La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2021 | FRANCE | N°433245

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 13 décembre 2021, 433245


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août et 4 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie (Fédération FO des métaux) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail du 29 mai 2019 portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie (n° 650), en tant qu'il étend sous réserve le troisième

alinéa de l'article 2 (I) de l'accord du 13 juillet 2018 sur les barèmes des appointe...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août et 4 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie (Fédération FO des métaux) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté de la ministre du travail du 29 mai 2019 portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie (n° 650), en tant qu'il étend sous réserve le troisième alinéa de l'article 2 (I) de l'accord du 13 juillet 2018 sur les barèmes des appointements minimaux garantis pour l'année 2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 ;

- la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ;

- l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Fédération FO Métaux ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, le 13 juillet 2018, trois organisations syndicales et une organisation professionnelle d'employeurs de la branche des ingénieurs et cadres de la métallurgie ont conclu un accord relatif au barème des appointements minimaux garantis pour l'année 2018. Par un arrêté du 29 mai 2019, la ministre du travail a procédé à l'extension de cet accord en formulant une réserve quant au troisième alinéa de son article 2 (I). La Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie (Fédération FO des métaux) demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté en tant qu'il procède à cette réserve.

Sur l'intervention de la Confédération générale du travail - Force Ouvrière :

2. L'intervention de la Confédération générale du travail - Force Ouvrière, qui justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué, est recevable.

Sur le cadre juridique :

En ce qui concerne le droit applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 22 septembre 2017 :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 2232-5-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective : " La branche a pour missions : / 1° De définir, par la négociation, les garanties applicables aux salariés employés par les entreprises relevant de son champ d'application, notamment en matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, de prévention de la pénibilité prévue au titre VI du livre Ier de la quatrième partie du présent code et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnée à l'article L. 2241-3 ; / 2° De définir, par la négociation, les thèmes sur lesquels les conventions et accords d'entreprise ne peuvent être moins favorables que les conventions et accords conclus au niveau de la branche, à l'exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de la convention ou de l'accord d'entreprise ; / 3° De réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d'application ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 2253-1 du code du travail, dans sa version applicable avant l'entrée en vigueur de cette ordonnance : " Une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut adapter les stipulations des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels applicables dans l'entreprise aux conditions particulières de celle-ci ou des établissements considérés. / Une convention ou un accord peut également comporter des stipulations nouvelles et des stipulations plus favorables aux salariés ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2253-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " En matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale et de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ne peut comporter des clauses dérogeant à celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels ".

5. Il résulte des dispositions précitées qu'avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 22 septembre 2017, il revenait à la branche, par voie d'accord collectif s'imposant à tout accord d'entreprise, de fixer un salaire minimum conventionnel pour chaque niveau hiérarchique de la grille de classification des emplois prévue par la convention collective, auquel la rémunération effectivement perçue par les salariés de la branche ne pouvait être inférieure. A cet égard, les conventions de branche pouvaient déterminer, d'une part, le montant de ce salaire minimum conventionnel, et, d'autre part, les éléments de rémunération à prendre en compte pour s'assurer que la rémunération effective des salariés atteigne au moins le niveau du salaire minimum conventionnel correspondant à leur niveau hiérarchique. A défaut de stipulations conventionnelles expresses sur les éléments de rémunération des salariés à prendre en compte pour procéder à cette comparaison, il convenait de retenir, en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le salaire de base et les compléments de salaire constituant une contrepartie directe à l'exécution de la prestation de travail par les salariés.

En ce qui concerne le droit applicable depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 22 septembre 2017 :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 2232-5-1 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 et applicable au litige : " La branche a pour missions : / 1° De définir les conditions d'emploi et de travail des salariés ainsi que les garanties qui leur sont applicables dans les matières mentionnées aux articles L. 2253-1 et L. 2253-2 dans les conditions prévues par lesdits articles. / 2° De réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d'application ".

7. D'autre part, aux termes de l'article L. 2253-1 du code du travail, dans sa rédaction, applicable à l'espèce, issue de la même ordonnance : " La convention de branche définit les conditions d'emploi et de travail des salariés. Elle peut en particulier définir les garanties qui leur sont applicables dans les matières suivantes : / 1° Les salaires minima hiérarchiques ; (...) / Dans les matières énumérées au 1° à 13°, les stipulations de la convention de branche ou de l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large prévalent sur la convention d'entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date de leur entrée en vigueur, sauf lorsque la convention d'entreprise assure des garanties au moins équivalentes. Cette équivalence des garanties s'apprécie par ensemble de garanties se rapportant à la même matière. " Aux termes de l'article L. 2253-2 de ce code, dans sa rédaction applicable, issue de l'ordonnance précitée : " Dans les matières suivantes, lorsque la convention de branche ou l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large le stipule expressément, la convention d'entreprise conclue postérieurement à cette convention ou à cet accord ne peut comporter des stipulations différentes de celles qui lui sont applicables en vertu de cette convention ou de cet accord sauf lorsque la convention d'entreprise assure des garanties au moins équivalentes : (...) / 4° Les primes pour travaux dangereux ou insalubres. / L'équivalence des garanties mentionnée au premier alinéa du présent article s'apprécie par ensemble de garanties se rapportant à la même matière ". Aux termes de l'article L. 2253-3 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, issue de cette ordonnance: " Dans les matières autres que celles mentionnées aux articles L. 2253-1 et L. 2253-2, les stipulations de la convention d'entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la convention de branche ou de l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large prévalent sur celles ayant le même objet prévues par la convention de branche ou l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large. En l'absence d'accord d'entreprise, la convention de branche ou l'accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large s'applique ".

8. Il résulte des dispositions précitées, issues de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective qui a notamment modifié l'articulation entre les conventions de branche et les accords d'entreprise, que la convention de branche peut définir les garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques, auxquelles un accord d'entreprise ne peut déroger que s'il prévoit des garanties au moins équivalentes. En outre, si la convention de branche peut, y compris indépendamment de la définition des garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques, prévoir l'existence de primes, ainsi que leur montant, les stipulations d'un accord d'entreprise en cette matière prévalent sur celles de la convention de branche, qu'elles soient ou non plus favorables, sauf, le cas échéant, en ce qui concerne les primes pour travaux dangereux ou insalubres pour lesquelles la convention de branche, lorsqu'elle le stipule expressément, s'impose aux accords d'entreprise qui ne peuvent que prévoir des garanties au moins équivalentes. Par suite, faute pour les dispositions citées au point 7 de définir la notion de salaires minima hiérarchiques, laquelle n'est pas davantage éclairée par les travaux préparatoires de l'ordonnance du 22 septembre 2017, il est loisible à la convention de branche, d'une part, de définir les salaires minima hiérarchiques et, le cas échéant à ce titre de prévoir qu'ils valent soit pour les seuls salaires de base des salariés, soit pour leurs rémunérations effectives résultant de leur salaires de base et de certains compléments de salaire, d'autre part, d'en fixer le montant par niveau hiérarchique. Lorsque la convention de branche stipule que les salaires minima hiérarchiques s'appliquent aux rémunérations effectives des salariés résultant de leurs salaires de base et de compléments de salaire qu'elle identifie, elle ne fait pas obstacle à ce que le montant de ces minima soit atteint dans une entreprise par des modalités de rémunération différentes de celles qu'elle mentionne, un accord d'entreprise pouvant réduire ou supprimer les compléments de salaire qu'elle mentionne au titre de ces minima, dès lors toutefois que sont prévus d'autres éléments de rémunération permettant aux salariés de l'entreprise de percevoir une rémunération effective au moins égale au montant des salaires minima hiérarchiques fixé par la convention.

Sur le litige :

9. Aux termes de l'article L. 2261-25 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut exclure de l'extension, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, les clauses qui seraient en contradiction avec des dispositions légales. (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que, en application des dispositions citées au point 9, par un arrêté du 29 mai 2019, la ministre du travail a procédé à l'extension de l'accord du 13 juillet 2018 relatif au barème des appointements minimaux garantis, conclu dans le cadre de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, en formulant une réserve. L'arrêté énonce que le troisième alinéa de l'article 2 (I) de l'accord, qui stipule que la rémunération forfaitaire d'un ingénieur ou cadre ne pourra être inférieure au salaire minimum correspondant au classement de l'intéressé et prévu par le barème des appointements annuels minimaux figurant à l'article 2 de l'accord, est étendu sous réserve de l'application de l'article L. 2253-3 du code du travail, ce dont il s'infère que la référence aux appointements annuels minimaux, qui doivent être regardés comme les salaires minima hiérarchiques de la branche, devait s'entendre comme ne visant que les montants des salaires de base et non, comme le stipule l'article 23 de la convention collective nationale, l'ensemble des éléments permanents de la rémunération, y compris les avantages en nature. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 quant aux salaires minima hiérarchiques pour lesquels la convention de branche peut retenir, comme au cas d'espèce, qu'ils s'appliquent aux rémunérations effectives des salariés résultant de leurs salaires de base et de certains compléments de salaire, qu'en procédant à cette réserve, au motif que les salaires minima hiérarchiques ne s'appliquent qu'aux salaires de base, l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de droit.

11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, la Fédération FO des métaux est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté de la ministre du travail du 29 mai 2019 portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie (n° 650), en tant qu'il étend sous réserve le troisième alinéa de l'article 2 (I) de l'accord du 13 juillet 2018 sur les barèmes des appointements minimaux garantis pour l'année 2018.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de la Confédération générale du travail - Force Ouvrière est admise.

Article 2 : L'arrêté de la ministre du travail du 29 mai 2019 portant extension d'un accord conclu dans le cadre de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie (n° 650) est annulé en tant qu'il étend sous réserve le troisième alinéa de l'article 2 (I) de l'accord du 13 juillet 2018 sur les barèmes des appointements minimaux garantis pour l'année 2018.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération confédérée Force ouvrière de la métallurgie, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à la Fédération des cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie (CFE-CGC), à la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, à l'Union des industries et métiers de la métallurgie et à la Confédération générale du travail - Force Ouvrière.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 novembre 2021 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; Mme Carine Soulay, conseillère d'Etat et Mme Thalia Breton, auditrice-rapporteure.

Rendu le 13 décembre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Maud Vialettes

La rapporteure :

Signé : Mme Thalia Breton

La secrétaire :

Signé : Mme A... B...


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 433245
Date de la décision : 13/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 13 déc. 2021, n° 433245
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Thalia Breton
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:433245.20211213
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award