La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/03/2021 | FRANCE | N°434902

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 22 mars 2021, 434902


Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Geomarket, anciennement dénommée Dubus, puis la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Soinne, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Geomarket, ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Dubus au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2009, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1600657 du 30 mars 2017, ce tribunal a rejeté cette d

emande.

Par un arrêt n° 17VE01689 du 25 juillet 2019, la cour administrati...

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Geomarket, anciennement dénommée Dubus, puis la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Soinne, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Geomarket, ont demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Dubus au titre de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2009, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement n° 1600657 du 30 mars 2017, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 17VE01689 du 25 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Soinne contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 septembre et 24 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Soinne, désormais dénommée MJS Partners, demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/115/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Geomarket représentée par la société MJS Partners ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la société Dubus, ensuite dénommée Geomarket, qui exerçait une activité d'intermédiaire sur le marché des quotas d'émission de gaz à effet de serre, l'administration a remis en cause, sur le fondement des dispositions de l'article 271 du code général des impôts, son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures émises par neuf sociétés auprès desquelles elle avait acquis de tels quotas et qui avaient, selon elle, commis des fraudes. Par un jugement du 30 mars 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de cette société tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, d'un montant total de 92 694 100 euros, mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2019 au 30 juin 2009, ainsi que des intérêts de retard et pénalités pour manquement délibéré dont ces rappels ont été assortis. La société MJS Partners, agissant en qualité de mandataire-liquidateur de la société Geomarket, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 25 juillet 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles qui a rejeté l'appel formé contre ce jugement.

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes des I et II de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; (...) ".

3. Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions du I et du a) du 1 du II de l'article 271 du code général des impôts citées au point 2 assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 18 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (aff. C-131/13, 163/13 et 164/13).

4. Si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ou d'autres fraudes, ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (aff. C-439/04 et C-440/04).

5. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (aff. C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations.

6. Enfin, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées.

Sur le pourvoi :

7. En premier lieu, pour juger que l'administration fiscale établissait l'existence d'une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée de la part des sociétés Carlina, Ecosay consulting, Eusterogaz, Euro Trade Energy, Global Energie, Green and Blue, Lionsgate Ltd, Power Trade et Rudy Trading, auprès desquelles la société Dubus avait procédé à des acquisitions de quotas d'émissions de gaz à effet de serre dans la période allant de la fin du mois de mars au 5 juin 2009, la cour administrative d'appel de Versailles s'est fondée sur les éléments de la proposition de rectification du 23 octobre 2012 adressée à la société Dubus et a relevé que celle-ci ne contestait ni la matérialité de ces éléments, ni l'existence d'une fraude. Si la cour a relevé, à tort, que les mentions de la proposition de rectification faisaient foi jusqu'à preuve du contraire, elle n'a pas méconnu les règles relatives à la charge de la preuve rappelées aux points 5 et 6 dès lors qu'elle a relevé que l'existence de la fraude reprochée aux différents fournisseurs n'était pas contestée par la société Dubus.

8. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt contesté que la cour a analysé les éléments objectifs portant sur chacune des sociétés séparément, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices qui auraient permis à la société Dubus de les soupçonner de fraude et des mesures qui auraient pu raisonnablement être exigées, en tenant compte du contexte particulier de la fraude en cause qui consistait en la création de sociétés ayant des caractéristiques similaires et développant très rapidement des volumes importants de transactions sur le marché des quotas d'émission de gaz à effet de serre.

9. En troisième lieu, la cour a relevé, par un arrêt suffisamment motivé et au terme d'une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, le développement sur une courte période de volumes très importants de transactions avec chacune des neuf sociétés mentionnées au point 7 sans proportion avec les volumes réalisés par les investisseurs institutionnels du marché, la connaissance par les extraits K bis produits par chacune des sociétés auprès de la société Dubus d'une création récente, de l'absence de locaux et de moyens humains et matériels en rapport avec l'activité déployée et de capitaux disponibles limités et ainsi que les règlements effectués sur des comptes bancaires détenus dans pays étrangers sans lien avec leur lieu de résidence ou celui de réalisation des opérations. En se fondant sur ces éléments pour estimer que l'administration apportait la preuve de l'existence d'indices permettant à la société Dubus, compte tenu de son positionnement et de sa connaissance du marché, de soupçonner la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

10. En quatrième lieu, la cour a relevé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que l'administration établissait que les contrôles mis en place par la société Dubus étaient des contrôles formels et a minima reposant sur une vérification documentaire avant l'ouverture du compte client, sans suivi des opérations et de la relation d'affaires en dépit du volume d'affaires réalisé et a estimé que cette société ne pouvait utilement justifier l'absence de tout commencement de recherches complémentaires par la seule invocation du contrôle de la Caisse des dépôts et consignations sur le registre national des quotas d'émission de gaz à effet de serre et l'information du service à compétence nationale " Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins " (TRACFIN) lors de l'ouverture des comptes. En statuant de la sorte, la cour n'a pas méconnu les règles relatives à la charge de la preuve rappelées aux points 5 et 6.

11. Il résulte de ce qui précède que la société MJS Partners agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Geomarket n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société MJS Partners agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Geomarket est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société d'exercice libéral par actions simplifiée MJS Partners, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société anonyme Geomarket, et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 434902
Date de la décision : 22/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mar. 2021, n° 434902
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hervé Cassagnabère
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:434902.20210322
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award