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07/05/2021 | FRANCE | N°449641

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 07 mai 2021, 449641


Vu la procédure suivante :

La société Batouche Investissement, à l'appui de sa demande tendant à la décharge des cotisations de contribution à l'audiovisuel public et de l'amende prévue par les dispositions du 2. de l'article 1840 W ter du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2016, a produit un mémoire distinct et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 novembre et 24 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958,

par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
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Vu la procédure suivante :

La société Batouche Investissement, à l'appui de sa demande tendant à la décharge des cotisations de contribution à l'audiovisuel public et de l'amende prévue par les dispositions du 2. de l'article 1840 W ter du code général des impôts auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2016, a produit un mémoire distinct et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 novembre et 24 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par un jugement n° 1804008 du 11 février 2021, enregistré le 12 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, avant qu'il soit statué sur la demande de la société Batouche Investissements, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 2. de l'article 1840 W ter du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 1840 W ter du code général des impôts : " 1. Les inexactitudes dans les déclarations prévues au 4° de l'article 1605 bis entraînent l'application d'une amende de 150 €. / 2. Les omissions ou inexactitudes dans les déclarations prévues aux 5° et 6° de l'article 1605 ter ou le défaut de souscription de ces déclarations dans les délais prescrits entraînent l'application d'une amende de 150 € par appareil récepteur de télévision ou dispositif assimilé. (...) ". Aux termes de l'article 1605 ter du même code : " (...) 5° Les personnes physiques ou morales mentionnées au 2° du II de l'article 1605 et redevables de la taxe sur la valeur ajoutée déclarent la contribution à l'audiovisuel public auprès du service des impôts chargé du recouvrement dont elles dépendent (...) ".

3. La société Batouche Investissements soutient que le 2. de l'article 1840 W ter du code général des impôts méconnaît les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le droit de propriété protégé par ses articles 2 et 17, ainsi que le principe d'égalité résultant de son article 6.

4. En premier lieu, en fixant à 150 euros par appareil récepteur le montant de l'amende due par les professionnels qui omettent de déclarer ou entachent d'inexactitude les déclarations de contribution à l'audiovisuel public qu'ils sont tenus de souscrire, le 2. de l'article 1840 W ter du code général des impôts vise à dissuader ces contribuables de dissimuler le montant de la contribution dont ils sont redevables et à réprimer les défauts de liquidation de cette taxe alors que cette liquidation est nécessaire pour mettre à même l'administration fiscale de contrôler l'exactitude des paiements mis à la charge des professionnels. Ces dispositions poursuivent ainsi un but de lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle. En outre, en fixant le montant de la sanction à 150 euros par appareil récepteur, elles instituent une sanction forfaitaire qui ne revêt pas, en elle-même, ni au regard de l'avantage procuré par un défaut de déclaration, un caractère manifestement disproportionné, alors même qu'aucun plafond n'est prévu en cas d'amendes cumulées, dès lors que le montant global de la sanction encourue reste directement lié à la gravité des défauts de déclaration de contribution à l'audiovisuel public, laquelle est due par les professionnels, en vertu du 1° de l'article 1605 ter du code général des impôts, à raison de chaque appareil récepteur qu'ils détiennent. Enfin, pour chaque amende prononcée, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le contribuable si ce dernier n'a pas manqué à son obligation déclarative. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines doit être écarté.

5. En deuxième lieu, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Or la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination des règles de modulation et de plafonnement d'une sanction fiscale n'affecte pas, par elle-même, le droit de propriété. En outre aucune disposition ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'imposait au législateur de prévoir que le montant de l'amende de 150 euros instituée par le 2. de l'article 1840 W ter du code général des impôts soit plafonné, ni que ce montant puisse être modulé. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, dont il résulterait une atteinte au droit de propriété, doit être écarté.

6. En troisième lieu, si, en règle générale, le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. En outre il résulte des termes du 1. et du 2. de l'article 1840 W ter du code général des impôts que la méconnaissance des obligations déclaratives auxquelles sont soumis les particuliers en matière de contribution à l'audiovisuel public est sanctionnée par une amende ne pouvant excéder le montant de 150 euros, tandis que les défauts de déclaration imputables aux professionnels sont réprimés par des amendes de 150 euros par appareil récepteur susceptibles de se cumuler. Il suit de là que le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité en ce qu'elles ne traiteraient pas de façon différenciée les professionnels exploitants d'hôtels et les particuliers ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Batouche Investissements et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Cergy-Pontoise.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 449641
Date de la décision : 07/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 07 mai. 2021, n° 449641
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:449641.20210507
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