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09/12/2021 | FRANCE | N°437507

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 09 décembre 2021, 437507


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 janvier 2020 et 19 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ENI Gas and Power France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 4 juillet 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a, d'une part, prononcé à son égard une sanction pécuniaire d'un montant de 193 667 euros et, d'autre part, annulé ses certificats d'économies d'énergie (CEE) dits " classiques " pour un montant de 2 571 400 kilowattheures

cumulés actualisés (kWh cumac) et annulé ses certificats d'économies d'énergi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 janvier 2020 et 19 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ENI Gas and Power France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 4 juillet 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a, d'une part, prononcé à son égard une sanction pécuniaire d'un montant de 193 667 euros et, d'autre part, annulé ses certificats d'économies d'énergie (CEE) dits " classiques " pour un montant de 2 571 400 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac) et annulé ses certificats d'économies d'énergie dits " précarité " pour un montant de 39 085 280 kWh cumac ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Eni Gas And Power France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la société ENI Gas and Power France, spécialisée dans la fourniture de gaz et d'électricité sur le marché français, est soumise aux obligations d'économies d'énergie prévues aux articles L. 221-1 et suivants du code de l'énergie, dont elle s'acquitte à travers la réalisation d'opérations donnant lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie (CEE). À cette fin, elle a conclu le 6 avril 2017 un contrat pour la promotion des économies d'énergie, le dépôt et l'obtention de CEE avec la société Cameo, qui stipule que cette société se charge du dépôt des dossiers CEE au nom de la société ENI. À l'issue d'un contrôle engagé par l'administration le 28 septembre 2018 sur trois opérations d'économies d'énergie représentant 41 656 680 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac), le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire a constaté plusieurs manquements au titre de ces opérations et a, par une décision du 4 juillet 2019, annulé sur le compte de la société ENI figurant au registre national des CEE, des certificats dits " classiques " correspondant à un volume de 2 571 400 kWh cumac et des certificats dits " précarité " pour un montant de 39 085 280 kWh cumac. Par la même décision du 4 juillet 2019, le ministre a infligé à la société ENI une sanction pécuniaire d'un montant de 193 667 euros et l'a informée de la levée, à compter de la réception par l'administration des résultats exhaustifs des contrôles menés par la société, de la suspension du délai d'acceptation implicite de ses dossiers déjà déposés et de ses futurs dossiers de demande de CEE prononcée le 14 décembre 2018. La société ENI demande l'annulation de cette décision ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Sur la compétence de l'auteur de la sanction :

2. Aux termes de l'article L. 222-1 du code de l'énergie : " Dans les conditions définies aux articles suivants, le ministre chargé de l'énergie peut sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du présent titre ou aux dispositions réglementaires prises pour leur application ". Aux termes de l'article L. 222-2 du même code, dans sa version applicable au litige : " Le ministre met l'intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai déterminé. Il peut rendre publique cette mise en demeure. / Lorsque l'intéressé ne se conforme pas dans les délais fixés à cette mise en demeure, le ministre chargé de l'énergie peut : / 1° Prononcer à son encontre une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et à la situation de l'intéressé, sans pouvoir excéder le double de la pénalité prévue au premier alinéa de l'article L. 221-4 par kilowattheure d'énergie finale concerné par le manquement et sans pouvoir excéder 2 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, porté à 4 % en cas de nouveau manquement à la même obligation ; / 2° Le priver de la possibilité d'obtenir des certificats d'économies d'énergie selon les modalités prévues au premier alinéa de l'article L. 221-7 et à l'article L. 221-12 ; / 3° Annuler des certificats d'économies d'énergie de l'intéressé, d'un volume égal à celui concerné par le manquement ; (...) ". Enfin, selon l'article R. 222-12 du même code : " Les décisions du ministre chargé de l'énergie prononçant les sanctions prévues à l'article L. 222-2 peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction et d'une demande de référé tendant à la suspension de leur exécution devant le Conseil d'Etat. Cette demande a un caractère suspensif ".

3. En prenant la décision attaquée, qui inflige à la société ENI une sanction pécuniaire et annule des CEE qu'elle détenait sur le fondement des 1° et 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie, le ministre de la transition écologique et solidaire a infligé à l'intéressée une sanction en faisant application des dispositions des articles L. 222-1 et suivants du code de l'énergie, qui lui donnent le pouvoir de sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du titre II du livre II du même code. Ainsi, le moyen tiré de ce que cette décision de sanction serait entachée d'un vice d'incompétence ne peut qu'être écarté.

Sur la régularité de la décision attaquée :

4. Aux termes de l'article L. 222-3 du code de l'énergie : " Les sanctions sont prononcées après que l'intéressé a reçu notification des griefs et a été mis à même de consulter le dossier et de présenter ses observations, assisté, le cas échéant, par une personne de son choix ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code dans sa version applicable au litige : " L'instruction et la procédure devant le ministre sont contradictoires. / Le ministre ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ". Aux termes de l'article L. 222-6 du même code : " Les décisions sont motivées, notifiées à l'intéressé et publiées au Journal officiel. " Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 2° Infligent une sanction ; (...). " En outre, aux termes de l'article R. 222-7 du code de l'énergie : " Le ministre chargé de l'énergie notifie au premier détenteur de certificats d'économies d'énergie la liste des opérations visées par le contrôle ou le périmètre du contrôle (...). / Cette notification vaut mise en demeure d'adresser au ministre chargé de l'énergie, dans un délai d'un mois, pour chaque opération de l'échantillon contrôlé, les pièces justificatives fixées par arrêté. " Aux termes de l'article R. 222-8 du même code : " Pour chaque opération d'économies d'énergie de l'échantillon mentionné à l'article R. 222-7, le ministre chargé de l'énergie établit le volume de certificats d'économies d'énergie correspondant. / (...) L'échantillon est réputé conforme si le rapport entre la somme des volumes de certificats d'économies d'énergie établis pour les opérations de l'échantillon et la somme des volumes de certificats d'économies d'énergie délivrés pour les mêmes opérations est : / (...) 2° Pour les opérations engagées à partir du 1er janvier 2013, supérieur à 95 %. " Aux termes de l'article R. 222-9 du même code : " Lorsque l'échantillon n'est pas réputé conforme, le ministre chargé de l'énergie met en demeure l'intéressé de transmettre, dans un délai d'un mois, les preuves de la conformité réglementaire des opérations d'économies d'énergie pour lesquelles des manquements ont été constatés (...). " Enfin, aux termes de l'article R. 222-10 du même code : " Si les preuves de la conformité réglementaire mentionnées à l'article R. 222-9 ne sont pas apportées dans le délai imparti ou si les pièces produites ne permettent pas de rendre conforme l'échantillon dans les conditions prévues à l'article R. 222-8, le ministre chargé de l'énergie peut prononcer les sanctions prévues à l'article L. 222-2. "

5. Il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que l'administration a notifié à la société les trois opérations visées par le contrôle par un courrier du 28 septembre 2018 et que la société a communiqué à l'administration les éléments demandés le 16 octobre suivant. Le 14 décembre 2018, elle a informé la société ENI que l'échantillon contrôlé n'était pas conforme au dispositif des CEE et l'a mise en demeure de lui transmettre, dans un délai d'un mois, les preuves de la conformité réglementaire des opérations d'économies d'énergie pour lesquelles des manquements avaient été constatés. L'administration a noté que sur un échantillon de trois opérations contrôlées, représentant 41 656 680 kWh cumac, le taux de conformité au dispositif des CEE était de 0 %. Par un courrier du 15 janvier 2019, la société ENI a reconnu l'existence des manquements en cause et a proposé elle-même à l'administration d'annuler des CEE correspondants sur le fondement du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie. Elle a indiqué par le même courrier signaler les faits au parquet. Par un courrier du 22 mars 2019, l'administration a indiqué à la société ENI que les éléments communiqués ne permettaient pas de lever les manquements constatés et qu'elle envisageait d'annuler les CEE de la société à hauteur de 2 571 400 kWh cumac dits " classiques " et de 39 085 280 kWh cumac dits " précarité ", et de prononcer à son encontre une sanction pécuniaire d'un montant de 193 667 euros, correspondant à la valeur financière des CEE issus des opérations contrôlées et révélant des manquements d'une particulière gravité, sur le fondement du 1° de l'article L. 222-2. Par un courrier du 19 avril 2019, la société ENI a indiqué à l'administration accepter le retrait des CEE litigieux mais contester la sanction pécuniaire envisagée, motif pris de sa bonne foi. La décision de sanction du 4 juillet 2019 notifiée à la société reprend les éléments de motivation mis en avant par l'administration dans son précédent courrier. Dès lors, les affirmations de la société ENI selon lesquelles la sanction pécuniaire qui lui a été infligée n'était pas suffisamment précise et qu'elle n'avait pas été mise à même de contester son barème, manquent en fait. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire n'a ni méconnu le principe du contradictoire ni entaché sa décision de sanction, par ailleurs publiée au Journal officiel de la République française n° 0233 du 6 octobre 2019 (texte n° 8), d'insuffisance de motivation.

Sur la légalité interne de la décision de sanction :

En ce qui concerne la bonne foi de la société ENI :

6. Aux termes de l'article R. 222-6 du code de l'énergie : " Est considéré comme un manquement le fait pour un premier détenteur de certificats d'économies d'énergie d'avoir obtenu des certificats sans avoir respecté les dispositions de la section 2 du chapitre Ier, notamment celles relatives aux opérations standardisées mentionnées à l'article R. 221-14 ou celles relatives à la composition d'une demande de certificats d'économies d'énergie mentionnées à l'article R. 221-22 ". Il résulte de ces dispositions combinées à celles de l'article L. 222-2 du code de l'énergie rappelées au point 2 que si rien n'interdit à une personne soumise à des obligations d'économies d'énergie en vertu des dispositions de l'article L. 221-1 du même code de déléguer à un tiers la réalisation des démarches et opérations nécessaires à la réalisation de ces économies, cette circonstance n'est pas de nature à la décharger de la responsabilité, qui incombe à elle seule, de s'assurer de la réalisation effective de ces économies et, par suite, de la justification des CEE dont elle se prévaut. Sans préjudice de son droit de se retourner contre son prestataire, la personne soumise aux obligations d'énergie susmentionnées est seule passible de la procédure de sanction prévue à l'article L. 222-2 du même code. C'est par suite sans erreur de droit que le ministre a pu refuser de tenir compte, tant pour désigner l'auteur des manquements que pour qualifier leur ampleur, de la bonne foi dont la société se prévalait.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :

7. Il résulte des dispositions de l'article L. 222-2 du code de l'énergie rappelées au point 2 ci-dessus que le législateur a entendu habiliter le ministre chargé de l'énergie à prononcer cumulativement les sanctions prévues à l'article L. 222-2 du code de l'énergie pour les mêmes manquements relatifs au dispositif des CEE, dans le respect du principe de proportionnalité des sanctions administratives.

8. Si la société ENI soutient que la sanction pécuniaire, cumulée à l'annulation de ses CEE, a pour conséquence une grave déstabilisation du marché des CEE et un renchérissement de leurs prix, elle n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations, alors, au demeurant, que la délivrance de certificats ne correspondant à aucune économie réelle d'énergie est directement contraire aux buts recherchés par le législateur. Elle ne soutient pas non plus que la décision attaquée aurait des conséquences graves sur sa situation économique. Par suite, la société ENI n'est pas fondée à soutenir que la décision de sanction pécuniaire de 193 667 euros, ajoutée à la décision d'annulation de certains de ses certificats, serait disproportionnée au regard de la gravité et de la nature des manquements constatés au dispositif des CEE, manquements dont elle ne conteste d'ailleurs pas l'existence.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société ENI n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société ENI Gas and Power France est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société ENI Gas and Power France et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2021 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 9 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Frédéric Aladjidi

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme A... B...


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 437507
Date de la décision : 09/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 déc. 2021, n° 437507
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU ET TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:437507.20211209
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