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29/12/2021 | FRANCE | N°441005

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 29 décembre 2021, 441005


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juin 2020 et 9 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre FNAIM du Grand Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-153 du 21 février 2020 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 modifiée fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ;

2°) à titre subsidiaire, d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 0

00 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres piè...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 juin 2020 et 9 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre FNAIM du Grand Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-153 du 21 février 2020 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 modifiée fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ;

2°) à titre subsidiaire, d'abroger ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, notamment son article 23-5 ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;

- la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 ;

- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;

- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;

- l'ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 ;

- le décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ;

- le décret n° 2017-1012 du 10 mai 2017 ;

- le décret n° 2019-298 du 10 avril 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 décembre 2021, présentée pour la Chambre FNAIM du Grand Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 5 du décret du 17 mars 1967 pris pour l'application de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis impose au syndic, avant tout transfert de propriété d'un lot ou d'une fraction de lot, d'adresser au notaire chargé de recevoir l'acte, un état daté indiquant, pour chaque lot considéré, les sommes restant dues au syndicat par le copropriétaire cédant, celles dont le syndicat pourrait être débiteur vis-à-vis de lui et celles qui incomberont au nouveau copropriétaire. Le b) de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que les honoraires et frais perçus par le syndic en contrepartie de l'établissement de l'état daté, imputables au seul copropriétaire concerné, ne peuvent excéder un montant fixé par décret. L'article 1er du décret du 21 février 2020, dont la Chambre FNAIM du Grand Paris demande l'annulation pour excès de pouvoir, fixe à 380 euros TTC ce montant maximum.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version issue en dernier lieu de l'ordonnance du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis : " Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 10, sont imputables au seul copropriétaire concerné : / (...) / b) Les frais et honoraires du syndic afférents aux prestations effectuées au profit de ce copropriétaire. Les honoraires et frais perçus par le syndic au titre des prestations qu'il doit effectuer pour l'établissement de l'état daté à l'occasion de la mutation à titre onéreux d'un lot (...) ne peuvent excéder un montant fixé par décret (...) ".

3. En premier lieu, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

4. En plafonnant le montant des honoraires et frais perçus par les syndics en contrepartie de l'établissement des états datés que ces organismes sont tenus de transmettre au notaire en cas de mutation immobilière, le législateur a entendu renforcer la protection des consommateurs, et plus précisément des copropriétaires cédants, quel que soit leur statut, contre tout excès tarifaire dans la détermination du prix des états datés. Ce plafond, qui concerne une prestation que les syndics sont tenus d'effectuer au profit du copropriétaire désireux de céder un ou plusieurs lots, qui n'a la possibilité ni d'en négocier le prix, ni de recourir à un autre prestataire, est en rapport direct avec l'objectif d'intérêt général ainsi poursuivi. La circonstance que l'instauration d'un montant maximum serait susceptible d'inciter les syndics à augmenter leurs tarifs jusqu'à rejoindre ce plafond, voire à compenser leurs pertes en augmentant le prix d'autres prestations non plafonnées, est sans incidence sur le fait que le plafonnement prévu par la loi est de nature à protéger les copropriétaires contre les prix excessifs susceptibles d'être exigés pour la réalisation d'un état daté. Contrairement à ce qui est soutenu, le législateur n'était pas tenu d'instituer des niveaux tarifaires différents selon la nature de la mutation concernée ou selon la situation géographique du syndic en charge de la prestation. Enfin, l'institution du plafonnement prévu par la loi est une mesure qui, par elle-même, ne prive pas les syndics de la possibilité de réaliser une marge à l'occasion de l'établissement de cette prestation. Par suite, le grief tiré de ce que le b) de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ne présente pas un caractère sérieux.

5. En deuxième lieu, le principe du plafonnement tarifaire institué par l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 ne fait par lui-même pas obstacle à ce que les coûts supportés par un syndic pour la réalisation d'un état daté soient couverts par les honoraires ou les frais reçus en contrepartie de cette prestation. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de l'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

6. En troisième et dernier lieu, en prévoyant que les honoraires et frais perçus par les syndics à raison de l'établissement d'un état daté ne peuvent pas excéder un montant fixé par décret, sans encadrer corrélativement les modalités de fixation de ce plafond par le pouvoir réglementaire, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution ni porté atteinte, de ce fait, à la liberté d'entreprendre ou au principe d'égalité devant les charges publiques.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, que les moyens tirés de ce que l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doivent être écartés.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

8. En premier lieu, l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 confie au pouvoir réglementaire le soin de fixer le montant maximum des honoraires et frais susceptibles d'être perçus par les syndics pour l'établissement d'un état daté. Par suite, en fixant ce montant maximum à 380 euros TTC, le pouvoir réglementaire ne saurait être regardé comme ayant excédé la compétence qu'il tenait de la loi.

9. En deuxième lieu, le fonctionnement du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière (CNTGI) est désormais régi par le décret du 10 avril 2019 relatif au CNTGI et par les articles R. 133-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration relatifs aux commissions administratives à caractère consultatif. Dès lors, la Chambre FNAIM du Grand Paris ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 3 du décret du 10 mai 2017 relatif au CNTGI, selon lesquelles son collège ne délibérait valablement que si onze de ses membres au moins étaient présents.

10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que les membres du CNTGI ont été convoqués le 25 novembre 2019 par courrier électronique en vue d'une réunion programmée le 18 décembre suivant, durant laquelle ils ont examiné le projet de texte à l'origine du décret contesté. Par suite, le délai de convocation de cinq jours prévu par l'article R. 133-8 du code des relations entre le public et l'administration a bien été respecté. Il est par ailleurs établi par la copie de ce courrier électronique que la convocation adressée aux membres du conseil comportait en pièces jointes le projet de décret et un rapport de présentation dont la teneur n'est pas critiquée par la requérante, laquelle se borne à faire valoir que ce rapport n'a pas été produit à l'instance. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 133-5 du même code, qui imposent d'envoyer aux membres de toute commission administrative à caractère consultatif les pièces ou documents nécessaires à la préparation de ses réunions, ont été méconnues, doit être écarté.

11. En quatrième lieu, il résulte de l'article 13-2 de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce que le CNTGI comprend 16 membres. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier et notamment de la feuille d'émargement et de la feuille de vote afférentes à la séance du 18 décembre 2019 que dix membres de ce conseil étaient présents ou représentés lors de cette séance. Ainsi, plus de la moitié des membres du CNTGI ont délibéré sur le texte à l'origine du décret contesté préalablement à son adoption. Par suite, les dispositions de l'article R. 133-10 du code des relations entre le public et l'administration, selon lesquelles le quorum des commissions administratives à caractère consultatif est atteint lorsque la moitié au moins des membres composant la commission sont présents, n'ont pas été méconnues.

12. En cinquième lieu, le ministre établit que le projet de texte soumis pour avis aux membres du CNTGI n'a, ultérieurement, pas subi de modifications, de sorte que, conformément aux prescriptions de l'article 13-1 de la loi du 2 janvier 1970, cet organisme a bien été consulté sur le texte devenu le décret du 21 février 2020.

13. En sixième et dernier lieu, si le paragraphe 7 de l'article 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur dispose que : " Les Etats membres notifient à la Commission toute nouvelle disposition législative, réglementaire ou administrative qui prévoit des exigences visées au paragraphe 6 ainsi que les raisons qui se rapportent à ces exigences. ", ce même paragraphe précise expressément que : " La notification n'empêche pas les Etats membres d'adopter les dispositions en question. " Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions auraient été méconnues dans la mesure où ni le a) du 2° du I de l'article 59 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, qui a modifié le b) de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 pour instituer le principe d'un plafonnement du montant des honoraires et frais perçus par les syndics à raison de l'établissement d'un état daté, ni le décret attaqué n'ont été notifiés à la Commission européenne, ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du droit de l'Union européenne :

14. La directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur vise à créer un véritable marché intérieur des services en interdisant ou en encadrant les restrictions à la liberté d'établissement et à la libre circulation des services entre les Etats membres. En vertu du paragraphe 7) de son article 4, les " exigences " auxquelles les Etats membres subordonnent l'accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire, susceptibles d'entrer dans le champ de ses dispositions, s'entendent de " toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des Etats membres ou découlant de la jurisprudence, des pratiques administratives, des règles des ordres professionnels ou des règles collectives d'associations professionnelles ou autres organisations professionnelles adoptées dans l'exercice de leur autonomie juridique ; les normes issues de conventions collectives négociées par les partenaires sociaux ne sont pas en tant que telles, considérées comme des exigences au sens de la présente directive ".

15. En premier lieu, aux termes de l'article 15 de cette directive, relatif à la liberté d'établissement : " 1. Les Etats membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. (...) / 2. Les Etats membres examinent si leur système juridique subordonne l'accès à une activité de service ou son exercice au respect de l'une des exigences non discriminatoires suivantes : / (...) g) les tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire ; (...) / 3. Les Etats membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes : / a) non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l'emplacement de leur siège statutaire ; / b) nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général ; / c) proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d'autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d'atteindre le même résultat. (...) ".

16. Selon l'article 5 du décret du 17 mars 1967, pris pour l'application de la loi du 10 juillet 1965 : " Le syndic, avant l'établissement de l'un des actes mentionnés à l'article 4, adresse au notaire chargé de recevoir l'acte, à la demande de ce dernier ou à celle du copropriétaire qui transfère tout ou partie de ses droits sur le lot ou les lots objets d'une même mutation, un état daté comportant trois parties. / 1° Dans la première partie, le syndic indique, d'une manière même approximative et sous réserve de l'apurement des comptes, les sommes pouvant rester dues, pour chaque lot considéré, au syndicat par le copropriétaire cédant, au titre : / a) Des provisions exigibles du budget prévisionnel ; / b) Des provisions exigibles des dépenses non comprises dans le budget prévisionnel ; / c) Des charges impayées sur les exercices antérieurs ; / d) Des sommes mentionnées aux articles 26-6 et 33 de la loi du 10 juillet 1965 ; / e) Des avances exigibles. / Ces indications sont communiquées par le syndic au notaire ou au propriétaire cédant, à charge pour eux de les porter à la connaissance, le cas échéant, des créanciers inscrits. / 2° Dans la deuxième partie, le syndic indique, d'une manière même approximative et sous réserve de l'apurement des comptes, les sommes dont le syndicat pourrait être débiteur, pour chaque lot considéré, à l'égard du copropriétaire cédant, au titre : / a) Des avances mentionnées à l'article 45-1 ; / b) Des provisions pour les périodes postérieures à la période en cours et rendues exigibles en raison de la déchéance du terme prévue par l'article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965. / 3° Dans la troisième partie, le syndic indique les sommes qui devraient incomber au nouveau copropriétaire, pour chaque lot considéré, au titre : / a) De la reconstitution des avances mentionnées à l'article 45-1 et ce d'une manière même approximative ; / b) Des provisions non encore exigibles du budget prévisionnel ; / c) Des provisions non encore exigibles dans les dépenses non comprises dans le budget prévisionnel. / Dans une annexe à la troisième partie de l'état daté, le syndic indique la somme correspondant, pour les deux exercices précédents, à la quote-part afférente à chaque lot considéré dans le budget prévisionnel et dans le total des dépenses hors budget prévisionnel. Il mentionne, s'il y a lieu, l'objet et l'état des procédures en cours dans lesquelles le syndicat est partie. ".

17. En tant qu'elles fixent à 380 euros TTC le montant maximum des honoraires ou frais perçus pour l'établissement de l'état daté qu'un syndic a l'obligation d'adresser au notaire préalablement à la cession d'un lot ou d'une fraction de lot soumis au régime de la copropriété, les dispositions de l'article 1er du décret attaqué constituent une exigence à laquelle l'exercice de l'activité de syndic en France est subordonné. Cette mesure de plafonnement, qui porte sur une prestation de service lié à l'immobilier, entre ainsi dans le champ des dispositions de l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006.

18. Il résulte du paragraphe 1 de cet article 15 que les Etats membres sont autorisés à instituer une telle exigence sous réserve qu'elle soit conforme aux conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité visées au paragraphe 3 du même article.

19. Or, tout d'abord, il ressort des termes de l'article 1er du décret du 21 février 2020 que le prix maximum qu'il institue s'applique indifféremment de la nationalité ou du lieu d'établissement du syndic obligé par le décret du 17 mars 1967 de communiquer l'état daté au notaire. En outre, la Chambre FNAIM du Grand Paris n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'une telle mesure de plafonnement serait susceptible d'empêcher les ressortissants de l'Union européenne ou les sociétés établies dans un de ses Etats membres d'intégrer l'ensemble des coûts qu'ils auraient à supporter pour établir un état daté, en particulier ceux de ces coûts auxquels les opérateurs français déjà installés ne seraient pas soumis. La mesure critiquée ne présente donc pas un caractère discriminatoire.

20. Ensuite, il ressort des pièces du dossier une grande disparité des frais exigés par les syndics pour la réalisation des états datés, dénoncée par des associations de consommateurs. Une enquête menée par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) auprès de 179 syndics a confirmé que les prix des états datés variaient entre 180 et 700 euros pour des prestations similaires. Ces écarts ont été rendus possibles, notamment, par le fait que les honoraires dus pour l'établissement d'un état daté font rarement l'objet d'une véritable négociation de la part du syndicat de copropriétaires, dès lors que cette prestation pèse sur le seul copropriétaire cédant, et que ce dernier n'a pas d'autre choix que de s'adresser au syndic chargé de la gestion de l'immeuble dont il envisage de céder un ou plusieurs lots. Le décret attaqué, qui fixe le montant maximum susceptible d'être exigé pour l'établissement d'un état daté, est ainsi justifié par une raison impérieuse d'intérêt général tenant à la protection des consommateurs et répond, dès lors, à la condition de nécessité posée par le b) du 3 de l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006.

21. Enfin, l'article 1er du décret du 21 février 2020 se borne à prévoir un tarif maximum pour l'établissement des états datés, de sorte qu'il ne concerne qu'une part très restreinte des missions réalisées par les syndics en vertu de la loi du 10 juillet 1965. Il ressort en outre des pièces du dossier, et notamment des résultats de l'enquête menée par les agents de la DGCCRF, ainsi que de l'avis de l'Autorité de la concurrence n° 20-A-01 du 14 janvier 2020, que le montant de 380 euros TTC est de nature, compte tenu des coûts horaires afférents aux prestations particulières réalisées par les syndics et à la durée de réalisation d'un état daté, à couvrir dans la plupart des hypothèses les coûts réellement supportés par un syndic pour la réalisation d'un tel acte. Ce montant maximum est, par suite, de nature à garantir la réalisation de l'objectif de protection des consommateurs poursuivi par la mesure de plafonnement, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre. Par ailleurs, aucun élément versé au dossier, et notamment pas l'avis de l'Autorité de la concurrence n° 20-A-01 du 14 janvier 2020, n'établit que cet objectif pourrait être atteint dans les mêmes conditions et avec la même efficacité par une mesure moins contraignante. Dans ces conditions, le tarif maximum de 380 euros TTC, dont il appartiendra au pouvoir réglementaire de réexaminer périodiquement la pertinence, au regard notamment de l'évolution des coûts supportés par les syndics pour la réalisation des états datés, répond à la condition de proportionnalité prévue par le c) du 3 de l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006.

22. La Chambre FNAIM du Grand Paris n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que l'article 1er du décret attaqué méconnaîtrait les dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006.

23. En deuxième lieu, en vertu du paragraphe 6) de l'article 17 de la directive du 12 décembre 2006, l'article 16 de cette directive ne s'applique pas " aux matières couvertes par le titre II de la directive 2005/36/CE ainsi qu'aux exigences en vigueur dans l'Etat membre où le service est fourni, qui réservent une activité à une profession particulière ". En tant que l'article 3 de la loi du 2 janvier 1970 soumet l'exercice de l'activité de syndic à la détention d'une carte professionnelle, cette activité relève des matières couvertes par l'article 5 du titre II de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Ainsi, la Chambre FNAIM du Grand Paris ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 16 de la directive du 12 décembre 2006 à l'appui de son recours dirigé contre le décret du 21 février 2020.

24. En troisième et dernier lieu, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne que les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'opposent à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants de l'Union européenne, de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services garanties par lesdites dispositions du traité. De telles restrictions peuvent toutefois être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, c'est-à-dire qu'il n'existe pas de mesures moins restrictives qui permettraient de l'atteindre de manière aussi efficace. Dans ces conditions, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 19 à 21 ci-dessus, le tarif maximum de 380 euros TTC fixé par l'article 1er du décret attaqué ne saurait être regardé comme une restriction contraire à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services garanties respectivement par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 :

25. L'article 10-1 modifié de la loi du 10 juillet 1965 a habilité le pouvoir réglementaire à fixer le montant maximum des honoraires et frais perçus par les syndics pour l'établissement d'un état daté, sans préciser que ce tarif maximum devait, dans tous les cas, couvrir les coûts effectivement supportés par le syndic. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article 10-1 au motif qu'il fixerait un tarif maximum ne permettant pas à chaque syndic de couvrir ses coûts, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie :

26. Si la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie impliquent que les entreprises soient libres de fixer leurs tarifs, il est possible d'apporter à ces libertés des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

27. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 19 à 21 ci-dessus, l'atteinte portée par le décret attaqué à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie ne saurait être regardée comme disproportionnée au regard de l'objectif de protection des consommateurs que poursuit la mesure de plafonnement critiquée.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques :

28. Ainsi qu'il a été dit au point 21 ci-dessus, il ressort des pièces du dossier que le plafond fixé par le décret est en adéquation avec les prix pratiqués par les syndics eux-mêmes, ainsi qu'avec le coût horaire des prestations particulières qu'ils réalisent et la durée nécessaire à l'établissement d'un état daté. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques ne peut en tout état de cause qu'être écarté.

Sur les conclusions à fin d'abrogation du décret attaqué :

29. La Chambre FNAIM du Grand Paris se prévaut de la mise en œuvre progressive de l'ordonnance du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis, dont certaines dispositions renforcent la transparence des relations entre les syndics et les copropriétaires ainsi que la concurrence entre les syndics, pour soutenir que le plafonnement du montant des états datés est désormais dépourvu de justification, de sorte que l'atteinte qu'il porte à la liberté d'établissement et à la libre circulation des services est nécessairement disproportionnée. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que la mise en concurrence plus fréquente des syndics, la référence faite à l'état daté dans le modèle de contrat de syndics et la fourniture d'une fiche d'information sur les prix, seraient de nature à protéger efficacement les copropriétaires des écarts tarifaires ayant conduit le législateur à instaurer le principe d'un montant maximum exigible pour la réalisation d'un état daté. Par suite, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que, depuis l'adoption du décret attaqué, l'équilibre des relations entre les syndics et les copropriétaires se serait amélioré au point qu'il justifierait qu'il soit mis fin au montant maximum de 380 euros TTC exigible pour l'établissement d'un état daté.

30. Il résulte de tout ce qui précède que la Chambre FNAIM du Grand Paris n'est pas fondée à demander l'annulation, ni l'abrogation, du décret du 21 février 2020 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également, par voie de conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Chambre FNAIM du Grand Paris.

Article 2 : La requête de la Chambre FNAIM du Grand Paris est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Chambre FNAIM du Grand Paris, au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. I... H..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre; Mme A... L..., M. E... G..., Mme J... B..., M. K... C..., M. François Weil, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 29 décembre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme D... F...


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 441005
Date de la décision : 29/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2021, n° 441005
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé

Origine de la décision
Date de l'import : 04/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:441005.20211229
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