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30/12/2021 | FRANCE | N°450810

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 30 décembre 2021, 450810


Vu la procédure suivante :

Mme H... G... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Colombes (Hauts-de-Seine) en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires et de déclarer M. S... inéligible sur le fondement de l'article L. 118-4 du code électoral.

Par un jugement n° 2006012 du 18 février 2021, le tribunal administratif a rejeté sa protestation.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mars et 13 s

eptembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H... G... deman...

Vu la procédure suivante :

Mme H... G... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Colombes (Hauts-de-Seine) en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires et de déclarer M. S... inéligible sur le fondement de l'article L. 118-4 du code électoral.

Par un jugement n° 2006012 du 18 février 2021, le tribunal administratif a rejeté sa protestation.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 mars et 13 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H... G... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces opérations électorales ;

3°) de déclarer M. S... inéligible sur le fondement de l'article L. 118-4 du code électoral ;

4°) de rejeter le compte de campagne de M. S... ;

5°) de mettre à la charge de M. S... la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique,

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 décembre 2021, présentée par Mme G....

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires de la commune de Colombes (Hauts-de-Seine), la liste " Pour Colombes les écologistes, la gauche et les citoyens avec Patrick S... ", conduite par M. S..., a obtenu 53,20 % des suffrages exprimés et 10 403 voix, soit 1253 voix de plus que la liste " Notre parti c'est Colombes ", conduite par Mme G..., maire sortante, laquelle a obtenu 46,79 % des suffrages et 9150 voix. Par un jugement du 18 février 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la protestation électorale présentée par Mme G... tendant à l'annulation des opérations électorales. Mme G... relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation des opérations électorales :

2. Aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale. " Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 49 du même code, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 30 juin 2020 : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. / A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ". Aux termes de l'article L. 97 du même code : " Ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros ".

3. En premier lieu, Mme G... soutient que M. O..., qui bénéficie d'une certaine notoriété, a publié sur son compte Facebook le samedi 27 juin 2020, soit la veille du scrutin, une vidéo d'une durée de 41 secondes dans laquelle il appelle à voter contre elle, cette vidéo faisant suite à une vidéo diffusée le 25 juin 2020 dans laquelle il critiquait le bilan de Mme G... et la gestion de la commune par la municipalité sortante. Toutefois, comme l'a relevé le tribunal administratif, le constat d'huissier du 1er juillet 2020 mentionne uniquement que Mme G... a indiqué que cette vidéo avait été diffusée sur le profil de l'intéressé, et n'établit ni la réalité de cette diffusion, ni son éventuelle durée. En tout état de cause, à supposer que la vidéo ait été diffusée après l'expiration du délai mentionné par l'article L. 49 du code électoral, elle ne comportait pas d'élément nouveau de polémique électorale. Dans ces conditions, ce grief doit être écarté. Par ailleurs, la diffusion, sur l'ampleur de laquelle aucune précision n'est apportée, d'un message de soutien à la liste conduite par M. S... posté le 27 juin 2020 sur son compte Facebook par M. B... M..., skieur professionnel, n'a en tout état de cause, eu égard à son contenu qui n'apportait aucun élément nouveau au débat électoral et faisait suite à une manifestation antérieure de son soutien, pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

4. En deuxième lieu, si le tract anonyme intitulé " Disons stop au système G... ! ", qui comporte des éléments pouvant être regardés comme ayant excédé les limites de la polémique électorale et revêtu un caractère diffamatoire à l'égard de Mme G... et de son entourage, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif, a été reçu le 14 mars 2020 et le 27 juin 2020 dans les boîtes aux lettres d'habitants de la commune, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait été largement diffusé. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, la diffusion de ce document, bien que tardive, n'a pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Il en va de même, en tout état de cause, des autres tracts et publications mentionnés par la requérante, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient été largement diffusés, ni qu'il aurait été impossible d'y répliquer en temps utile.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 106 du code électoral : " Quiconque, par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages particuliers, faits en vue d'influencer le vote d'un ou de plusieurs électeurs aura obtenu ou tenté d'obtenir leur suffrage, soit directement, soit par l'entremise d'un tiers, quiconque, par les mêmes moyens, aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs d'entre eux à s'abstenir, sera puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 15 000 euros. " S'il n'appartient pas au juge de l'élection de faire application de cette disposition en ce qu'elle édicte des sanctions pénales, il lui revient, en revanche, de rechercher si des pressions telles que définies par celle-ci ont été exercées sur les électeurs et ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin.

6. Il résulte de l'instruction que trois rassemblements autour de barbecues ont été organisés le dimanche 28 juin 2020, jour du scrutin organisé pour le second tour des élections municipales à Colombes, par l'association " Jeun'espoirs de Colombes ", rue Jules Michelet, rue du Président Salvador Allende, et rue Buffon, dans des lieux se situant à proximité de plusieurs bureaux de vote. Mme G... fait valoir, en produisant notamment la copie d'une conversation d'un groupe WhatsApp réunissant plusieurs colistiers de M. S... ainsi que M. S... lui-même, que ces rassemblements avaient pour objet d'inciter les personnes habitant à proximité à voter en faveur de ce dernier. Elle soutient aussi pour la première fois en appel, au regard de ce document, qu'instruction a été donnée pendant la journée du 28 juin 2021 aux membres de ce groupe d'appeler par téléphone et lors de visites à domicile les électeurs inscrits dans des bureaux de vote dans lesquels la participation était identifiée comme insuffisante, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 49 du code électoral. Il résulte de l'instruction que les rassemblements en cause le jour du scrutin doivent être regardés comme constitutifs de pressions en vue d'influencer le vote des électeurs. Toutefois, eu égard à l'écart de voix entre les listes, ni cette irrégularité, pour regrettable qu'elle soit, ni le démarchage des électeurs par téléphone ou à domicile, dont l'ampleur n'est pas établie, n'ont en tout état de cause été de nature à rompre l'égalité entre les candidats et à altérer la sincérité du scrutin.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 52-8 du code électoral : " Une personne physique peut verser un don à un candidat si elle est de nationalité française ou si elle réside en France. Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d'un ou plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 4 600 euros. / Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. (...) ".

8. Il ne résulte pas de l'instruction que la liste conduite par M. S... aurait bénéficié de la location de véhicules par la société " Rapide auto 92 " à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués, de la mise à disposition gratuite de personnel par cette société, ni de la mise à disposition d'un véhicule appartenant au père d'une des colistières de M. S..., Le grief tiré de la méconnaissance de l'article L. 52-8 du code électoral doit par suite être écarté.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 51 du code électoral : " Pendant la durée de la période électorale, dans chaque commune, des emplacements spéciaux sont réservés par l'autorité municipale pour l'apposition des affiches électorales. / (...) Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, tout affichage relatif à l'élection, même par affiches timbrées, est interdit en dehors de cet emplacement ou sur l'emplacement réservé aux autres candidats, ainsi qu'en dehors des panneaux d'affichage d'expression libre lorsqu'il en existe. ".

10. Il résulte de l'instruction que des affiches de campagne de la liste conduite par M. S... ont été collées sur la devanture de la permanence de cette liste, sur le camion loué par cette liste qui a circulé à la fin de la campagne pendant une durée incertaine et sur le véhicule appartenant au particulier mentionné au point 8, soit en dehors des emplacements réservés. Toutefois, ces affichages irréguliers, pratiqués en violation de l'article L. 51 du code électoral mais qui sont restés limités dans l'espace, n'ont pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin ou à entraîner une rupture d'égalité entre les candidats.

11. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que plusieurs affiches électorales de la liste conduite par Mme G... ont été volontairement détériorées. Toutefois, compte tenu de leur caractère limité, ces dégradations n'ont pas revêtu le caractère d'une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin.

12. En dernier lieu, compte tenu de l'écart de voix séparant les listes en présence, il ne résulte pas de l'instruction que le cumul des irrégularités relevées a été de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa protestation dirigée contre les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Colombes.

Sur les conclusions tendant au rejet du compte de campagne de M. S... :

14. Les conclusions de Mme G... tendant à ce que le compte de campagne de M. S... soit rejeté ne sont assorties d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Elles ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à déclarer M. S... inéligible :

15. Aux termes de l'article L. 118-4 du code électoral : " Saisi d'une contestation formée contre l'élection, le juge de l'élection peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. (...) / Si le juge de l'élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection (...) ".

16. Il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d'un grief tiré de l'existence de manœuvres, le juge de l'élection peut, le cas échéant d'office, et après avoir dans cette hypothèse recueilli les observations des candidats concernés, déclarer inéligibles des candidats pour une durée maximale de trois ans si les manœuvres constatées présentent un caractère frauduleux et s'il est établi qu'elles ont été accomplies par les candidats concernés et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Le caractère frauduleux des manœuvres s'apprécie eu égard, notamment, à leur nature et à leur ampleur.

17. En l'espèce, il ne résulte pas de ce qui précède que M. S... se serait personnellement livré à des manœuvres présentant un caractère frauduleux ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le tribunal administratif a rejeté les conclusions présentées par Mme G... au titre de l'article L. 118-4 du code électoral.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. S... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par M. S....

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme G... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. S... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme H... G..., à M. L... S... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 décembre 2021 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Olivier Japiot, président de chambre ; M. K... Q..., M. C... I..., Mme A... P..., M. N... J..., M. F... R..., M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 30 décembre 2021.

Le Président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

La rapporteure :

Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie

La secrétaire :

Signé : Mme D... E...


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 30 déc. 2021, n° 450810
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie-Caroline de Margerie
Rapporteur public ?: Mme Sophie Roussel
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Date de la décision : 30/12/2021
Date de l'import : 25/01/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 450810
Numéro NOR : CETATEXT000044806237 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2021-12-30;450810 ?
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