La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2021 | FRANCE | N°433869

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 12 juillet 2021, 433869


Vu la procédure suivante :

La société coopérative agricole (SCV) Les vignerons de Grimaud a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'avertissement du 8 août 2013 que lui a adressé la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de ProvenceAlpesCôte d'Azur. Par un jugement n° 1302810 du 17 juillet 2015, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA03842 du 20 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel de la SCV Les vignerons de Grimaud, a annulé ce jugement mais, statuant par l

a voie de l'évocation, a rejeté sa demande.

Par une décision n° 408218 du...

Vu la procédure suivante :

La société coopérative agricole (SCV) Les vignerons de Grimaud a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'avertissement du 8 août 2013 que lui a adressé la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de ProvenceAlpesCôte d'Azur. Par un jugement n° 1302810 du 17 juillet 2015, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA03842 du 20 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel de la SCV Les vignerons de Grimaud, a annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté sa demande.

Par une décision n° 408218 du 7 décembre 2018, le Conseil d'Etat a, sur le pourvoi de la SCV Les vignerons de Grimaud, annulé l'article 2 de cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Marseille dans la mesure de la cassation prononcée.

Par un nouvel arrêt n° 18MA05245 du 28 juin 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'avertissement du 8 août 2013 en tant que la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a enjoint à la SCV Les vignerons de Grimaud de retirer de l'étiquetage de ses vins les mentions " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " et " Le grimaudin ".

Par un pourvoi, enregistré le 23 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie et des finances demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la SCV Les vignerons de Grimaud ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce figurant à l'annexe 1C de l'accord instituant l'organisation mondiale du commerce signé à Marrakech le 15 avril 1994 ;

- le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 ;

- le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 ;

- le règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 ;

- le code de la consommation ;

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat de la société coopérative agricole (SCV) Les vignerons de Grimaud ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 17 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, la demande de la SCV Les vignerons de Grimaud tendant à l'annulation de l'avertissement du 8 août 2013 par lequel la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ProvenceAlpes-Côte d'Azur lui a enjoint de retirer de l'étiquetage de ses vins d'appellation d'origine protégée (AOP) " Côtes de Provence " et d'indication géographique protégée (IGP) " Var " toutes mentions faisant référence aux unités géographiques " golfe de Saint-Tropez ", " Grimaud " et " Cogolin ". Par un arrêt du 20 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel de la SCV Les vignerons de Grimaud, après avoir retenu la compétence de la juridiction administrative et annulé en conséquence le jugement, a rejeté comme irrecevable la demande de cette société. Par une décision du 7 décembre 2018, le Conseil d'Etat a, sur le pourvoi de la SCV Les vignerons de Grimaud, annulé l'article 2 de cet arrêt, par lequel la cour avait rejeté sa demande, et renvoyé l'affaire à la même cour dans la mesure de la cassation prononcée. Le ministre de l'économie et des finances se pourvoit contre l'article 1er de l'arrêt du 28 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé l'avertissement du 8 août 2013 en tant qu'il enjoint à la SCV Les vignerons de Grimaud de retirer de l'étiquetage de ses vins les mentions " Cuvée du golfe de SaintTropez " et " Le grimaudin ". La SCV Les vignerons de Grimaud a formé un pourvoi incident contre l'article 3 du même arrêt par lequel la cour a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Sur l'intervention de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) :

2. L'INAO justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué. Son intervention est, par suite, recevable.

Sur le pourvoi principal du ministre de l'économie et des finances :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil en ce qui concerne les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l'étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole : " 1. En ce qui concerne l'article 60, paragraphe 1, point g), du règlement (CE) n° 479/2008, et sans préjudice des articles 55 et 56 du présent règlement, le nom d'une unité géographique et les références d'une zone géographique peuvent figurer uniquement sur les étiquettes des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée ou d'une indication géographique d'un pays tiers. / 2. En cas d'utilisation du nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique, l'aire de l'unité géographique en question est délimitée avec précision. Les États membres peuvent établir des règles concernant l'utilisation de ces unités géographiques. Au moins 85 % des raisins à partir desquels le vin a été produit proviennent de cette unité géographique plus petite. Les 15 % de raisins restants proviennent de la zone géographique délimitée de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique concernée. / Les États membres peuvent décider, dans le cas des marques commerciales enregistrées ou des marques commerciales établies par l'usage avant le 11 mai 2002 qui contiennent ou consistent en un nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique et des références à la zone géographique des États membres concernés, de ne pas appliquer les exigences énoncées dans les troisième et quatrième phrases du premier alinéa (...) ". Aux termes de l'article 70, paragraphe 1, du même règlement : " Pour les vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée produits sur leur territoire, les indications visées aux articles 61, 62 et 64 à 67 peuvent être rendues obligatoires, interdites ou limitées en ce qui concerne leur utilisation par l'introduction de conditions plus strictes que celles fixées dans le présent chapitre au moyen des cahiers des charges correspondant à ces vins (...) ".

4. L'article 67, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 607/2009 habilite spécifiquement les Etats membres à adopter des règles concernant l'utilisation des noms d'unités géographiques plus petites que l'aire de l'appellation ou de l'indication de référence, à condition toutefois que l'aire de l'unité géographique en question soit précisément délimitée, indépendamment de la faculté, prévue à l'article 70, paragraphe 1, de ce règlement, d'introduire dans les cahiers des charges des AOP et IGP des conditions d'utilisation des mentions facultatives d'étiquetage des vins plus restrictives que celles prévues par les articles 61, 62 et 64 à 67 du même règlement.

5. Aux termes de l'article 5 du décret du 4 mai 2012 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques oenologiques, entré en vigueur le 1er juillet 2012, pris en application de l'article 67 du règlement n° 607/2009 : " L'étiquetage des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée peut mentionner le nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée si les conditions suivantes sont remplies : a) Tous les raisins à partir desquels ces vins ont été obtenus proviennent de cette unité plus petite ; b) Cette possibilité est prévue dans le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée (...) ". Aux termes de l'article 30 du même décret : " Les vins mis sur le marché ou étiquetés jusqu'au 30 juin 2013 et qui sont conformes aux dispositions en vigueur jusqu'au 1er juillet 2012 peuvent être commercialisés jusqu'à épuisement de leur stock ".

6. Il résulte des dispositions des articles 5 et 30 du décret du 4 mai 2012, pris en application de l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission, que la nouvelle réglementation qu'elles édictent pour l'usage, sur l'étiquetage des vins bénéficiant d'une AOP ou d'une IGP, de noms d'unités géographiques plus petites que l'aire de l'appellation ou de l'indication de référence, s'appliquent aux vins étiquetés après le 30 juin 2013 et font obstacle à l'usage de noms d'unités géographiques plus petites non prévues par le cahier des charges de l'appellation ou l'indication géographique concernée. Au demeurant, ce n'est que par le biais des dispositions de ce cahier des charges que peut être effectuée la délimitation précise de l'aire de l'unité géographique en cause, telle qu'elle est exigée par le même article 67 pour permettre l'utilisation de la dénomination géographique correspondante sur les étiquettes des vins.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 7131 du code de la propriété intellectuelle : " L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu'il a désignés ". L'article L. 7132 du même code précise : " Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : (...) / b) La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée ".

8. D'une part, les dispositions de l'article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle, qui ont pour objet et pour effet de permettre au titulaire du droit de propriété de garantir l'utilisation et la protection de ce droit et notamment d'empêcher la contrefaçon ou l'usage frauduleux de la marque qu'il a régulièrement déposée, ne font pas obstacle à ce que les pouvoirs publics interviennent pour réglementer le droit de propriété, pourvu que cette réglementation soit conforme aux principes qui en régissent la protection.

9. D'autre part, les dispositions de l'article L. 713-2 du même code ont pour seul objet d'interdire, sauf autorisation du propriétaire, les altérations matérielles d'une marque apposée sur un produit, par une intervention physique d'un tiers sur celui-ci, et ne régissent pas les conditions dans lesquelles la réglementation nouvelle s'applique à l'égard de marques enregistrées.

10. Pour faire partiellement droit à la demande de la SCV Les vignerons de Grimaud, la cour, après avoir rappelé les dispositions du b) de l'article L. 713-2 du code la propriété intellectuelle, a jugé que si l'article 5 du décret du 4 mai 2012 pouvait encadrer la mention du nom d'une unité géographique portée sur l'étiquetage d'un produit vinicole, il ne pouvait avoir ni pour objet ni pour effet d'interdire l'usage d'une marque enregistrée en application de l'article L. 712-1 du même code dès lors que cet enregistrement n'a pas été déclaré nul et en a déduit que l'avertissement en litige ne pouvait légalement interdire l'usage des marques " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " et " Le grimaudin " qui ont été enregistrées auprès de l'Institut national de la propriété industrielle et n'ont pas été déclarées nulles. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6, 8 et 9 qu'en se déterminant ainsi, alors que les dispositions des articles L. 713-1 et L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle ne font pas obstacle à l'application de l'article 5 du décret du 4 mai 2012 aux noms d'unités géographiques plus petites que l'aire des AOP et IGP de référence enregistrés en tant que marques, pourvu que cette réglementation soit conforme aux principes qui régissent la protection du droit de propriété, la cour a commis une erreur de droit.

11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances est fondé à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt attaqué.

Sur le pourvoi incident de la SCV Les vignerons de Grimaud :

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la cour n'a pas commis d'erreur en droit en jugeant que l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 laissait aux Etats membres la faculté d'établir des règles relatives à l'usage des noms de ces unités géographiques plus petites, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'article 70 du même règlement permettait également aux cahiers des charges de prévoir des restrictions, pour en déduire que les dispositions de l'article 5 du décret du 4 mai 2012, en ce qu'elles prévoient notamment que l'usage de telles mentions n'est permis que s'il est prévu par les cahiers des charges, n'étaient pas contraires aux dispositions combinées des articles 67 et 70 du règlement.

13. Il s'ensuit que le pourvoi incident de la SCV Les vignerons de Grimaud doit être rejeté.

Sur le règlement de l'affaire au fond :

14. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée au point 11.

15. En premier lieu, aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ". Aux termes de l'article 17 de la même Déclaration : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ".

16. Aux termes de l'article 1er du protocole n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ". Aux termes de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général. / 2. La propriété intellectuelle est protégée ". Aux termes de l'article 53 de la même charte : " Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue ".

17. D'une part, les dispositions de l'article 5 du décret du 12 mai 2012, pris en application de l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission, n'ont ni pour objet ni pour effet d'édicter une interdiction d'usage, sur l'étiquetage des vins, de noms d'unités géographiques plus petites que les aires des AOP ou des IGP mais déterminent les règles d'utilisation de ces noms en énonçant notamment que, comme le prévoit l'article 70, paragraphe 1, du même règlement, leur usage n'est possible que dans le respect des clauses des cahiers des charges des appellations et indications géographiques concernées qui listent les dénominations géographiques complémentaires autorisées. Cette réglementation poursuit un but d'intérêt général tenant à la sauvegarde des intérêts des producteurs contre la concurrence déloyale d'opérateurs usant de noms géographiques attractifs qui ne sont pas autorisés par le cahier des charges de l'AOP ou l'IGP et à la protection des consommateurs contre l'usage trompeur de noms laissant penser que le vin présente des caractéristiques propres à une dénomination géographique complémentaire protégée au sein de l'AOP ou de l'IGP, gage de qualité aux yeux des consommateurs.

18. D'autre part, si, ainsi qu'il a été dit au point 10, les dispositions de l'article 5 du décret du 4 mai 2012 s'appliquent aux noms d'unités géographiques plus petites que l'aire des AOP et IGP de référence, enregistrés en tant que marques, elles ne sauraient avoir pour objet ni pour effet d'interdire l'utilisation de marques régulièrement enregistrées avant le dépôt de la demande de reconnaissance de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique concernée dans le cadre de la réglementation communautaire et nationale applicable qui régit notamment l'utilisation des dénominations géographiques correspondant à des aires plus petites que celles des appellations d'origine contrôlées, devenues appellations d'origine protégées, et des indications géographiques des vins de pays, devenues indications géographiques protégées. Ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'invalider l'enregistrement de marques et par suite d'entraîner l'extinction du droit de propriété qui s'y attache. En outre, les producteurs intéressés peuvent obtenir, dans le respect des procédures et règles applicables, la modification des cahiers des charges des AOP et IGP concernés afin de permettre l'usage de noms d'unités géographiques plus petites. Enfin, les producteurs titulaires de marques correspondant à des noms d'unité géographique plus petites que les aires des AOP et IGP ne sont pas privés de leurs moyens de production et conservent la possibilité de commercialiser leurs vins sous d'autres noms, dans le respect des règles de l'AOP et de l'IGP.

19. Il s'ensuit que la réglementation de l'usage des noms d'unités géographiques plus petites que les aires des AOP ou des IGP issue de l'article 5 du décret du 4 mai 2012, qui n'entraîne, en droit ou fait, aucune privation de propriété, ne porte pas une restriction disproportionnée au droit de propriété des titulaires de telles marques au regard des buts poursuivis. Il en va de même de l'avertissement contesté pris sur le fondement de cette réglementation, dès lors que les marques " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " et " Le grimaudin " ont été enregistrées respectivement le 30 juillet 1993 et le 15 juillet 2003, soit postérieurement à la reconnaissance, respectivement, de l'appellation d'origine contrôlée " Côtes de Provence " en 1977, devenue appellation d'origine protégée à partir de 2009, et de l'indication géographique pour le vin de pays du " Var " en 1968, devenue indication géographique protégée, dans le cadre de la réglementation applicable qui régit notamment l'utilisation des dénominations géographiques à l'intérieur des aires des appellations d'origine et des indications géographiques. Il suit de là que les moyens tirés de la méconnaissance des article 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article 1er du protocole n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent être écartés.

20. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4, le pouvoir réglementaire national était habilité par l'article 67 du règlement (CE) n° 607/2009 du 14 juillet 2009 à édicter les règles d'utilisation des noms d'unités géographiques plus petites que les aires des AOP et IGP, indépendamment de la possibilité pour les cahiers des charges des appellations et indications de prévoir des conditions plus strictes d'usage des mentions facultatives pouvant figurer sur les étiquettes des produits vinicoles en application de l'article 70 du même règlement. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 5 du décret du 4 mai 2012, en ce qu'elles prévoient que l'usage des noms d'unités géographiques plus petites n'est permis que s'il est prévu par les cahiers des charges, seraient contraires aux dispositions combinées des articles 67 et 70 du règlement doit être écarté.

21. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que les cahiers des charges de l'AOP " Côtes de Provence " et de l'IGP " Var " comportent une liste limitative des mentions géographiques complémentaires autorisées au nombre desquelles ne figurent pas les mentions " golfe de Saint-Tropez " et " Grimaud ". Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'usage des mentions en litige serait licite sur le fondement des dispositions de l'article 70 du règlement (CE) n° 607/2009 du 14 juillet 2009, à défaut d'être interdites par ces cahiers des charges, doit être écarté.

22. En quatrième lieu, les stipulations des articles 17, 20 et 24.5 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, figurant à l'annexe 1C de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce signé le 15 avril 1994, ne créent aucun droit dont les particuliers pourraient directement se prévaloir. Par suite, ces stipulations ne peuvent pas être utilement invoquées à l'encontre de la décision attaquée.

23. En cinquième lieu, aux termes de l'article 40, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 607/2009 du 14 juillet 2009 : " Les mentions traditionnelles figurant à l'annexe XII sont protégées, uniquement dans la langue et pour les catégories de produits de la vigne indiquées dans la demande, contre : a) toute usurpation, même si la mention protégée est accompagnée d'une expression telle que "genre", "type", "méthode", "façon", "imitation", "goût", "manière" ou d'une expression similaire ; b) toute autre indication fausse ou trompeuse quant à la nature, aux caractéristiques ou aux qualités essentielles du produit figurant sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné ; c) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur et notamment de donner l'impression que le vin bénéficie de la mention traditionnelle protégée ". Aux termes de l'article 41, paragraphe 2, du même règlement : " Une marque commerciale qui correspond à l'une des situations visées à l'article 40 du présent règlement et qui a été demandée, enregistrée ou établie par l'usage, si cette possibilité est prévue dans la législation concernée, sur le territoire de la Communauté avant le 4 mai 2002 ou avant la date de dépôt auprès de la Commission de la demande de protection de la mention traditionnelle, peut continuer à être utilisée et renouvelée nonobstant la protection de la mention traditionnelle. / Dans de tels cas, l'utilisation parallèle de la mention traditionnelle et de la marque correspondante est permise ".

24. La requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article 41, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 607/2009, qui concernent l'utilisation parallèle d'une mention traditionnelle protégée et d'une marque antérieure, dès lors que les marques " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " et " Le grimaudin " ne correspondent à aucune des mentions traditionnelles protégées figurant à l'annexe XII de ce règlement.

25. En sixième lieu, aux termes l'article 118 terdecies du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique), modifié par le règlement (CE) n° 491/2009 du Conseil du 25 mai 2009 ayant abrogé le règlement (CE) n° 479/2008 du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole : " Sans préjudice de l'article 118 duodecies, paragraphe 2, une marque commerciale dont l'utilisation relève d'une des situations visées à l'article 118 quaterdecies, paragraphe 2, et qui a été demandée, enregistrée ou établie par l'usage, si cette possibilité est prévue dans la législation concernée, sur le territoire de la Communauté, avant la date du dépôt auprès de la Commission de la demande de protection relative à l'appellation d'origine ou à l'indication géographique, peut continuer à être utilisée et renouvelée nonobstant la protection d'une appellation d'origine ou indication géographique, pourvu qu'il n'y ait aucun motif de nullité ou de déchéance, au sens de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques ou du règlement (CE) no 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire. / Dans ce type de cas, il est permis d'utiliser conjointement l'appellation d'origine ou l'indication géographique et les marques commerciales correspondantes ". Aux termes de l'article 118 quaterdecies, paragraphe 2, du même règlement : " Les appellations d'origine protégées, les indications géographiques protégées et les vins qui font usage de ces dénominations protégées en respectant les cahiers des charges correspondants sont protégés contre: a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination protégée : i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d'une appellation d'origine ou indication géographique ; b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que "genre", "type", "méthode", "façon", "imitation", "goût", "manière" ou d'une expression similaire ; c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné, ainsi que contre l'utilisation pour le conditionnement d'un contenant de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit ; d) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ".

26. Les marques " Cuvée du golfe de Saint-Tropez " et " Le grimaudin " en litige ont été enregistrées respectivement le 30 juillet 1993 et le 15 juillet 2003, soit postérieurement à la reconnaissance, pour la première, de l'appellation d'origine contrôlée puis protégée " Côtes de Provence " et, pour la seconde, de l'indication géographique du vin de pays du " Var ", devenue indication géographique protégée. Par suite, la SCV Les vignerons de Grimaud n'est, en tout état de cause, pas fondée à invoquer la méconnaissance de l'article 118 terdecies du règlement (CE) n° 1234/2007.

27. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle, que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'avertissement du 8 août 2013 en tant qu'il lui enjoint de retirer de l'étiquetage de ses vins AOP " Côtes de Provence " et IGP " Var " les marques faisant référence aux unités géographiques " golfe de Saint-Tropez " et " Grimaud ". Ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de l'Institut national de l'origine et de la qualité est admise.

Article 2 : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 28 juin 2019 est annulé.

Article 3 : Le pourvoi incident de la SCV Les vignerons de Grimaud est rejeté.

Article 4 : La demande de la SCV Les vignerons de Grimaud tendant à l'annulation de l'avertissement du 8 août 2013 en tant qu'il lui enjoint de retirer de l'étiquetage de ses vins les marques faisant référence aux unités géographiques " golfe de Saint-Tropez " et " Grimaud " est rejetée.

Article 5 : Les conclusions présentées par la SCV Les vignerons de Grimaud au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances, à la SCV Les vignerons de Grimaud et à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO).


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 433869
Date de la décision : 12/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2021, n° 433869
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mathieu Le Coq
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SARL DIDIER-PINET ; SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN, LE GUERER

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:433869.20210712
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award