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04/05/2021 | FRANCE | N°451779

France | France, Conseil d'État, 04 mai 2021, 451779


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 et 27 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... et l'association " Le Collectif des citoyens de Mayotte " demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions du III de l'article 57-2 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à c

hacun d'entre eux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 et 27 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... et l'association " Le Collectif des citoyens de Mayotte " demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions du III de l'article 57-2 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à chacun d'entre eux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est satisfaite au vu de l'atteinte grave et immédiate à leurs libertés résultant de la mise en oeuvre des dispositions litigieuses ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir ainsi qu'au droit au respect de la vie privée, dès lors que le transfert au représentant de l'Etat de la responsabilité du contrôle du motif impérieux invoqué par les personnes souhaitant se déplacer n'est justifié par aucun motif de santé publique, qu'il conduit à une intrusion dans la vie privée plus importante qu'en cas de contrôle à l'embarquement, que ce contrôle peut porter sur des données couvertes par le secret médical, que la saisine des services de la préfecture par voie exclusivement électronique est discriminatoire et que la mise en oeuvre de ce contrôle n'est assortie d'aucune autorisation de traitement des données à caractère personnel collectées à cet effet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;

- le décret n° 2021-173 du 17 février 2021 ;

- le code de la justice administrative et l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;

Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 3 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 27 avril 2021 à 18 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code précise que " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...) ". Ces mesures " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ".

3. Par un décret du 14 octobre 2020, pris sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, le Président de la République a déclaré l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Le 16 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Dans sa version applicable à la date de la présente ordonnance, l'article 57-2 de ce décret dispose : " I. - Sont interdits, sauf s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes : / (...) 2° Au départ ou à destination des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, à l'exception des déplacements entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy. / II. - Les personnes souhaitant bénéficier de l'une des exceptions mentionnées au premier alinéa du I doivent se munir d'un document permettant de justifier du motif de leur déplacement. Lorsque le déplacement est opéré par une entreprise de transport, la personne présente, avant l'embarquement, une déclaration sur l'honneur du motif de son déplacement, accompagnée de ce document. A défaut, l'embarquement est refusé et la personne est reconduite à l'extérieur des espaces concernés. (...) ".

4. Par la présente requête, M. B... et l'association " Le Collectif des citoyens de Mayotte " ne contestent pas l'exigence d'un motif impérieux justifiant le déplacement au départ de Mayotte, mais demandent seulement la suspension de l'exécution des dispositions complétant l'article 57-2 du décret du 16 octobre 2020 cité au point 3, issues du décret du 17 février 2021, aux termes desquelles : " III. - Dans les collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, le représentant de l'Etat est habilité, lorsque les circonstances locales le justifient, à exiger que la déclaration sur l'honneur et le document mentionnés au II lui soient adressés au moins 6 jours avant le déplacement contre récépissé. / La personne présente, avant l'embarquement, le récépissé mentionné à l'alinéa précédent. A défaut, l'embarquement est refusé et la personne est reconduite à l'extérieur des espaces concernés. Il en va de même lorsque le représentant de l'Etat a informé la personne concernée et l'entreprise de transport, au plus tard 48 heures avant le déplacement, que la déclaration et le document adressés ne permettent pas de retenir l'une des exceptions mentionnées au premier alinéa du I. / Les délais mentionnés au présent III ne sont pas applicables en cas d'urgence justifiée par l'intéressé auprès du représentant de l'Etat ".

5. En premier lieu, si les requérants soutiennent que le transfert au représentant de l'Etat du contrôle de l'existence d'un motif impérieux de déplacement ne présente aucun intérêt en termes de santé publique, il résulte au contraire de l'instruction que l'habilitation du représentant de l'Etat à exiger que les documents lui soient adressés plusieurs jours avant le déplacement permet, lorsque les circonstances locales le justifient, d'organiser un contrôle plus efficient que celui auquel il est procédé au moment de l'embarquement. En prévoyant la délivrance d'un récépissé en préfecture, les dispositions contestées permettent en outre de prémunir les intéressés contre un risque d'attente à l'aéroport ou de refus d'embarquement.

6. En deuxième lieu, le transfert aux services de la préfecture du contrôle de l'existence d'un motif impérieux de déplacement n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de modifier la nature de ce contrôle. En particulier, il ne saurait conduire à déroger au secret médical, notamment garanti par l'article L. 1110-4 du code de la santé publique. Dans l'hypothèse où le motif invoqué est un motif de santé, il appartient au demandeur de produire un certificat médical se bornant à attester de l'urgence du déplacement, sans mentionner de faits couverts par ce secret.

7. En troisième lieu, les dispositions du III de l'article 57-2 du décret du 16 octobre 2020 n'imposent nullement le recours à une procédure dématérialisée pour leur mise en oeuvre. Si les requérants font valoir qu'à Mayotte, les services de la préfecture exigent que les documents leur soient adressés par voie électronique, cette circonstance, qui est sans incidence sur la légalité de ces dispositions, ne saurait être invoquée à l'appui de conclusions tendant seulement à la suspension de leur exécution. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les données à caractère personnel le cas échéant transmises à l'administration pour la mise en oeuvre de ces dispositions sont collectées, conformément aux articles L. 112-8 et L. 112-9 du code des relations entre le public et l'administration, dans le cadre d'un téléservice dont rien ne permet de penser qu'il méconnaîtrait les prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'exécution des dispositions du III de l'article 57-2 du décret du 16 octobre 2020 porte une atteinte manifestement illégale à la liberté d'aller et venir et au droit au respect de la vie privée. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité ni sur la condition d'urgence, la requête de M. B... et de l'association " Le Collectif des citoyens de Mayotte " ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... et de l'association " Le Collectif des citoyens de Mayotte " est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., à l'association " Le Collectif des citoyens de Mayotte ", au Premier ministre et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au ministre des Outre-mer.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 451779
Date de la décision : 04/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 mai. 2021, n° 451779
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:451779.20210504
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