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27/04/2021 | FRANCE | N°440254

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 27 avril 2021, 440254


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2004836 du 23 avril 2020, enregistrée le 24 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. A... B....

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 8 mars 2020, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2, 3, 4, 5, 7, 10, 12, 13, 14, 15

, 16, 17, 18, 51 et 58 du décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 fixant le statut ...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2004836 du 23 avril 2020, enregistrée le 24 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. A... B....

Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 8 mars 2020, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2, 3, 4, 5, 7, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 51 et 58 du décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 fixant le statut des fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure ainsi que la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation, à l'exception de l'article 3, de l'ensemble de ces dispositions ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 50 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de la défense ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 53-39 du 3 février 1953 ;

- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 ;

- la décision n° 440254 du 30 novembre 2020 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B... ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Le décret n° 2015-386 du 3 avril 2015 fixe le statut des fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, des articles 2, 3, 4, 5, 7, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 51 et 58 de ce décret et, d'autre part, de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre, sur sa demande tendant à l'abrogation, à l'exception de l'article 3, de l'ensemble de ces dispositions.

Sur les conclusions dirigées contre les dispositions du décret du 3 avril 2015 :

2. Le décret du 3 avril 2015 a été publié au Journal officiel le 5 avril 2015. Par suite, les conclusions présentées le 8 mars 2020 par M. B... et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de plusieurs dispositions de ce décret sont tardives et doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions dirigées contre le refus d'abrogation de certaines dispositions du décret du 3 avril 2015 :

3. En raison de la permanence de l'acte réglementaire, la légalité des règles qu'il fixe, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment, de telle sorte que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales que cet acte est susceptible de porter à l'ordre juridique. Cette contestation peut prendre la forme d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger l'acte réglementaire, comme l'exprime l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration aux termes duquel : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de faits postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. / (...) ".

En ce qui concerne le moyen tiré de l'illégalité externe du décret :

4. Aux termes de l'article 2 de la loi du 3 février 1953 relative au développement des crédits affectés aux dépenses de fonctionnement des services civils pour l'exercice 1953, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique : " Il est créé, pour les besoins permanents du service de documentation extérieure et de contre-espionnage, des cadres de fonctionnaires titulaires, qui ne sont pas soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. / Un décret en Conseil d'Etat, pris en application de la présente loi, déterminera le statut de son personnel ".

5. L'article 2 de la loi du 3 février 1953 a soustrait les fonctionnaires des corps du service de documentation extérieure et de contre-espionnage, auquel a succédé la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), du champ d'application des dispositions du statut général des fonctionnaires. Il habilite le pouvoir réglementaire à définir, par décret en Conseil d'Etat, l'ensemble du statut du personnel non militaire de la DGSE. Le décret du 3 avril 2015 ayant été pris sur le fondement de cette disposition législative, le moyen tiré de l'illégalité du refus d'abroger les dispositions critiquées du décret du 3 avril 2015 en raison de l'incompétence dont ce décret serait entaché ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés de l'illégalité interne du décret :

S'agissant de l'article 2 du décret :

6. En indiquant dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l'assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève constitue l'une des modalités, et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte. En l'absence de la complète législation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif, ou bien contraire aux nécessités de l'ordre public ou aux besoins essentiels du pays. En l'état de la législation, il appartient à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et l'étendue de ces limitations pour les services dont l'organisation lui incombe. En l'espèce, il appartient au pouvoir réglementaire, compétent, ainsi qu'il a été dit au point 5, pour adopter le statut du personnel de la DGSE par la voie du décret en Conseil d'Etat auquel renvoie l'article 2 de la loi du 3 février 1953, de déterminer les limitations à l'exercice du droit de grève de ces agents.

7. Aux termes de l'article D. 3126-2 du code de la défense, " la direction générale de la sécurité extérieure a pour mission, au profit du Gouvernement et en collaboration étroite avec les autres organismes concernés, de rechercher et d'exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que de détecter et d'entraver, hors du territoire national, les activités d'espionnage dirigées contre les intérêts français afin d'en prévenir les conséquences ". En vertu de l'article 2 du décret du 3 avril 2015, les fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure ne disposent pas du droit de grève.

8. Une cessation concertée du travail de fonctionnaires de la DGSE aurait, eu égard aux missions de cette direction qui doivent être assurées sans discontinuité, pour effet de porter une atteinte grave à la sécurité nationale. Dès lors, en leur refusant l'exercice du droit de grève, l'article 2 du décret du 3 avril 2015 ne méconnaît pas le septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

S'agissant des articles 4 et 5 du décret :

9. L'article 4 du décret du 3 avril 2015 prévoit que les fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure ne sont pas autorisés à exercer le droit syndical. Aux termes de l'article 5 du même décret : " I. - Sous réserve de satisfaire à la condition prévue au premier alinéa de l'article 6 du présent décret, les fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure peuvent librement créer ou adhérer à une association professionnelle nationale ayant pour objet de préserver et de promouvoir les intérêts professionnels des agents régis par le présent décret. / L'activité d'une telle association ne peut porter atteinte aux exigences de sécurité définies au chapitre II du présent décret. Elle doit s'exercer dans des conditions compatibles avec l'exécution des activités et missions opérationnelles. / L'association a son siège social dans les locaux mis à disposition par la direction générale de la sécurité extérieure. / II. - Les associations reconnues représentatives peuvent être entendues à leur demande par le directeur général de la sécurité extérieure sur les questions générales intéressant la condition du personnel. / Les conditions d'appréciation de la représentativité, fondées sur le nombre d'adhérents au regard de l'effectif total des agents régis par le présent décret, ainsi que les moyens mis à la disposition des associations, sont fixés par arrêté du ministre de la défense ".

10. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que si l'article 4 du décret attaqué interdit aux agents de la DGSE l'exercice du droit syndical, l'article 5 leur ouvre la possibilité de créer et d'adhérer à des groupements professionnels à la condition que ces derniers soient constitués sous la forme d'associations professionnelles nationales dont la mission est de défendre leurs intérêts professionnels. Ces associations professionnelles disposent de la capacité de former des recours contre les actes réglementaires concernant le statut du personnel et les décisions individuelles portant atteinte aux intérêts collectifs des agents. Celles de ces associations qui sont reconnues représentatives bénéficient de moyens mis à leur disposition et peuvent être entendues à leur demande par le directeur général de la sécurité extérieure sur les questions générales intéressant la condition du personnel. Eu égard à la spécificité des missions de la direction générale de la sécurité extérieure, direction du ministère des armées composée pour partie de militaires, et des contraintes en résultant pour ses agents, les dispositions des articles 4 et 5 du décret attaqué assurent une conciliation équilibrée entre le respect de l'exigence constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et la liberté syndicale garantie par le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté syndicale doit, en conséquence, être écarté.

11. En second lieu, d'une part, l'article 5 du décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire à un agent de la DGSE, dans le cadre de sa vie privée, de créer ou d'adhérer à une association. D'autre part, ni la création d'une association professionnelle nationale ayant pour objet de préserver et de promouvoir les droits des agents de la DGSE, ni l'adhésion à une telle association ne sont soumises à autorisation de l'administration. M. B... n'est ainsi pas fondé à soutenir que l'article 5 du décret attaqué méconnaîtrait la liberté d'association garantie par la Constitution.

S'agissant de l'article 7 du décret :

12. L'article 7 du décret du 3 avril 2015 dispose que " les fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure sont tenus d'informer l'administration des modifications affectant leur situation personnelle. Le défaut d'information peut entraîner le retrait de l'habilitation spéciale de sécurité, après avis du conseil de direction mentionné à l'article 10 ".

13. Eu égard à la spécificité des missions des agents de la DGSE qui doivent à ce titre disposer d'une habilitation spéciale de sécurité et aux vulnérabilités susceptibles de résulter de leur situation personnelle, l'obligation faite à ces agents de tenir l'administration informée des évolutions de leur situation personnelle est justifiée par la nécessité de préserver le secret de la défense nationale, de ne pas compromettre la réalisation de leurs missions et d'assurer la protection de ces agents. Par suite, l'article 7 du décret attaqué ne porte pas au droit des agents au respect de leur vie privée une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis.

S'agissant des articles 10 et 58 du décret :

14. Le moyen tiré de ce que les articles 10 et 58 du décret attaqué, qui sont relatifs respectivement aux décisions pouvant être prises en cas de manquements de l'agent à certaines de ses obligations professionnelles et au placement en disponibilité d'office dans l'intérêt du service en cas de retrait de l'habilitation spéciale de sécurité des agents de la DGSE, méconnaîtraient les droits de la défense n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

15. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du Premier ministre refusant d'abroger certaines dispositions du décret du 3 avril 2015.

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la ministre des armées.

Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 440254
Date de la décision : 27/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 avr. 2021, n° 440254
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:440254.20210427
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