l'article L. 111-1-1 du code de l'urbanisme.

9. En deuxième lieu, la directive territoriale d'aménagement n'a ni pour objet, ni pour effet de procéder au classement de la commune de Jarny comme commune significativement concernée par les zones d'aléas miniers, ni de fixer les règles d'inconstructibilité découlant de ce classement, lesquels résultent en l'espèce du plan de prévention des risques miniers du secteur de Jarny approuvé par arrêté préfectoral du 26 mars 2013. Par suite, le moyen tiré de ce que les prescriptions en matière de constructibilité qui résulteraient de la directive territoriale d'aménagement seraient disproportionnées et méconnaîtraient le principe de libre administration des collectivités territoriales, dès lors que le territoire de la commune n'a été affecté par aucun mouvement de terrain depuis 1999, ne peut être utilement invoqué à l'encontre du refus d'abrogation attaqué.

10. En troisième lieu, s'il ressort des pièces du dossier, notamment des rapports biennaux de nivellement établis pour la commune de Jarny, que seuls des mouvements de terrains limités et isolés y ont été constatés entre 2013 et 2019 et qu'aucun de ces mouvements n'a été attribué à une origine minière, cette seule circonstance n'est pas de nature à priver d'objet les dispositions de la directive territoriale d'aménagement.

11. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

12. Il résulte de ce qui précède que la commune de Jarny n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la commune de Jarny est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Jarny, au Premier ministre, à la ministre de la transition écologique et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 février 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. B... G..., M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. K... D..., Mme F... J..., M. E... H..., M. A... I..., Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillers d'Etat et Mme Airelle Niepce, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 mars 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Airelle Niepce

La secrétaire :

Signé : Mme L... C...


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 mar. 2022, n° 439835
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Airelle Niepce
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Date de la décision : 21/03/2022
Date de l'import : 10/05/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 439835
Numéro NOR : CETATEXT000045393140 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2022-03-21;439835 ?
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