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06/10/2021 | FRANCE | N°446945

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 06 octobre 2021, 446945


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 novembre 2020, 24 février 2021 et 21 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 septembre 2020 l'ayant déchu de la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

-

la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le t...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 novembre 2020, 24 février 2021 et 21 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 26 septembre 2020 l'ayant déchu de la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code pénal ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.

2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal. L'article 421-2-2 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme " mentionnés aux mêmes articles, " indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte ".

3. M. E... D... a été déchu de la nationalité française par un décret du 26 septembre 2020 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, au motif qu'il a été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de C... en date du 23 octobre 2008 à une peine de cinq ans d'emprisonnement pour avoir financé une entreprise terroriste et participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par les articles 421-2-1 et 421-2-2 du code pénal.

4. En premier lieu, aux termes de l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française : " Lorsque le Gouvernement décide de faire application des articles 25 et 25-1 du code civil, il notifie les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française, en la forme administrative ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...). L'intéressé dispose d'un délai d'un mois à dater de la notification ou de la publication de l'avis au Journal officiel pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense. A l'expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d'Etat, que l'intéressé est déchu de la nationalité française ".

5. Après avoir cité les textes applicables et énoncé que M. D..., qui a acquis la nationalité française en 1995, a été condamné par un jugement du tribunal de grande instance de C... du 23 octobre 2008 à une peine de cinq ans d'emprisonnement pour des faits commis courant 2003, 2004, 2005 et jusqu'au 26 septembre 2005 et qualifiés de financement d'entreprise terroriste et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, le décret attaqué indique que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies, sans qu'aucun élément relatif à la situation personnelle du requérant et aux circonstances de l'espèce justifie qu'il y soit fait obstacle. Dans ces conditions, le décret attaqué satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... a été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement pour des faits qualifiés de financement d'entreprise terroriste et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. D... a appartenu au groupe " Ansar al-Fath ", qu'il a joué un rôle important dans le financement de ce groupe à travers le développement et la gestion de sociétés commerciales, et qu'il lui a apporté un soutien logistique. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française n'a pas revêtu, dans les circonstances de l'espèce, un caractère disproportionné. Le comportement ultérieur de l'intéressé ne permet pas de remettre en cause cette appréciation.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui (...) ".

8. La sanction de déchéance de la nationalité, pour le cas prévu au 1° de l'article 25 du code civil, a pour objectif de renforcer la lutte contre le terrorisme. Un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise comme sur ses liens avec les membres de sa famille et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et porte une atteinte au droit au respect de sa vie privée, dont l'intensité dépend en particulier du mode et de la date d'acquisition de la nationalité. En l'espèce, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans que la circonstance qu'il ait été pris quinze ans après les faits soit de nature à remettre en cause cette appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Les conclusions qu'il présente au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 10 septembre 2021 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Anne Courrèges, M. Mathieu Herondart, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Clément Tonon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 6 octobre 2021.

Le Président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Clément Tonon

La secrétaire :

Signé : Mme Annie Di Vita


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 446945
Date de la décision : 06/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 oct. 2021, n° 446945
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Clément Tonon
Rapporteur public ?: M. Philippe Ranquet
Avocat(s) : SCP SPINOSI

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:446945.20211006
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