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26/07/2021 | FRANCE | N°439902

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 26 juillet 2021, 439902


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février 2020 et 5 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Santé Environnement Combe de Savoie, Maurice Pichon et l'EARL Domaine Giachino demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur leur demande tendant au retrait de l'arrêté du 26 août 2019 relatif à la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceut

iques, ainsi que cet arrêté ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de just...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février 2020 et 5 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Santé Environnement Combe de Savoie, Maurice Pichon et l'EARL Domaine Giachino demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur leur demande tendant au retrait de l'arrêté du 26 août 2019 relatif à la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques, ainsi que cet arrêté ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice des trois questions préjudicielles suivantes :

- " Doit-on qualifier de déchets au sens de l'article 3 point 1 de la directive 2008/98/CE, de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, les produits phytopharmaceutiques et les substances qui les composent, dès lors que le détenteur (l'utilisateur) s'en sépare et ne les maîtrise plus, du fait des dérives inhérentes à leur mode d'application ou par entraînement après leur application à l'extérieur de la propriété à laquelle ils sont destinés ' " ;

- " Les résidus de produits phytopharmaceutiques entraînés hors des propriétés où ils sont utilisés et déposés ou entraînés dans une propriété voisine ou dans le domaine public sans utilité pour le propriétaire voisin ou la collectivité publique, doivent-ils être qualifiés de déchets au sens de l'article 3 point 1 de la directive 2008/98/CE, de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement ' " ;

- " Si les produits ou substances dérivant hors des parcelles où ils sont utilisés ne sont pas qualifiés de déchets, doit-on considérer que leurs dépôts chez les tiers après franchissement de la limite de propriété consécutifs à leur émission dans l'environnement portent atteinte au droit de propriété reconnu par l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ' " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;

- le règlement (UE) n° 284/2013 de la Commission du 1er mars 2013 ;

- la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 ;

- la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime, notamment son article L. 253-8 ;

- la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 ;

- l'arrêté du 27 juin 2011 relatif à l'interdiction d'utilisation de certains produits mentionnés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime dans des lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables ;

- l'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui les utilisent ;

- l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 26 août 2019 relatif à la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime : " I. -La pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques est interdite. / En cas de danger sanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens, la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques pour lutter contre ce danger peut être autorisée temporairement par arrêté conjoint des ministres chargés de l'environnement, de l'agriculture et de la santé ". Par dérogation au premier alinéa de cet article, l'article 82 de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous prévoit qu' " une expérimentation de l'utilisation des aéronefs télépilotés pour la pulvérisation aérienne de produits autorisés en agriculture biologique ou dans le cadre d'une exploitation faisant l'objet d'une certification du plus haut niveau d'exigence environnementale mentionnée à l'article L. 611-6 du même code est menée, pour une période maximale de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, sur des surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 %. Cette expérimentation, qui fait l'objet d'une évaluation par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, vise à déterminer les bénéfices liés à l'utilisation de drones pour limiter les risques d'accidents du travail et pour l'application de produits autorisés en agriculture biologique ou faisant l'objet d'une certification du plus haut niveau d'exigence environnementale mentionnée à l'article L. 611-6 du même code en matière de réduction des risques pour la santé et l'environnement. / Les conditions et modalités de cette expérimentation sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l'environnement, de l'agriculture et de la santé de manière à garantir l'absence de risque inacceptable pour la santé et l'environnement ".

2. La ministre de la transition écologique et solidaire, la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ont défini, par un arrêté du 26 août 2019 pris en application des dispositions précitées de l'article 82 de la loi du 30 octobre 2018, les conditions et modalités dans lesquelles les essais d'utilisation d'aéronefs télépilotés peuvent être autorisés et réalisés. Les requérants doivent être regardés comme demandant l'annulation de cet arrêté en tant qu'il prévoit des mesures insuffisantes pour garantir la santé et les droits des tiers aux opérations d'utilisation des produits phytopharmaceutiques par aéronefs télépilotés.

Sur la légalité externe :

3. En premier lieu, la circonstance que la Charte de l'environnement ne soit pas mentionnée dans les visas de l'arrêté attaqué est dépourvue de toute incidence sur sa légalité.

4. En deuxième lieu, l'article L. 1313-1 du code de la santé publique dispose que : " l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a pour mission de réaliser l'évaluation des risques, de fournir aux autorités compétentes toutes les informations sur ces risques ainsi que l'expertise et l'appui scientifique et technique nécessaires à l'élaboration des dispositions législatives et réglementaires et à la mise en oeuvre des mesures de gestion des risques ". La note d'appui scientifique et technique de l'ANSES relatif à la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques, en date du 30 juillet 2019, vise seulement, sur le fondement des dispositions précitées, à éclairer l'autorité administrative dans l'élaboration de l'arrêté litigieux. Dans ces conditions, les requérants ne peuvent utilement soutenir que l'arrêté du 26 août 2019 serait entaché d'irrégularité en ce que la note de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'environnement et du travail (ANSES) sur le projet d'arrêté, d'une part, n'a pas été communiquée au public lors de sa consultation, d'autre part, se borne à se référer à des textes normatifs ou des études de tiers et, enfin, renvoie vers des documents en anglais dont la majorité n'est pas accessible gratuitement, ces circonstances étant sans incidence sur la légalité de l'acte attaqué.

5. En troisième lieu, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué serait entaché d'irrégularité en ce qu'il méconnaîtrait le cadre constitutionnel au regard, d'une part, de la Charte de l'environnement et, d'autre part, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Sur la légalité interne :

6. D'une part, aux termes de l'article 9 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable : " 1. Les Etats membres veillent à ce que la pulvérisation aérienne soit interdite. / 2. Par dérogation au paragraphe 1, la pulvérisation aérienne ne peut être autorisée que dans des cas particuliers, sous réserve que les conditions ci-après sont remplies: (...) / e) si la zone à pulvériser est à proximité immédiate de zones ouvertes au public, l'autorisation comprend des mesures particulières de gestion des risques afin de s'assurer de l'absence d'effets nocifs pour la santé des passants. La zone à pulvériser n'est pas à proximité immédiate de zones résidentielles ". Aux termes de l'article 12 de la même directive : " Les Etats membres, tenant dûment compte des impératifs d'hygiène, de santé publique et de respect de la biodiversité ou des résultats des évaluations des risques appropriées, veillent à ce que l'utilisation de pesticides soit restreinte ou interdite dans certaines zones spécifiques. (...) Les zones spécifiques en question sont : / a) les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 (...) ". Le règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable prévoit, à son article 3, que font partie de ces groupes vulnérables " les femmes enceintes et les femmes allaitantes, les enfants à naître, les nourrissons et les enfants, les personnes âgées et les travailleurs et habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme ". Par ailleurs, le point 7.2.2 de l'annexe du règlement de la Commission du 1er mars 2013 établissant les exigences en matière de données applicables aux produits phytopharmaceutiques dispose que " Des informations doivent être fournies pour permettre une évaluation de l'importance de l'exposition aux substances actives et aux composés toxicologiquement importants susceptible de se produire dans les conditions d'utilisation proposées, compte tenu des effets cumulés et synergiques, le cas échéant. Ces informations doivent également servir de base pour le choix de mesures de protection appropriées, qui comprennent une restriction relative aux délais d'entrée, l'exclusion des résidents et des personnes présentes des espaces de traitement et des distances de séparation ". Le point 7.2 de cette même annexe définit les résidents comme des " personnes qui habitent, travaillent ou fréquentent une institution à proximité des espaces traités avec des produits phytopharmaceutiques, à une fin autre que celle de travailler dans l'espace traité ou avec les produits traités ".

7. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et des adjuvants vendus seuls ou en mélange et leur expérimentation sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, et par les dispositions du présent chapitre. (...) ". Aux termes du I de l'article L. 253-7 du même code, pris pour la transposition notamment de l'article 12 de la directive du 21 octobre 2009 précitée : " I. - (...) l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. Elle en informe sans délai le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. / L'autorité administrative peut interdire ou encadrer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : / 1° Sans préjudice des mesures prévues à l'article L. 253-7-1, les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ".

8. Enfin, il appartient à l'autorité administrative, sur le fondement du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime transposant la directive du 21 octobre 2009, de prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière, s'agissant de la mise sur le marché, de la délivrance, de l'utilisation et de la détention de produits phytopharmaceutiques, qui s'avère nécessaire à la protection de la santé publique ou de l'environnement.

En ce qui concerne l'évaluation de la dérive de pulvérisation des produits phytopharmaceutiques :

9. L'article 2 de l'arrêté du 26 août 2019 relatif à la mise en oeuvre d'une expérimentation de l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques dispose que : " L'expérimentation est conduite conformément au plan expérimental décrit en annexe 1. Elle repose sur la consolidation des résultats d'essais autorisés selon la procédure définie au titre Ier et mis en oeuvre dans les conditions définies au titre II. ". Le plan expérimental figurant à l'annexe 1 de l'arrêté attaqué prévoit que soient notamment caractérisées " la dérive de pulvérisation dans les conditions d'emploi avec le matériel utilisé et de l'exposition des milieux " ainsi que la " qualité de la pulvérisation ". Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " Tout opérateur souhaitant conduire un essai concourant à la réalisation de l'expérimentation visée par le présent arrêté transmet une demande au ministre chargé de l'agriculture selon les modalités définies à l'annexe 2. / La demande est accompagnée d'un dossier composé des éléments suivants : (...) / 2. La présentation de l'essai au regard des objectifs du plan expérimental mentionnés à l'annexe 1 ; (...) / 4. Une description détaillée du protocole de l'essai et des conditions de sa mise en oeuvre, y compris la nature des données collectées, le début et la fin de la période des opérations de traitement qui seront réalisées dans le cadre de l'essai, les modalités de collecte des conditions météorologiques, les éléments relatifs aux vols ; (...) / 10. Les méthodes de traitement statistique des données, la nature des paramètres mesurés et des conclusions qui pourront être tirées ainsi que les paramètres de variabilité ". L'article 4 de l'arrêté attaqué dispose, par ailleurs, que l'autorité administrative " prend en compte le niveau de sécurité assuré par le protocole d'essai, la contribution de l'essai à l'atteinte des objectifs de l'expérimentation et la qualité des résultats qu'il peut générer ". L'article 5 du même arrêté dispose que : " Au plus tard six mois après la réalisation de l'essai et avant le 30 octobre 2021, le détenteur de l'autorisation transmet le rapport final de l'essai selon les modalités de l'annexe 2. Ce rapport liste les opérations de traitement réalisées dans le cadre de l'essai selon le modèle de l'annexe 3 ".

10. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que tout opérateur qui utilise un aéronef télépiloté pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques dans le cadre de l'expérimentation prévue par la loi du 30 octobre 2018 est tenu de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à l'évaluation des dérives des produits phytopharmaceutiques utilisés. A cet égard, l'expérimentation est conduite conformément au plan expérimental qui permet la caractérisation de la dérive de pulvérisation. D'autre part, l'autorité administrative s'assure, préalablement à l'autorisation de l'essai, de l'adéquation entre les moyens mis en oeuvre et les résultats attendus, conformément au plan expérimental. Enfin, si le modèle de tableau listant les opérations de traitement réalisées dans le cadre de l'essai, prévu à l'annexe 3 de l'arrêté attaqué, ne comporte pas de colonne permettant de caractériser la dérive des produits phytopharmaceutiques utilisés, le rapport final de l'essai transmis à l'autorité administrative doit contenir tout élément utile permettant à l'ANSES d'évaluer la qualité des essais réalisés. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions attaquées ne prévoient aucune mesure d'évaluation obligatoire des dérives des produits phytopharmaceutiques.

En ce qui concerne les dérives de produits phytopharmaceutiques sur des propriétés voisines de la parcelle traitée :

11. D'une part, aux termes de l'article 6 de l'arrêté attaqué : " Ne peuvent être utilisés pour la réalisation d'un essai que les produits visés à l'article 1er du présent arrêté et qui ne contiennent pas une ou des substances actives : / a) Considérées comme ayant des propriétés perturbant le système endocrinien conformément à l'annexe II du règlement (CE) n° 1107/2009 susvisé ; / b) Présentant une des mentions de danger suivantes : H300, H301, H304, H310, H311, H330, H331, H334, H340, H341, H350, H350i, H351, H360, H360F, H360D, H360FD, H360Fd, H360Df, H361, H361f, H361d, H361fd, H362, H370, H372 ; / c) Qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques, conformément aux critères énoncés à l'annexe II du règlement (CE) n° 1107/2009 susvisé ; / d) Qui sont très persistantes et très bioaccumulables, conformément aux critères énoncés à l'annexe II du règlement (CE) n° 1107/2009 susvisé ; / e) Qui sont des polluants organiques persistants conformément aux critères énoncés à l'annexe II du règlement (CE) n° 1107/2009 susvisé ". D'autre part, l'article 9 de l'arrêté attaqué instaure une distance de sécurité qui ne peut être inférieure à 100 mètres entre la limite de la parcelle traitée et certaines zones spécifiques comme les " habitations, jardins et lieux accueillant du public ou des groupes de personnes vulnérables listés à l'annexe de l'arrêté du 27 juin 2011 " et qui s'applique sans préjudice des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, lesquelles prévoient, dans leur rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, que " Quelle que soit l'évolution des conditions météorologiques durant l'utilisation des produits, des moyens appropriés doivent être mis en oeuvre pour éviter leur entraînement hors de la parcelle ou de la zone traitée. / En particulier, les produits ne peuvent être utilisés en pulvérisation ou poudrage que si le vent a un degré d'intensité inférieur ou égal à 3 sur l'échelle de Beaufort ". Enfin, l'article 11 de ce même arrêté dispose que : " Pour chaque opération de traitement, le chantier est balisé et interdit d'accès au public en limite de la parcelle traitée, de même que les voies d'accès au chantier à une distance de 50 mètres des limites de la parcelle traitée ".

12. En premier lieu, si l'arrêté attaqué prévoit des mesures de protection afin de garantir l'absence de risque inacceptable pour la santé et l'environnement des essais réalisés, en particulier pour la santé de plusieurs catégories de personnes vulnérables, il ne prévoit aucune mesure spécifique de protection de la santé des travailleurs agricoles exerçant leur activité à proximité immédiate de la parcelle traitée à l'aide d'un aéronef télépiloté, qui doivent pourtant être regardés comme des résidents au sens du règlement (UE) n ° 284/2013 de la Commission du 1er mars 2013. Ainsi, alors qu'il appartient à l'autorité administrative de prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière, s'agissant de la mise sur le marché, de la délivrance, de l'utilisation et de la détention de produits phytopharmaceutiques, qui s'avère nécessaire à la protection de la santé publique, les requérants sont fondés à soutenir que les dispositions de l'arrêté attaqué n'assurent pas une protection suffisante de la santé des personnes travaillant à proximité immédiate des parcelles traitées à l'aide d'aéronefs télépilotés et sont, dans cette mesure, illégales.

13. En deuxième lieu, d'une part, les dispositions attaquées visent à évaluer, à titre expérimental, les bénéfices liés à l'utilisation d'aéronefs télépilotés dans les parcelles agricoles présentant une forte pente pour limiter les risques d'accidents du travail et pour l'application de produits phytopharmaceutiques utilisables en agriculture biologique ou dans le cadre d'une exploitation certifiée de haute valeur environnementale. Une telle utilisation, soumise à autorisation préalable et dont les conditions de mise en oeuvre sont strictement encadrées par l'autorité administrative, présente ainsi un caractère ponctuel, dont les effets sur les propriétés voisines sont limités, le champ des produits autorisés étant par ailleurs restreint aux seuls produits utilisables en agriculture biologique ou dans le cadre d'une exploitation certifiée de haute valeur environnementale. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 11 que les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques ont l'obligation d'éviter leur entraînement hors de la parcelle ou de la zone traitée. Il incombe, dès lors, aux utilisateurs de produits phytopharmaceutiques par aéronefs télépilotés de veiller à ce que les dérives liées à cette utilisation ne puissent être susceptibles de conduire à la perte d'un label ou d'une mention " agriculture biologique " dont bénéficierait une exploitation située à proximité immédiate de la parcelle traitée. Dans ces conditions, et en dépit de la circonstance que certains produits susceptibles d'être utilisés dans le cadre de l'expérimentation ne soient pas autorisés par les cahiers des charges des certifications " agriculture biologique ", les dispositions attaquées ne sauraient méconnaître, par elles-mêmes, le droit de propriété, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de doute raisonnable, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question relative à la méconnaissance, par les dispositions attaquées, de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

14. En troisième et dernier lieu, à supposer que les dérives de produits phytopharmaceutiques constituent des déchets au sens des dispositions de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, les dispositions de l'arrêté ne sauraient, par elles-mêmes, méconnaître ces dispositions ni celles de l'article R. 632-1 du code pénal qui punissent, dans leur version en vigueur à la date de l'arrêté, le fait de déposer, aux emplacements désignés à cet effet par l'autorité administrative compétente, des ordures, déchets, matériaux ou tout autre objet de quelque nature qu'il soit, en vue de leur enlèvement par le service de collecte, sans respecter les conditions fixées par cette autorité.

En ce qui concerne l'information relative aux essais :

15. D'une part, il résulte des dispositions de l'article 11 de l'arrêté, citées au point 11, que les personnes présentes ou résidentes au sens du règlement (UE) n° 284/2013 de la Commission européenne du 1er mars 2013, sont informées des essais en cours par un balisage placé en bordure de la parcelle traitée ainsi qu'au niveau des voies d'accès à cette parcelle. D'autre part, en vertu de l'article 10 de l'arrêté attaqué, le préfet est informé de la réalisation de l'essai au plus tard sept jours avant la première opération de traitement. Enfin, il résulte des dispositions de l'article 12 de cet arrêté que le maire de la commune sur laquelle se trouve la parcelle traitée et, le cas échéant, le maire de la commune située à proximité immédiate de cette parcelle, sont informés de la réalisation de l'essai au plus tard trois jours ouvrés avant la première opération de traitement et se voient communiquer les coordonnées téléphoniques d'une personne présente sur le lieu des opérations et joignable à tout moment au cours de leur déroulé, leur permettant de veiller à ce que les personnes situées à proximité des parcelles traitées soient elles-mêmes informées de la réalisation de l'essai. En fixant ainsi les modalités d'information des autorités concernées et des personnes susceptibles d'être présentes à proximité des opérations de traitement, les auteurs de l'arrêté attaqué n'ont pas méconnu les dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement ni, en tout état de cause, celles des articles 3 et 5 de la Charte de l'environnement. Les requérants ne peuvent, en outre, utilement invoquer les dispositions de l'article 1er du décret du 27 décembre 2019, postérieur à l'arrêté attaqué.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués :

16. En premier lieu, il ne résulte d'aucun des principes invoqués par les requérants ni d'aucun texte que l'autorité administrative serait tenue de contraindre les personnes réalisant des opérations de traitement par aéronefs télépilotés à souscrire un contrat d'assurance couvrant les risques liés à cette expérimentation.

17. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions de l'arrêté attaqué n'exonèrent pas le responsable des opérations de traitement par aéronefs télépilotés de sa responsabilité civile et pénale.

18. En troisième lieu, l'arrêté attaqué est pris pour l'application des dispositions de l'article 82 de la loi du 30 octobre 2018 citées au point 1, qui dérogent aux dispositions de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime en permettant, dans certaines conditions, l'utilisation d'aéronefs télépilotés pour l'application de produits phytopharmaceutiques. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que l'arrêté méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime au motif qu'il ne serait justifié par aucun danger sanitaire grave ne pouvant être maîtrisé par d'autres moyens que la pulvérisation aérienne.

19. Enfin, les autres moyens de la requête tirés de ce que les dispositions de l'arrêté méconnaîtraient diverses normes constitutionnelles et européennes ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

20. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions relatives à la qualification des produits phytopharmaceutiques et de leurs dérives, que les requérants sont seulement fondés à demander l'annulation de l'article 9 de l'arrêté attaqué en tant qu'il ne prévoit aucune mesure de protection de la santé des personnes exerçant leur activité à proximité immédiate de la parcelle traitée par un aéronef télépiloté.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 3 000 euros à verser à l'association Santé Environnement Combe de Savoie, à Maurice Pichon et à l'EARL Domaine Giachino, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 9 de l'arrêté du 26 août 2019 est annulé en tant qu'il ne prévoit aucune mesure de protection de la santé des personnes travaillant à proximité immédiate de la parcelle traitée par un aéronef télépiloté.

Article 2 : L'Etat versera à l'association Santé Environnement Combe de Savoie, à Maurice Pichon et à l'EARL Domaine Giachino une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Santé Environnement Combe de Savoie, premier requérant dénommé, à la ministre de la transition écologique, au ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Copie en sera adressée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'environnement et du travail.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 439902
Date de la décision : 26/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2021, n° 439902
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Martin Guesdon
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:439902.20210726
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