La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/07/2021 | FRANCE | N°450431

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 28 juillet 2021, 450431


Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, a saisi le tribunal administratif de Montreuil de sa décision du 2 décembre 2020 par laquelle elle a constaté l'absence de dépôt du compte de campagne de Mme A... B..., candidate tête de liste aux élections municipales et communautaires qui se sont tenues les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Par un jugement n° 2013939 du 9 février 2021, le tribunal administratif

de Montreuil a déclaré Mme B... inéligible pour une durée de six...

Vu la procédure suivante :

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), sur le fondement de l'article L. 52-15 du code électoral, a saisi le tribunal administratif de Montreuil de sa décision du 2 décembre 2020 par laquelle elle a constaté l'absence de dépôt du compte de campagne de Mme A... B..., candidate tête de liste aux élections municipales et communautaires qui se sont tenues les 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Par un jugement n° 2013939 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil a déclaré Mme B... inéligible pour une durée de six mois.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mars et 12 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral ;

- la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. La liste conduite par Mme A... B... dans le cadre du premier tour des élections municipales et communautaires qui se sont déroulées à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) le 15 mars 2020 a obtenu 2,65 % des suffrages exprimés. Par une décision du 2 décembre 2020, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), constatant que Mme B... n'avait pas déposé ses comptes de campagne auprès d'elle, a saisi le tribunal administratif de Montreuil en application de l'article L. 52-15 du code électoral. Le 31 décembre 2020, soit après la saisine du tribunal administratif de Montreuil par la CNCCFP, Mme B... a adressé ses comptes de campagne à cette commission, qui les a transmis à ce tribunal. Mme B... a ensuite adressé des pièces complémentaires au tribunal, notamment ses comptes de campagne certifiés par un expert-comptable, datés du 18 janvier 2021. Mme B... fait appel du jugement du 9 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil l'a déclarée inéligible pour une durée de six mois.

2. Aux termes de l'article L. 118-3 du code électoral, dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral : " Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. (...) / Saisi dans les mêmes conditions, le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12. / Il prononce également l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales. ". Aux termes de ce même article dans sa rédaction issue de cette loi : " Lorsqu'il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le juge de l'élection, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, peut déclarer inéligible : 1° Le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ; (...) ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 15 de la loi du 2 décembre 2019 : " La présente loi, à l'exception de l'article 6, entre en vigueur le 30 juin 2020 ". Aux termes du XVI de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " A l'exception de son article 6, les dispositions de la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ne sont pas applicables au second tour de scrutin régi par la présente loi ". Il résulte de ces dispositions que les dispositions de la loi du 2 décembre 2019 modifiant celles du code électoral, à l'exception de son article 6, ne sont pas applicables aux opérations électorales en vue de l'élection des conseillers municipaux et communautaires organisées les 15 mars et 28 juin 2020, y compris en ce qui concerne les comptes de campagne.

4. Toutefois, l'inéligibilité prévue par les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral constitue une sanction ayant le caractère d'une punition. Il incombe dès lors au juge de l'élection, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à ce qu'un candidat dont le compte de campagne est rejeté soit déclaré inéligible et à ce que son élection soit annulée, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date des faits litigieux et celle à laquelle il statue. Le législateur n'ayant pas entendu, par les dispositions citées au point 3, faire obstacle à ce principe, le juge doit faire application aux opérations électorales mentionnées à ce même point des dispositions de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019. En effet, cette loi nouvelle laisse désormais au juge, de façon générale, une simple faculté de déclarer inéligible un candidat en la limitant aux cas où il relève une volonté de fraude ou un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, alors que l'article L. 118-3 dans sa version antérieure, d'une part, prévoyait le prononcé de plein droit d'une inéligibilité lorsque le compte de campagne avait été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité et, d'autre part, n'imposait pas cette dernière condition pour que puisse être prononcée une inéligibilité lorsque le candidat n'avait pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrit par l'article L. 52-12 de ce même code.

5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil s'est fondé sur les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 décembre 2019 pour infliger à Mme B... une sanction d'inéligibilité d'une durée de six mois.

6. Il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les griefs soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif.

7. Aux termes de l'article L. 52-12 du code électoral dans sa rédaction en vigueur à la date de l'élection : " Chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle, par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4. (...) / Au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques son compte de campagne et ses annexes accompagné des justificatifs de ses recettes (...). Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés ; celui-ci met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises. (...) ". Aux termes du 4° du XII de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " Pour les listes de candidats présentes au seul premier tour, la date limite mentionnée à la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral est fixée au 10 juillet 2020 à 18 heures ". Aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral dans sa rédaction en vigueur à la date de cette même élection : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. (...) / Hors le cas prévu à l'article L. 118-2, elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes. Passé ce délai, les comptes sont réputés approuvés. / Lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, (...) la commission saisit le juge de l'élection ".

8. Le dépôt par un candidat de ses comptes de campagne auprès de la CNCCFP dans le délai prévu par les dispositions combinées de l'article L. 52-12 du code électoral et du 4° du XII de l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 citées ci-dessus est au nombre des règles substantielles relatives au financement des campagnes électorales dont la méconnaissance peut, si elle est délibérée, constituer un manquement d'une particulière gravité à ces règles et justifier ainsi une sanction d'inéligibilité prise sur le fondement des dispositions l'article L. 118-3 du même code dans sa rédaction issue de la loi du 2 décembre 2019.

9. Il ne résulte pas de l'instruction que Mme B... ait, comme elle l'affirme, transmis ses comptes de campagne à la CNCCFP le 24 juin 2020, soit avant l'expiration du délai légal, fixé au 10 juillet 2020 à 18 heures. Si Mme B... soutient que la mise en demeure que la CNCCFP lui a adressée par un courrier en recommandé, avec accusé de réception daté du 20 août 2020, l'invitant à lui transmettre ses comptes sous peine de saisine prochaine du juge de l'élection ne lui est jamais parvenue et que la CNCCFP en est responsable, dès lors qu'elle n'a pas tenu compte du changement d'adresse qu'elle lui avait indiqué dans son envoi du 24 juin 2020, il n'est pas établi, comme il vient d'être dit, que la transmission du 24 juin ait eu lieu. Par suite, la CNCCFP a pu à bon droit adresser la mise en demeure du 20 août 2020 à l'adresse que Mme B... avait utilisée durant sa campagne électorale. En outre, en tout état de cause, la CNCCFP n'était pas tenue de lui adresser une telle mise en demeure. Enfin, si Mme B... soutient que le refus par la CNCCFP de lui communiquer le dossier la concernant fait obstacle à ce qu'elle puisse établir si les pièces que La Poste aurait retournées à cette commission à la suite du courrier en recommandé avec accusé de réception du 20 août 2020 prouvent que l'adresse à laquelle ce courrier lui a été adressé était erronée, il résulte toutefois de l'instruction qu'à la date de cette mise en demeure le délai légal d'envoi des comptes de campagne avait déjà expiré.

10. Ainsi, en ne transmettant pas ses comptes de campagne auprès de la CNCCFP dans le délai prévu par la loi, Mme B... a méconnu une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales. Si, pour justifier cette méconnaissance, elle invoque notamment son état de santé et sa charge de travail d'enseignante, accrue en raison de l'épidémie de covid-19, ces circonstances ne permettent pas d'écarter le caractère délibéré de ce manquement. Mme B... doit, par conséquent, être regardée comme ayant commis un manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales qui justifie, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, qu'elle soit déclarée inéligible pour une durée de six mois.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par son jugement du 9 février 2021, le tribunal administratif de Montreuil l'a déclarée inéligible pour une durée de six mois.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 450431
Date de la décision : 28/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2021, n° 450431
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Barbat
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:450431.20210728
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award