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06/05/2021 | FRANCE | N°429075

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 06 mai 2021, 429075


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a porté plainte contre M. D... C... devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de Bretagne de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Par une décision du 31 janvier 2017, la chambre disciplinaire a rejeté sa plainte.

Par une décision du 29 novembre 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a rejeté les appels formés par M. B... et par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes contre cette décision.

Par un pourvoi sommaire, un m

émoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mars et 24 ju...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a porté plainte contre M. D... C... devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de Bretagne de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Par une décision du 31 janvier 2017, la chambre disciplinaire a rejeté sa plainte.

Par une décision du 29 novembre 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a rejeté les appels formés par M. B... et par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes contre cette décision.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mars et 24 juin 2019 et le 28 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental des Côtes-d'Armor de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Briard, son avocat, au titre des article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de M. B... et à la SCP Richard, avocat de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a porté plainte contre M. C..., masseur-kinésithérapeute, devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de Bretagne de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, en raison des soins que ce dernier avait délivrés à une patiente qui était, à l'époque, la compagne de M. B.... Par une décision du 31 janvier 2017, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte. Par une décision du 29 novembre 2018, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeute a rejeté les appels formés par M. B... et par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes contre cette décision. M. B... se pourvoit en cassation contre la décision de la chambre disciplinaire nationale, en tant qu'elle rejette son appel.

2. D'une part, aux termes de l'article R.4321-80 du code de la santé publique : " Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le masseur-kinésithérapeute s'engage personnellement à assurer au patient des soins consciencieux, attentifs et fondés sur les données actuelles de la science ". Aux termes de l'article R. 4321-87 du même code : " Le masseur-kinésithérapeute ne peut conseiller et proposer au patient ou à son entourage, comme étant salutaire ou sans danger, un produit ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite ".

3. D'autre part, la circonstance que des pièces produites au cours d'une instance disciplinaire le seraient en méconnaissance d'une obligation de secret qui pèse sur la partie qui les produit ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que le juge disciplinaire fonde sa décision sur les pièces en question ou les éléments qu'elles révèlent. Il incombe seulement au juge, après avoir soumis ces pièces au débat contradictoire, de tenir compte de leur origine et des conditions dans lesquelles elles ont été produites pour en apprécier, au terme de la discussion contradictoire devant lui, le caractère probant.

4. Il résulte des termes de la décision attaquée que, pour écarter le grief tiré de ce que, en pratiquant sur l'ancienne compagne de M. B... la technique dite de " l'arc en ciel ", M. C... avait méconnu les obligations déontologiques citées au point 2, la chambre disciplinaire nationale a jugé que, même si M. C... admettait, dans sa défense devant elle, qu'il avait effectivement eu recours à cette technique pour sa patiente, cette information était apportée par lui en violation du secret médical et que cette circonstance faisait, par suite, obstacle à ce que le juge disciplinaire se prononce sur le point de savoir si M. C... avait, ou non, fait usage de cette technique.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus que M. B... est fondé à soutenir qu'en statuant ainsi, la chambre disciplinaire nationale a entaché sa décision d'une erreur de droit.

6. Il y a lieu par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, d'annuler la décision attaquée en tant qu'elle rejette l'appel formé par M. B... et, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Aux termes des dispositions de l'article R. 4126-1 du code de la santé publique, rendues applicables aux masseurs-kinésithérapeutes par l'article R. 4323-3 du même code : " L'action disciplinaire (...) ne peut être introduite devant la chambre disciplinaire de première instance que par l'une des personnes ou autorités suivantes : / 1° Le conseil national ou le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction, agissant de leur propre initiative ou à la suite de plaintes, formées notamment par les patients, les organismes locaux d'assurance maladie obligatoires, les médecins-conseils chefs ou responsables du service du contrôle médical placé auprès d'une caisse ou d'un organisme de sécurité sociale, les associations de défense des droits des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de précarité, qu'ils transmettent, le cas échéant en s'y associant, dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 4123-2 (...) / 2° Le ministre chargé de la santé, le préfet de département dans le ressort duquel le praticien intéressé est inscrit au tableau, le directeur général de l'agence régionale de santé dans le ressort de laquelle le praticien intéressé est inscrit au tableau, le procureur de la République du tribunal judiciaire dans le ressort duquel le praticien est inscrit au tableau ; / 3° Un syndicat ou une association de praticiens (...)". Il résulte de ces dispositions que n'ont qualité pour introduire, par une plainte portée devant le conseil départemental de l'ordre et transmise par celui-ci au juge disciplinaire, une action disciplinaire à l'encontre d'un masseur-kinésithérapeute, que les personnes qu'elles désignent expressément ainsi que celles qui sont lésées de manière suffisamment directe et certaine par le manquement d'un masseur-kinésithérapeute à ses obligations déontologiques.

8. Pour justifier de sa qualité à porter plainte contre M. C... devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de Bretagne de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, M. B... soutient, d'une part, qu'il agit en défense des intérêts de son ancienne compagne, sur laquelle M. C... exercerait une emprise psychologique par le biais d'une technique dite de l'arc-en-ciel, consistant à " visualiser l'image d'un arc en ciel reliant le coeur du patient au coeur d'une autre personne, vivante ou décédée (...) accompagnée d'une expiration profonde et volontaire, conjointement à la pression digitale du thérapeute sur la zone douloureuse ", d'autre part, qu'en nouant une relation sentimentale avec son ancienne compagne, M. C... a provoqué leur séparation. Toutefois, d'une part il n'apporte pas, au soutien de ses allégations sur l'existence d'une situation d'emprise psychologique, d'éléments de nature à leur conférer, en l'espèce, une vraisemblance suffisante pour justifier qu'il ait qualité pour introduire une plainte contre ce praticien. D'autre part, le conflit d'ordre privé invoqué par M. B... n'est pas non plus de nature à lui conférer un intérêt à porter plainte contre M. C... devant la juridiction disciplinaire de son ordre.

9. Par suite, M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par la décision attaquée du 31 janvier 2017, la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de Bretagne de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a rejeté sa plainte.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du conseil départemental des Côtes-d'Armor de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes qui, n'ayant pas été partie en appel et n'ayant été appelé en la cause que pour produire des observations, n'a pas la qualité de partie dans la présente instance, la somme que demande à ce titre M. B... et à ce que soient accueillies les conclusions du conseil départemental des Côtes-d'Armor de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B... sur le même fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme que demande M. C... au même titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 29 novembre 2018 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes est annulée en tant qu'elle rejette l'appel formé par M. B....

Article 2 : La requête présentée par M. B... devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B..., présenté au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de M. C... et du conseil départemental des Côtes-d'Armor de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 429075
Date de la décision : 06/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

55-04-01-01 PROFESSIONS, CHARGES ET OFFICES. DISCIPLINE PROFESSIONNELLE. PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINALES. INTRODUCTION DE L'INSTANCE. - ORDRE DES MASSEURS-KINÉSITHÉRAPEUTES - PERSONNES AYANT QUALITÉ POUR INTRODUIRE UNE ACTION DISCIPLINAIRE (1° DE L'ART. R. 4126-1 DU CSP) [RJ1] - ESPÈCE - EXCLUSION - REQUÉRANT INVOQUANT, SANS L'ÉTAYER SUFFISAMMENT, L'EMPRISE DU PRATICIEN SUR SON EX-COMPAGNE, AINSI QU'UN CONFLIT D'ORDRE PRIVÉ.

55-04-01-01 Article R. 4126-1 du code de la santé publique (CSP), rendu applicables aux masseurs-kinésithérapeutes par l'article R. 4323-3 du même code, prévoyant que n'ont qualité pour introduire, par une plainte portée devant le conseil départemental de l'ordre et transmise par celui-ci au juge disciplinaire, une action disciplinaire à l'encontre d'un masseur-kinésithérapeute, que les personnes qu'elles désignent expressément ainsi que celles qui sont lésées de manière suffisamment directe et certaine par le manquement d'un masseur-kinésithérapeute à ses obligations déontologiques.,,,Requérant soutenant, pour justifier de sa qualité à porter plainte contre un masseur-kinésithérapeute devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional de Bretagne de l'ordre, d'une part, qu'il agit en défense des intérêts de son ancienne compagne, sur laquelle le praticien exercerait une emprise psychologique par le biais d'une technique de soin, d'autre part, qu'en nouant une relation sentimentale avec son ancienne compagne, le praticien a provoqué leur séparation.... ,,Toutefois, d'une part, le requérant n'apporte pas, au soutien de ses allégations sur l'existence d'une situation d'emprise psychologique, d'éléments de nature à leur conférer, en l'espèce, une vraisemblance suffisante pour justifier qu'il ait qualité pour introduire une plainte contre ce praticien. D'autre part, le conflit d'ordre privé invoqué par l'intéressé n'est pas non plus de nature à lui conférer un intérêt à porter plainte contre le praticien devant la juridiction disciplinaire de son ordre.


Références :

[RJ1]

Cf., sur l'interprétation de ces dispositions du CSP s'agissant des personnes lésées de manière suffisamment directe et certaine par le manquement du praticien, CE, 11 octobre 2017, Association santé et médecine du travail SMT et autres, n° 403576, T. p. 785.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2021, n° 429075
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Avocat(s) : SCP RICHARD ; CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:429075.20210506
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