La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/11/2021 | FRANCE | N°437821

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 18 novembre 2021, 437821


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 19 octobre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Le Trou d'Houillet dirigées contre l'arrêt n° 17VE03775 du 21 novembre 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant seulement qu'il a rejeté son appel contre le jugement n° 1405578 du 11 octobre 2017 du tribunal administratif de Versailles rejetant sa demande tendant à la condamnation de la commune de Limay à l'indemniser du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive du refus d'autor

isation de lotir opposé par le maire de Limay le 15 février 2007.

P...

Vu la procédure suivante :

Par une décision du 19 octobre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Le Trou d'Houillet dirigées contre l'arrêt n° 17VE03775 du 21 novembre 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant seulement qu'il a rejeté son appel contre le jugement n° 1405578 du 11 octobre 2017 du tribunal administratif de Versailles rejetant sa demande tendant à la condamnation de la commune de Limay à l'indemniser du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive du refus d'autorisation de lotir opposé par le maire de Limay le 15 février 2007.

Par un mémoire en défense, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 25 février 2021, la commune de Limay conclut au rejet du pourvoi et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la société Le Trou d'Houillet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 26 mai 2021, la société Le Trou d'Houillet maintient ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Versailles et à ce que soit mise à la charge solidaire de la commune de Limay et de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la Société Le Trou D'houillet et au Cabinet Colin - Stoclet, avocat de la Commune de Limay ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Le Trou d'Houillet, propriétaire d'un terrain sur le territoire de la commune de Limay (Yvelines), a déposé, le 12 juin 2006, une demande d'autorisation de lotir concernant neuf lots d'une surface totale de 4 414 m². Cette demande a été rejetée par un arrêté du maire de Limay du 15 février 2007, annulé par un jugement du 4 mai 2010 du tribunal administratif de Versailles, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 9 février 2012, au motif que le maire avait entaché son arrêté d'une erreur d'appréciation en se fondant sur l'atteinte à la salubrité ou la sécurité publique par le projet. Une seconde décision de refus d'autorisation de lotir du 27 juillet 2010 a été annulée par un jugement du 29 novembre 2012 du même tribunal devenu définitif. Après avoir accordé à la société Le Trou d'Houillet, le 13 mai 2013, un certificat d'autorisation tacite d'aménager pour la création d'un lotissement de neuf lots, le maire de Limay lui a délivré, le 13 mars 2014, neuf certificats d'urbanisme pré-opérationnels négatifs, en se fondant sur ce que le projet était prévu sur un terrain situé, d'une part, " en zone verte du plan de prévention des risques d'inondation de la vallée de la Seine et de l'Oise dans les Yvelines approuvé en juin 2007 " et dès lors inconstructible, et, d'autre part, sur un " emplacement réservé : réserve d'équipement n°20 du plan local d'urbanisme : espace vert et liaison piétonne ". La société Le Trou d'Houillet a demandé à la commune de Limay et à l'Etat le versement d'une somme de 750 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de l'impossibilité de réaliser son projet immobilier à la suite de l'illégalité des décisions du maire de Limay lui refusant un permis de lotir les 15 février 2007 et 27 juillet 2010, de ses décisions du 13 mars 2014 lui délivrant neuf certificats d'urbanisme négatifs ainsi que de l'arrêté du 30 juin 2007 par lequel le préfet des Yvelines a approuvé le plan de prévention des risques d'inondation de la vallée de la Seine et de l'Oise dans le département des Yvelines en tant qu'il classe sa parcelle en zone naturelle et donc en zone verte et en zone d'aléa fort.

2. Par une décision du 19 octobre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Le Trou d'Houillet dirigées contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 21 novembre 2019 rejetant son appel contre le jugement du tribunal administratif de Versailles du 11 octobre 2017 rejetant sa demande d'indemnisation, en tant seulement que cet arrêt a rejeté la demande de condamnation de la commune de Limay à raison du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive du refus d'autorisation de lotir opposé par le maire de Limay le 15 février 2007.

3. La décision par laquelle l'autorité administrative s'oppose illégalement à une opération de lotissement constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Dans le cas où l'autorité administrative pouvait, sans méconnaître l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant au jugement d'annulation de cette décision, légalement rejeter la demande d'autorisation, au motif notamment que le lotissement projeté était situé dans un secteur inconstructible en vertu des règles d'urbanisme applicables, l'illégalité commise ne présente pas de lien de causalité direct avec les préjudices résultant de l'impossibilité de mettre en œuvre le projet immobilier projeté. Dans les autres cas, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison du refus illégal opposé à la demande de lotissement revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va, toutefois, autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs des lots ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Ce dernier est alors fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour juger que le chef de préjudice tiré de la perte du prix de cession de son terrain par la société Le Trou d'Houillet ne présentait pas un caractère suffisamment certain pour ouvrir droit à indemnisation, la cour s'est bornée à relever, d'une part, la signature, le 2 mai 2007, entre la société et un promoteur d'un protocole d'accord par lequel ce dernier s'engageait à acquérir le terrain litigieux au prix de 640 000 euros à condition que les neuf parcelles obtiennent un " permis " et que " tous les recours soient épuisés " et, d'autre part, l'absence d'autres démarches entreprises par la société. Il s'ensuit qu'en retenant l'absence de caractère direct et certain du préjudice sans rechercher, dans l'hypothèse où l'autorisation de lotir aurait été délivrée le 15 février 2007, quelle était la probabilité, notamment au regard des règles alors applicables, de l'octroi des permis de construire objet de la condition suspensive de la vente du terrain litigieux dans le protocole d'accord du 2 mai 2007, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Le Trou d'Houillet est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles qu'elle attaque en tant qu'il statue sur sa demande de condamnation de la commune de Limay à l'indemniser du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive du refus d'autorisation de lotir opposé par le maire de Limay le 15 février 2007.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Limay la somme de 3 000 euros à verser à la société Le Trou d'Houillet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Le Trou d'Houillet qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

----------------

Article 1er : L'arrêt du 21 novembre 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il statue sur la demande de la société Le Trou d'Houillet tendant à la condamnation de la commune de Limay à l'indemniser du préjudice subi du fait de l'illégalité fautive du refus d'autorisation de lotir opposé par le maire de Limay le 15 février 2007.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : La commune de Limay versera à la société Le Trou d'Houillet la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Limay au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SCI Le Trou d'Houillet, à la commune de Limay et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 octobre 2021 où siégeaient : Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 18 novembre 2021.

La présidente :

Signé : Mme Nathalie Escaut

La rapporteure :

Signé : Mme Christelle Thomas

Le secrétaire :

Signé : Mme A... B...


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 18 nov. 2021, n° 437821
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : CABINET COLIN - STOCLET ; CABINET ROUSSEAU ET TAPIE

Origine de la décision
Formation : 10ème chambre
Date de la décision : 18/11/2021
Date de l'import : 23/11/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 437821
Numéro NOR : CETATEXT000044344698 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2021-11-18;437821 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award