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15/10/2021 | FRANCE | N°436386

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 15 octobre 2021, 436386


Vu la procédure suivante :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire d'Annœullin (Nord) sur sa demande d'abrogation de l'arrêté municipal du 29 avril 2013 portant interdiction d'accès aux piétons au chemin de Saint-Vaast les jours ouvrés, d'enjoindre à la commune de procéder à l'abrogation de cet arrêté municipal dans un délai de quinze jours et de condamner la commune à lui verser la somme de 68 888 euros en réparation du préjudice subi. Par un jugement

n° 1403281 du 6 avril 2017, le tribunal administratif a annulé le refus d'...

Vu la procédure suivante :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire d'Annœullin (Nord) sur sa demande d'abrogation de l'arrêté municipal du 29 avril 2013 portant interdiction d'accès aux piétons au chemin de Saint-Vaast les jours ouvrés, d'enjoindre à la commune de procéder à l'abrogation de cet arrêté municipal dans un délai de quinze jours et de condamner la commune à lui verser la somme de 68 888 euros en réparation du préjudice subi. Par un jugement n° 1403281 du 6 avril 2017, le tribunal administratif a annulé le refus d'abrogation, enjoint à la commune d'abroger l'arrêté du 29 avril 2013 sous astreinte de 50 euros par jour de retard et condamné la commune d'Annœullin à verser à M. D... la somme qu'il demandait.

Par un arrêt n°17DA01048 du 1er octobre 2019, la cour administrative d'appel de Douai, sur appel de la commune d'Annœullin, a annulé ce jugement en tant qu'il avait condamné la commune à verser une indemnité, a rejeté la demande indemnitaire de M. D... ainsi que son appel incident et a rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de la commune.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 décembre 2019 et 3 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette son appel incident et sa demande indemnitaire de première instance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la commune d'Annœullin et de la condamner à lui verser la somme de 99 079 euros, assortie des intérêts légaux.

3°) de mettre à la charge de la commune d'Annœullin la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts ;

- le décret n°2010-720 du 28 juin 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 29 février 2013, le maire d'Annœullin (Nord) a limité la circulation sur le chemin rural de Saint-Vaast qui permet notamment de se rendre du débit de tabac " Le Reinitas ", situé sur le territoire de la commune de Carnin, au centre pénitentiaire d'Annœullin. M. D..., gérant de ce débit de tabac, a demandé à la commune d'abroger cet arrêté et de l'indemniser du préjudice commercial qu'il lui avait causé, en faisant valoir qu'en réservant ce chemin aux seuls véhicules agricoles et en l'interdisant à toute autre circulation, y compris piétonne, cet arrêté avait eu pour conséquence que son commerce de tabac avait cessé d'être regardé comme le débit de tabac le plus proche du centre pénitentiaire d'Annœullin, au sens des dispositions du décret du 28 juin 2010 relatif à l'exercice du monopole de la vente au détail des tabacs manufacturés et qu'il avait, en conséquence, perdu les ressources qu'il tirait de l'approvisionnement de ce centre pénitentiaire, au profit de son concurrent " Le Totem " situé à Annœullin.

2. Par un jugement du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Lille a annulé le refus d'abrogation de l'arrêté du 29 février 2013 opposé par la commune d'Annœullin et a condamné cette dernière à verser à M. D... la somme de 68 888 euros en réparation du préjudice commercial subi. Sur appel de la commune, la cour administrative d'appel de Douai a confirmé l'illégalité du refus d'abrogation mais a, en revanche, rejeté les conclusions indemnitaires de M. D... au motif que les limitations apportées à la circulation sur le chemin de Saint-Vaast par l'arrêté du 29 février 2013 n'étaient pas la cause du préjudice commercial subi par l'intéressé, son commerce de tabac ayant, à cette date, déjà cessé de remplir les conditions prévues par le décret du 28 juin 2010 pour être le débit de tabac le plus proche du centre pénitentiaire d'Annœullin par l'effet d'un arrêté municipal antérieur du 14 octobre 2004, lequel avait interdit le chemin de Saint-Vaast à la circulation des véhicules à moteur autres que les engins agricoles. M. D... se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il statue sur ses conclusions indemnitaires.

3. En vertu des dispositions combinées de l'article 45 et de l'article 47 du décret du 28 juin 2010, l'établissement pénitentiaire qui assure en son sein l'activité de revendeur de tabacs manufacturés est tenu, sauf dérogations strictement encadrées, de s'approvisionner exclusivement auprès du débit de tabac ordinaire permanent le plus proche, lequel est dénommé " débit de rattachement ". Aux termes de l'article 47 de ce décret : " II. Le revendeur doit être en mesure de justifier à tout moment que son débit de rattachement est le plus proche de son établissement, la distance prise en compte étant celle séparant l'entrée principale de celui-ci de l'entrée du débit de rattachement, par l'itinéraire le plus court en empruntant toute voie de circulation, y compris celles accessibles uniquement aux piétons. Les voies privées ne peuvent être incluses dans l'itinéraire que si elles sont ouvertes au public pendant la journée. / III. En cas de fermeture pour congés annuels du débit de rattachement, le revendeur peut s'approvisionner auprès d'un autre débit de tabac ordinaire permanent. Ce débit de tabac est le débit le plus proche ouvert, déterminé selon les modalités fixées au II ". Aux termes de l'article 49 du même décret : " (...) / Le revendeur ou son représentant, mandaté à cet effet, transporte les tabacs, sous sa seule responsabilité, entre le débit de rattachement et son établissement, sous couvert d'un carnet de revente délivré par le débit de rattachement (...) ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que, pour leur application, la distance entre l'entrée principale d'un établissement revendeur et celle de son débit de rattachement est celle de l'itinéraire le plus court incluant toutes les voie de circulation, y compris les voies accessibles uniquement aux piétons ou celles qui, bien que privées, sont ouvertes au public pendant la journée. Il en résulte qu'un tel itinéraire, qui n'a pas nécessairement à être celui qui sera effectivement emprunté mais a pour seul objet de désigner le débit de rattachement, peut comporter une succession de voies réservées à des modes de circulation différents et qu'il n'y a notamment lieu de tenir compte, pour le déterminer, ni de la durée des déplacements le long de ses voies ni de la circonstance qu'il serait, en raison de la nécessité de recourir à un mode de transport sécurisé, impropre au transport effectif du tabac.

4. Or il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'arrêté du 14 octobre 2004 interdisant, sur le chemin de Saint-Vaast, la circulation des véhicules à moteur autres que les engins agricoles, avait fait perdre au débit de tabac " Le Reinitas " son caractère de débit le plus proche du centre pénitentiaire d'Annœullin, la cour administrative d'appel s'est notamment fondée sur la nécessité d'utiliser un véhicule pour aller chercher le tabac, compte tenu des quantités en cause et des risques que présente le transport de ce type de produit. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en statuant ainsi, elle a commis une erreur de droit. M. D... est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que, par ses articles 1er et 2, il rejette ses conclusions indemnitaires présentées tant en première instance que, à titre incident, en appel.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Annœullin une somme de 3 000 euros à verser à M. D... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 1er octobre 2019 sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai dans la mesure de l'annulation prononcée.

Article 3 : La commune d'Annœullin versera à M. D... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... D... et à la commune d'Annœullin.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 septembre 2021 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. B... G..., M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme M... J..., M. L... C..., M. E... I..., M. A... K..., M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et M. Olivier Rousselle, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 15 octobre 2021.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Rousselle

La secrétaire :

Signé : Mme H... F...


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 436386
Date de la décision : 15/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-02-07 COMMERCE, INDUSTRIE, INTERVENTION ÉCONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. - RÉGLEMENTATION DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES. - MODALITÉS DE LA RÉGLEMENTATION. - MODALITÉS DE LA RÉGLEMENTATION DES MONOPOLES. - VENTE AU DÉTAIL DES TABACS MANUFACTURÉS - DÉTERMINATION DU DÉBIT DE RATTACHEMENT [RJ1].

14-02-02-07 En vertu de la combinaison des articles 45 et 47 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010, l'exploitant d'un établissement autorisé à vendre des tabacs manufacturés en qualité de revendeur est tenu, sauf dérogations strictement encadrées, de s'approvisionner exclusivement auprès du débit de tabac ordinaire permanent le plus proche, lequel est dénommé débit de rattachement.......Il résulte des termes mêmes des articles 47 et 49 de ce décret que, pour leur application, la distance entre l'entrée principale d'un établissement revendeur et celle de son débit de rattachement est celle de l'itinéraire le plus court incluant toutes les voie de circulation, y compris les voies accessibles uniquement aux piétons ou celles qui, bien que privées, sont ouvertes au public pendant la journée.......Il en résulte qu'un tel itinéraire, qui n'a pas nécessairement à être celui qui sera effectivement emprunté mais a pour seul objet de désigner le débit de rattachement, peut comporter une succession de voies réservées à des modes de circulation différents et qu'il n'y a notamment lieu de tenir compte, pour le déterminer, ni de la durée des déplacements le long de ses voies ni de la circonstance qu'il serait, en raison de la nécessité de recourir à un mode de transport sécurisé, impropre au transport effectif du tabac.


Références :

[RJ1]

Comp. Cass. com., 24 mai 2017, n° 16-12.184, inédit au Bulletin.


Publications
Proposition de citation : CE, 15 oct. 2021, n° 436386
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Rousselle
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 24/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:436386.20211015
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