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09/12/2021 | FRANCE | N°435857

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 09 décembre 2021, 435857


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 novembre 2019, 8 janvier 2020 et le 19 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ENI Gas and Power France (ENI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 15 mai 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a annulé ses certificats d'économies d'énergie (CEE) dits " précarité " pour un montant de 12 506 504 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac) ainsi que la d

écision implicite par laquelle ce ministre a rejeté son recours gracieux du 12 ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 novembre 2019, 8 janvier 2020 et le 19 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société ENI Gas and Power France (ENI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 15 mai 2019 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a annulé ses certificats d'économies d'énergie (CEE) dits " précarité " pour un montant de 12 506 504 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac) ainsi que la décision implicite par laquelle ce ministre a rejeté son recours gracieux du 12 juillet 2019 formé contre cette décision de sanction ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Eni Gas And Power France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la société ENI Gas and Power France, spécialisée dans la fourniture de gaz et d'électricité sur le marché français, est soumise aux obligations d'économies d'énergie prévues aux articles L. 221-1 et suivants du code de l'énergie, dont elle s'acquitte à travers la réalisation d'opérations donnant lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie (CEE). À cette fin, elle a conclu le 6 avril 2017 un contrat pour la promotion des économies d'énergie, le dépôt et l'obtention de certificats d'économie d'énergie avec la société Cameo, qui stipule que cette société se charge du dépôt des dossiers de CEE au nom de la société ENI. À l'issue d'un contrôle engagé par l'administration le 30 janvier 2018, sur un échantillon de 33 opérations d'économies d'énergie, pour un volume total de 29 296 544 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac), le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire a constaté plusieurs manquements au titre de ces opérations et a, par une décision du 15 mai 2019, annulé les CEE dits " précarité " détenus par la société pour un volume de 12 506 504 kWh cumac. Par la même décision du 15 mai 2019, le ministre a informé la société ENI de la levée, à compter du retrait des volumes de CEE non-conformes, de la suspension du délai d'acceptation implicite de ses dossiers déjà déposés et de ses futurs dossiers de demande de CEE prononcée le 16 avril 2018. La société ENI demande l'annulation de cette décision en tant qu'elle annule des CEE qu'elle détient ainsi que de la décision implicite rejetant son recours gracieux.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 222-1 du code de l'énergie : " Dans les conditions définies aux articles suivants, le ministre chargé de l'énergie peut sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du présent titre ou aux dispositions réglementaires prises pour leur application ". Aux termes de l'article L. 222-2 du même code dans sa version applicable au litige : " Le ministre met l'intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai déterminé. Il peut rendre publique cette mise en demeure. / Lorsque l'intéressé ne se conforme pas dans les délais fixés à cette mise en demeure, le ministre chargé de l'énergie peut : / 1° Prononcer à son encontre une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et à la situation de l'intéressé, sans pouvoir excéder le double de la pénalité prévue au premier alinéa de l'article L. 221-4 par kilowattheure d'énergie finale concerné par le manquement et sans pouvoir excéder 2 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, porté à 4 % en cas de nouveau manquement à la même obligation ; / 2° Le priver de la possibilité d'obtenir des certificats d'économies d'énergie selon les modalités prévues au premier alinéa de l'article L. 221-7 et à l'article L. 221-12 ; / 3° Annuler des certificats d'économies d'énergie de l'intéressé, d'un volume égal à celui concerné par le manquement ; (...) ". Enfin, selon l'article R. 222-12 du même code : " Les décisions du ministre chargé de l'énergie prononçant les sanctions prévues à l'article L. 222-2 peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction et d'une demande de référé tendant à la suspension de leur exécution devant le Conseil d'Etat. Cette demande a un caractère suspensif ".

Sur la compétence de l'auteur de la sanction :

3. En prenant la décision attaquée, qui annule des CEE détenus par la société ENI pour un volume de 12 506 504 kWh cumac sur le fondement du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie, le ministre de la transition écologique et solidaire a infligé à l'intéressée une sanction en faisant application des dispositions des articles L. 222-1 et suivants du même code, qui lui donnent le pouvoir de sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du titre II du livre II de ce code. Ainsi, le moyen tiré de ce que cette décision de sanction serait entachée d'un vice d'incompétence ne peut qu'être écarté.

Sur la régularité de la décision attaquée :

4. Aux termes de l'article L. 222-3 du code de l'énergie : " Les sanctions sont prononcées après que l'intéressé a reçu notification des griefs et a été mis à même de consulter le dossier et de présenter ses observations, assisté, le cas échéant, par une personne de son choix ". Aux termes de l'article L. 222-5 du même code dans sa version applicable au litige : " L'instruction et la procédure devant le ministre sont contradictoires. / Le ministre ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ". Aux termes de l'article L. 222-6 du même code : " Les décisions sont motivées, notifiées à l'intéressé et publiées au Journal officiel. " Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) 2° Infligent une sanction ; (...). " En outre, aux termes de l'article R. 222-7 du code de l'énergie : " Le ministre chargé de l'énergie notifie au premier détenteur de certificats d'économies d'énergie la liste des opérations visées par le contrôle ou le périmètre du contrôle (...). / Cette notification vaut mise en demeure d'adresser au ministre chargé de l'énergie, dans un délai d'un mois, pour chaque opération de l'échantillon contrôlé, les pièces justificatives fixées par arrêté. " Aux termes de l'article R. 222-8 du même code : " Pour chaque opération d'économies d'énergie de l'échantillon mentionné à l'article R. 222-7, le ministre chargé de l'énergie établit le volume de certificats d'économies d'énergie correspondant. / (...) L'échantillon est réputé conforme si le rapport entre la somme des volumes de certificats d'économies d'énergie établis pour les opérations de l'échantillon et la somme des volumes de certificats d'économies d'énergie délivrés pour les mêmes opérations est : / (...) 2° Pour les opérations engagées à partir du 1er janvier 2013, supérieur à 95 %. " Aux termes de l'article R. 222-9 du même code : " Lorsque l'échantillon n'est pas réputé conforme, le ministre chargé de l'énergie met en demeure l'intéressé de transmettre, dans un délai d'un mois, les preuves de la conformité réglementaire des opérations d'économies d'énergie pour lesquelles des manquements ont été constatés (...). " Enfin, aux termes de l'article R. 222-10 du même code : " Si les preuves de la conformité réglementaire mentionnées à l'article R. 222-9 ne sont pas apportées dans le délai imparti ou si les pièces produites ne permettent pas de rendre conforme l'échantillon dans les conditions prévues à l'article R. 222-8, le ministre chargé de l'énergie peut prononcer les sanctions prévues à l'article L. 222-2. "

5. Il résulte de l'instruction que l'administration a demandé le 30 janvier 2018 à la société ENI, sur le fondement de l'article R. 222-7 du code de l'énergie, les pièces justificatives relatives à certaines opérations standardisées, dont elle dressait la liste. Après que la société a produit des éléments, l'administration, par un courrier du 16 avril 2018, a informé la société ENI que l'échantillon contrôlé de 33 opérations d'économies d'énergie avait un taux de conformité de 0 % et l'a mise en demeure, sur le fondement de l'article R. 222-9 précité, de lui transmettre dans un délai d'un mois les preuves de leur conformité aux règles du dispositif des CEE. Par deux courriers du 26 avril et du 29 mai 2018, la société ENI a transmis à l'administration des éléments visant à démontrer l'absence de fondement des manquements allégués. Par un nouveau courrier du 25 septembre 2018, l'administration a répondu à l'argumentation développée par la société et lui a indiqué retenir un taux de conformité de 9,3 % pour les 33 opérations d'économies d'énergie en cause et lui a indiqué son intention de prendre des sanctions à son égard. Par un courrier du 25 octobre 2018, la société ENI a répondu à l'administration. Des représentants de l'administration et la société ENI se sont rencontrées les 23 mai et 10 octobre 2018 pour échanger concernant les manquements reprochés à la société. En outre, si la société ENI affirme que le numéro de contrôle 1014OB/CTR0002 figurant sur la décision de sanction du 15 mai 2019 ne lui avait jamais été communiqué auparavant, il résulte en tout état de cause de l'instruction que, le 17 avril 2019, le format de tous les numéros des demandeurs figurant sur le registre des certificats, dit " EMMY " a été modifié par le responsable du registre, la société Powernext, et que l'ensemble des demandeurs en ont été informés. Enfin, si la société soutient que la sanction est en partie fondée sur des éléments non mentionnés par la mise en demeure du 16 avril 2018, il résulte de l'instruction que ces éléments étaient relatifs à des opérations figurant bien sur la liste des opérations visées par le contrôle et venaient en réponse aux éléments produits par la société elle-même, notamment quant à la situation fiscale des bénéficiaires des opérations en cause, et que la société a disposé du temps nécessaire pour y répondre avant que soit prise la décision de sanction, qui expose par ailleurs clairement les raisons de droit et de fait qui la fonde. Par suite, les moyens tirés de ce que l'administration aurait violé le principe du contradictoire et entaché sa décision d'insuffisance de motivation doivent être écartés.

Sur la légalité interne de la décision de sanction :

En ce qui concerne la bonne foi de la société ENI :

6. Aux termes de l'article R. 222-6 du code de l'énergie : " Est considéré comme un manquement le fait pour un premier détenteur de certificats d'économies d'énergie d'avoir obtenu des certificats sans avoir respecté les dispositions de la section 2 du chapitre Ier, notamment celles relatives aux opérations standardisées mentionnées à l'article R. 221-14 ou celles relatives à la composition d'une demande de certificats d'économies d'énergie mentionnées à l'article R. 221-22 ". Il résulte de ces dispositions, combinées à celles de l'article L. 222-2 du code de l'énergie rappelées au point 2, que si rien n'interdit à une personne soumise à des obligations d'économies d'énergie en vertu des dispositions de l'article L. 221-1 du même code de déléguer à un tiers la réalisation des démarches et opérations nécessaires à la réalisation de ces économies, cette circonstance n'est pas de nature à la décharger de la responsabilité, qui incombe à elle seule, de s'assurer de la réalisation effective de ces économies et, par suite, de la justification des CEE dont elle se prévaut. Sans préjudice de son droit de se retourner contre son prestataire, la personne soumise aux obligations d'énergie susmentionnées est seule passible de la procédure de sanction prévue à l'article L. 222-2 du même code. C'est par suite sans erreur de droit que le ministre a pu refuser de tenir compte, tant pour désigner l'auteur des manquements que pour qualifier leur ampleur, de la bonne foi dont la société se prévalait.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :

7. Il résulte de l'instruction que le montant de la sanction prononcée correspond à la valeur du volume des certificats liés aux opérations ayant fait l'objet des manquements constatés. Compte tenu de la nature et de la gravité de ces manquements ainsi que du nombre d'opérations concernées, et alors même que la société aurait coopéré de bonne foi avec l'administration durant la procédure de contrôle, la sanction prononcée à l'encontre de la société ne peut, dès lors, pas être regardée comme disproportionnée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société ENI n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société ENI Gas and Power France est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société ENI Gas and Power France et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2021 où siégeaient : M. Frédéric Aladjidi, président de chambre, présidant ; M. Thomas Andrieu, conseiller d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 9 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Frédéric Aladjidi

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme A... B...


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 435857
Date de la décision : 09/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 déc. 2021, n° 435857
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU ET TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:435857.20211209
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