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12/03/2021 | FRANCE | N°438508

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 12 mars 2021, 438508


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la somme de 231 828 euros mise à sa charge par un avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 18 février 2015. Par un jugement n° 1606652 du 15 décembre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande

Par un arrêt n° 18PA00524 du 12 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 19 mai

2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'E...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la somme de 231 828 euros mise à sa charge par un avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 18 février 2015. Par un jugement n° 1606652 du 15 décembre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande

Par un arrêt n° 18PA00524 du 12 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 19 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de sa comptabilité, la société civile LAS, détenue à parts égales par MM. A... et Marian, a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt au titre des exercices clos en 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003, assorties d'intérêts de retard et de la pénalité pour manquement délibéré. Ces impositions et majorations ont été mises en recouvrement les 14 janvier et 31 août 2005. Les 9 février et 13 octobre 2005, cette société a formé des réclamations contre ces impositions, assorties d'une demande tendant au bénéfice du sursis de paiement prévu à l'article L. 277 du livre des procédures fiscales. Le 30 octobre 2008, MM. A... et Marian ont cédé l'intégralité de leurs parts à l'EURL Reynie Participations. Le lendemain, cette société a décidé de dissoudre la société LAS, ce qui a entraîné, conformément à l'article 1844-5 du code civil, la transmission universelle de son patrimoine à son profit sans liquidation. Le tribunal administratif de Paris ayant rejeté la demande en décharge introduite par la société LAS par un jugement du 30 décembre 2009, l'administration fiscale a engagé le recouvrement des impositions en litige auprès de la société Reynie Participations. Le 18 février 2015, l'administration a émis un avis de mise en recouvrement portant sur une partie de ces impositions à l'encontre de M. A..., en sa qualité d'associé de la société LAS pendant la période d'imposition en cause. Par un jugement du 15 décembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de ce dernier tendant à obtenir la décharge des sommes correspondantes. M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1857 du code civil : " A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements (...) " L'article 1858 du même code dispose que : " Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale. " Enfin, l'article 1859 du code civil précise que : " Toutes les actions contre les associés non liquidateurs ou leurs héritiers et ayants cause se prescrivent par cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société. " Ces dispositions sont applicables à l'ensemble des sociétés civiles de droit commun.

4. Il résulte de ces dispositions qu'elles permettent à l'administration des impôts, après en avoir vainement et préalablement poursuivi le paiement auprès de la société elle-même, de constituer les associés d'une société civile débiteurs des dettes fiscales de la société, à proportion de leur part respective dans le capital social à la date d'exigibilité de la créance litigieuse. Dans le cas où la société civile a été dissoute, la notification du titre exécutoire qu'il appartient à l'administration de délivrer à chacun des associés concernés, avant, le cas échéant, d'engager des poursuites en vue du recouvrement des impositions mises à leur charge, doit intervenir dans le délai de prescription de cinq ans à compter de la publication de cette dissolution.

5. Pour écarter le moyen soulevé par M. A..., tiré de ce que la notification de l'avis de mise en recouvrement émis le 18 février 2015 à son égard en application de l'article 1857 du code civil était intervenue postérieurement au délai de prescription prévu par l'article 1859 du code civil de cinq ans à compter de la publication de la dissolution de la société LAS, la cour administrative d'appel de Paris s'est fondée sur ce que l'administration avait, le 10 janvier 2012, notifié à la société Reynie Participations un commandement de payer en vue du recouvrement des impositions en litige. En jugeant que cet acte de poursuite, notifié à la seule société Reynie Participations, avait interrompu à l'égard de M. A... la prescription prévue par l'article 1859 du code civil, alors qu'elle avait seulement pour effet d'interrompre, à l'égard de la société LAS et de toutes les personnes venant aux droits de cette société ou ayant la qualité de débiteur solidaire de ses dettes fiscales, la prescription de l'action en recouvrement prévue par l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer sur l'appel formé par M. A... contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 15 décembre 2017.

7. Il résulte de l'instruction que la publication de la dissolution de la société LAS, qui a entraîné la transmission universelle de son patrimoine à l'EURL Reynie Participations, son unique associé, en application des dispositions de l'article 1844-5 du code civil, est intervenue le 23 juin 2009. Cette date constitue, conformément aux dispositions de l'article 1859 du code civil, le point de départ du délai de prescription prévu par cet article. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, contrairement à ce que soutient l'administration, le cours de cette prescription n'a pas été interrompu par les actes de poursuite diligentés à l'encontre de la société Reynie Participations. Par suite, la prescription quinquennale prévue à l'article 1859 du code civil était acquise à la date de notification à M. A... de l'avis de mise en recouvrement émis à son encontre le 18 février 2015. Il en résulte que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des sommes qui lui ont été réclamées par cet avis de mise en recouvrement.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 12 décembre 2019 est annulé.

Article 2 : Le jugement du 15 décembre 2017 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : M. A... est déchargé de la somme de 231 828 euros mise à sa charge par l'avis de mise en recouvrement émis le 18 février 2015.

Article 4 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 438508
Date de la décision : 12/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - 1) POSSIBILITÉ DE CONSTITUER LES ASSOCIÉS D'UNE SOCIÉTÉ CIVILE DÉBITEURS DES IMPÔTS DUS PAR CELLE-CI - NÉCESSITÉ D'UNE VAINE POURSUITE PRÉALABLE DE LA SOCIÉTÉ - EXISTENCE [RJ1] - 2) DÉLAI QUINQUENNAL DE REPRISE DANS LE CAS OÙ LA SOCIÉTÉ A ÉTÉ DISSOUTE (ART - 1859 DU CODE CIVIL) - PRESCRIPTION D'ASSIETTE - EXISTENCE - PRESCRIPTION DE RECOUVREMENT - ABSENCE [RJ2] - POINT DE DÉPART - PUBLICATION DE LA DISSOLUTION - 3) ESPÈCE.

19-01-03 1) Les articles 1857 et 1858 du code civil permettent à l'administration des impôts, après en avoir vainement et préalablement poursuivi le paiement auprès de la société elle-même, de constituer les associés d'une société civile débiteurs des dettes fiscales de la société, à proportion de leur part respective dans le capital social à la date d'exigibilité de la créance litigieuse.,,,2) En vertu de l'article 1859 du code civil et dans le cas où la société civile a été dissoute, la notification du titre exécutoire qu'il appartient à l'administration de délivrer à chacun des associés concernés, avant, le cas échéant, d'engager des poursuites en vue du recouvrement des impositions mises à leur charge, doit intervenir dans le délai de prescription de cinq ans à compter de la publication de cette dissolution.... ,,3) Société civile détenue par deux personnes physiques et imposée les 14 janvier et 31 août 2005, dont les parts ont toutes été cédées à une société tierce le 30 octobre 2008, et qui a été dissoute sans liquidation en application de l'article 1844-5 du code civil le lendemain. Publication de la dissolution le 23 juin 2009. Acte de poursuite émis à l'encontre de la société cessionnaire le 10 janvier 2012. Mise en recouvrement d'une partie des impositions entre les mains de l'un des anciens associés cédants le 18 février 2015.,,,L'acte de poursuite notifié à la société cessionnaire a seulement eu pour effet d'interrompre, à l'égard de la société cédante et de toutes les personnes venant à ses droits ou ayant la qualité de débiteur solidaire de ses dettes fiscales, la prescription de l'action en recouvrement prévue par l'article L. 274 du livre des procédures fiscales (LPF).,,,Il n'a pas interrompu, à l'égard des anciens associés cédants, le délai de la prescription prévue à l'article 1859 du code civil, lequel est arrivé à échéance cinq ans après la publication de la dissolution de la société civile. Cette prescription quinquennale était donc acquise à la date à laquelle l'impôt a été mis en recouvrement entre les mains de l'associé cédant.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RECOUVREMENT - ACTION EN RECOUVREMENT - DÉTERMINATION DU REDEVABLE DE L'IMPÔT - 1) POSSIBILITÉ DE CONSTITUER LES ASSOCIÉS D'UNE SOCIÉTÉ CIVILE DÉBITEURS DES IMPÔTS DUS PAR CELLE-CI - NÉCESSITÉ D'UNE VAINE POURSUITE PRÉALABLE DE LA SOCIÉTÉ - EXISTENCE [RJ1] - 2) DÉLAI QUINQUENNAL DE REPRISE DANS LE CAS OÙ LA SOCIÉTÉ A ÉTÉ DISSOUTE (ART - 1859 DU CODE CIVIL) - PRESCRIPTION D'ASSIETTE - EXISTENCE - PRESCRIPTION DE RECOUVREMENT - ABSENCE [RJ2] - POINT DE DÉPART - PUBLICATION DE LA DISSOLUTION - 3) ESPÈCE.

19-01-05-01-01 1) Les articles 1857 et 1858 du code civil permettent à l'administration des impôts, après en avoir vainement et préalablement poursuivi le paiement auprès de la société elle-même, de constituer les associés d'une société civile débiteurs des dettes fiscales de la société, à proportion de leur part respective dans le capital social à la date d'exigibilité de la créance litigieuse.,,,2) En vertu de l'article 1859 du code civil et dans le cas où la société civile a été dissoute, la notification du titre exécutoire qu'il appartient à l'administration de délivrer à chacun des associés concernés, avant, le cas échéant, d'engager des poursuites en vue du recouvrement des impositions mises à leur charge, doit intervenir dans le délai de prescription de cinq ans à compter de la publication de cette dissolution.... ,,3) Société civile détenue par deux personnes physiques et imposée les 14 janvier et 31 août 2005, dont les parts ont toutes été cédées à une société tierce le 30 octobre 2008, et qui a été dissoute sans liquidation en application de l'article 1844-5 du code civil le lendemain. Publication de la dissolution le 23 juin 2009. Acte de poursuite émis à l'encontre de la société cessionnaire le 10 janvier 2012. Mise en recouvrement d'une partie des impositions entre les mains de l'un des anciens associés cédants le 18 février 2015.,,,L'acte de poursuite notifié à la société cessionnaire a seulement eu pour effet d'interrompre, à l'égard de la société cédante et de toutes les personnes venant à ses droits ou ayant la qualité de débiteur solidaire de ses dettes fiscales, la prescription de l'action en recouvrement prévue par l'article L. 274 du livre des procédures fiscales (LPF).,,,Il n'a pas interrompu, à l'égard des anciens associés cédants, le délai de la prescription prévue à l'article 1859 du code civil, lequel est arrivé à échéance cinq ans après la publication de la dissolution de la société civile. Cette prescription quinquennale était donc acquise à la date à laquelle l'impôt a été mis en recouvrement entre les mains de l'associé cédant.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 26 janvier 2011, Société SCEA des vignobles du Chateau Lieujean, n° 309362, T. p. 873.,,

[RJ2]

Rappr. Cass. com., 20 mars 2019, n° 17-18.924, publié au Bulletin.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 mar. 2021, n° 438508
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles-Emmanuel Airy
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP L. POULET-ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:438508.20210312
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