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09/06/2021 | FRANCE | N°445464

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 09 juin 2021, 445464


Vu la procédure suivante :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 à Saint-Ciers-sur-Gironde en vue de l'élection des conseiller municipaux et communautaires. Par un jugement n°2001440 du 21 septembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces opérations électorales.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 octobre 2020 et 11 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :
>1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la protestation de M. C... et de valid...

Vu la procédure suivante :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 à Saint-Ciers-sur-Gironde en vue de l'élection des conseiller municipaux et communautaires. Par un jugement n°2001440 du 21 septembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces opérations électorales.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 octobre 2020 et 11 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la protestation de M. C... et de valider les opérations électorales ;

3°) de mettre à la charge de de M. C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code électoral;

- le code de procédure civile ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le décret n°2020-571 du 14 mai 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rose-Marie Abel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. A l'issue du premier tour des élections municipales et communautaires de la commune de Saint-Ciers-sur-Gironde qui s'est déroulé le 15 mars 2020, la liste " Vivons Saint-Ciers ", conduite par M. A... D..., a obtenu 505 voix (50,05 % des suffrages exprimés). Cette liste ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, 18 des 23 sièges que compte le conseil municipal de cette commune et 4 sièges de conseillers communautaires lui ont été attribués. La liste " Ensemble faisons demain " conduite par M. F... C..., qui a obtenu 504 voix (49,95 % des suffrages exprimés), a obtenu 5 sièges de conseillers municipaux ainsi qu'un siège de conseiller communautaire. Par un jugement du 21 septembre 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la protestation électorale présentée par M. C... en annulant les opérations électorales.

2. Il résulte de l'instruction que M. E... B..., agent de la commune de Saint-Ciers-sur Gironde et soutien déclaré de la liste conduite par M. D..., a posté, sous le pseudonyme " Deadpool All-Air ", un commentaire sur sa page Facebook affirmant : " Et dire que ce matin j'ai forcé une personne pour aller voter et mettre un bulletin Pierre D..., sinon c'était 50/50 mdrrrrrr ". Toutefois, cette déclaration n'est corroborée par aucun autre élément matériel permettant d'identifier la personne qui aurait subi les pressions, ni par des mentions portées au procès-verbal ou par des témoignages. En outre, la présence, dans le fil incomplet des commentaires figurant sur la page Facebook, de la phrase " Non pas du tout c'est vrai... ", émanant également de M. B..., ne peut être regardée, par elle-même, comme une confirmation de ses déclarations.

3. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a estimé qu'il était suffisamment établi, par les affirmations de M. B..., qu'un électeur avait été forcé de voter et s'est fondé sur ce motif pour annuler les opérations électorales organisées pour les élections municipales et communautaires de la commune de Saint-Ciers-sur-Gironde.

4. Il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres griefs soulevés par M. C... devant le tribunal.

5. En premier lieu, le grief tiré de ce que M. D... aurait refusé de siéger en tant que président ou assesseur, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-5 du code général des collectivités territoriales et des articles R. 43 et R. 44 du code électoral, à supposer qu'il soit avéré, ne peut utilement être invoqué à l'appui des conclusions à fin d'annulation des opérations électorales et doit, par suite, être écarté comme inopérant.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 26 du code électoral " La campagne électorale est ouverte à partir du deuxième lundi qui précède la date du scrutin et prend fin la veille du scrutin à minuit. En cas de second tour, la campagne électorale est ouverte le lendemain du premier tour et prend fin la veille du scrutin à minuit ".

7. Il résulte de l'instruction que si la présence de M. D... a été observée à plusieurs moments de la journée devant la salle municipale regroupant les deux bureaux de vote de la commune, il n'est pas établi que l'intéressé se serait livré, à cette occasion, à une quelconque action de propagande électorale, contrairement à ce que soutient M. C.... La seule présence de ce candidat n'est constitutive d'aucune méconnaissance des dispositions de l'article R. 26 du code électoral et n'a pas été de nature à altérer la sincérité du résultat. Par suite, le grief tiré de ce que la présence de M. D... aurait vicié le résultat des opérations de vote doit en tout état de cause être écarté.

8. En troisième lieu, l'article 19 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a reporté le second tour des élections, initialement fixé au 22 mars 2020, au plus tard en juin 2020 et prévu que : " Dans tous les cas, l'élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d'arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l'article 3 de la Constitution ". Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour ayant donné lieu à l'attribution de sièges et ne font ainsi pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l'élection.

9. Aux termes de l'article L. 262 du code électoral, applicable aux communes de mille habitants et plus : " Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés un nombre de sièges égal à la moitié du nombre des sièges à pourvoir, arrondi, le cas échéant, à l'entier supérieur lorsqu'il y a plus de quatre sièges à pourvoir et à l'entier inférieur lorsqu'il y a moins de quatre sièges à pourvoir. Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sous réserve de l'application des dispositions du troisième alinéa ci-après. / Si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un deuxième tour (...) ". Aux termes de l'article L. 273-8 du code électoral : " Les sièges de conseiller communautaire sont répartis entre les listes par application aux suffrages exprimés lors de cette élection des règles prévues à l'article L. 262. (...) ".

10. Ni par ces dispositions, ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n'a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l'issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu'une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l'abstention n'est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s'il n'a pas altéré, dans les circonstances de l'espèce, sa sincérité.

11. En l'espèce, M. C... fait seulement valoir que le taux d'abstention s'est élevé à 51,37 % dans la commune, sans invoquer aucune autre circonstance relative au déroulement de la campagne électorale ou du scrutin dans la commune qui montrerait, en particulier, qu'il aurait été porté atteinte au libre exercice du droit de vote ou à l'égalité entre les candidats. Dans ces conditions, le niveau de l'abstention constatée ne peut être regardé comme ayant altéré la sincérité du scrutin.

12. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 119 du code électoral : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. / Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai (...) ".

13. D'autre part, l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a habilité le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnances " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) 2° (...) b) Adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, le 3° du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif a prévu que : " Les réclamations et les recours mentionnés à l'article R. 119 du code électoral peuvent être formés contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l'article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 susvisée ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article ". L'article 1er du décret du 14 mai 2020 définissant la date d'entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dont le conseil municipal a été entièrement renouvelé dès le premier tour des élections municipales et communautaires organisé le 15 mars 2020 prévoit que : " (...) les conseillers municipaux et communautaires élus dans les communes dans lesquelles le conseil municipal a été élu au complet lors du scrutin organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction le 18 mai 2020 ".

14. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, combinées avec celles du second alinéa de l'article 642 du code de procédure civile selon lesquelles " Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ", que les réclamations contre les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 pouvaient être formées au plus tard le lundi 25 mai 2020 à dix-huit heures.

15. Il résulte de l'instruction que le grief tiré de ce que les bulletins de la liste conduite par M. D... ne mentionnaient pas la nationalité hollandaise d'un des candidats a été présenté dans un mémoire complémentaire enregistré le 2 septembre 2020, soit après l'expiration du délai issu de la combinaison de l'article R. 119 du code électoral, du 3° du II de l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 et de l'article 642 du code de procédure civile. Dès lors qu'il ne se rattache à aucun des griefs soulevés avant l'expiration de ce délai, il constitue un grief nouveau qui, étant dépourvu de caractère d'ordre public, est irrecevable.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué et le rejet de la protestation de M. C....

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. D... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées par M. C... sur ce même fondement.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 septembre 2020 est annulé.

Article 2 : Les opérations électorales qui se sont déroulées les 15 mars 2020 dans la commune de Saint-Ciers-sur Gironde sont validées.

Article 3 : La protestation présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.

Article 4 : Le surplus de conclusion présentées devant le Conseil d'Etat par M. D... ainsi que les conclusions présentées par M. C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... D..., à M. F... C..., et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 445464
Date de la décision : 09/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 jui. 2021, n° 445464
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rose-Marie Abel
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:445464.20210609
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