La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/02/2021 | FRANCE | N°437277

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 24 février 2021, 437277


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 437277, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 31 décembre 2019, les 11 mai et 2 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Canopée et l'association Les amis de la Terre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note d'information de la direction générale des douanes et des droits indirects du 19 décembre 2019 relative à la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants, en tant qu'elle prévoit que les bioca

rburants produits à partir de PFAD ne seront pas exclus du mécanisme de cette ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 437277, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 31 décembre 2019, les 11 mai et 2 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Canopée et l'association Les amis de la Terre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note d'information de la direction générale des douanes et des droits indirects du 19 décembre 2019 relative à la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants, en tant qu'elle prévoit que les biocarburants produits à partir de PFAD ne seront pas exclus du mécanisme de cette taxe à compter du 1er janvier 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 438782, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 17 février et le 25 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Greenpeace France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note d'information de la direction générale des douanes et des droits indirects du 19 décembre 2019 relative à la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants, en tant qu'elle prévoit que les biocarburants produits à partir de PFAD ne seront pas exclus du mécanisme de cette taxe à compter du 1er janvier 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code des douanes ;

- la décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 décembre 2020, présentée par la société Total Raffinage France ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme B... A..., rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'Association Greenpeace France ;

Considérant ce qui suit :

1. La requête des associations Canopée et Les Amis de la Terre et celle de l'association Greenpeace France, qui demandent toutes deux l'annulation pour excès de pouvoir de la note d'information du 19 décembre 2019 de la direction générale des douanes et des droits indirects relative à la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants (TIRIB), en tant qu'elle prévoit que les biocarburants produits à partir de distillats d'acide gras de palme (PFAD) ne seront pas exclus de la qualification de biocarburants pour la mise en oeuvre de cette taxe à compter du 1er janvier 2020, présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention :

2. La société Total Raffinage France justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la note d'information attaquée. Ainsi, son intervention en défense est recevable.

Sur la recevabilité des requêtes :

3. En premier lieu, les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

4. La note d'information du 19 décembre 2019 est relative à certaines modalités d'application des dispositions du dernier alinéa du B du V de l'article 266 quindecies du code des douanes, selon lequel : " Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d'huile de palme ". Le IV de cette note, intitulé " Traitement fiscal des biocarburants produits à base de PFAD à compter du 1er janvier 2020 ", indique que " (...) les biocarburants produits à partir d'huile de palme ne seront plus pris en compte pour la minoration du taux de la TIRIB. / Ainsi, les EMHV et les HVO de type gazole et de type essence produits à partir d'huile de palme seront exclus du mécanisme de la TIRIB. / Toutefois, les biocarburants produits à partir de PFAD ne seront pas exclus du mécanisme de la TIRIB à compter du 1er janvier 2020 : ces biocarburants ne peuvent, en effet, pas être considérés comme des produits à base d'huile de palme ". Cette note d'information, qui est susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés de la mettre en oeuvre, est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

5. En second lieu, la note d'information attaquée a notamment pour effet d'exclure les biocarburants issus de PFAD des dispositions du dernier alinéa du B du V de l'article 266 quindecies du code des douanes, à propos duquel le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019, que " en adoptant les dispositions contestées, le législateur s'est fondé sur le constat que l'huile de palme se singularise par la forte croissance et l'importante extension de la surface mondiale consacrée à sa production, en particulier sur des terres riches en carbone, ce qui entraîne la déforestation et l'assèchement des tourbières ". Eu égard à la portée de la note d'information, les associations Canopée et Les amis de la Terre, qui ont pour objet statutaire " d'oeuvrer pour la protection et à la restauration des forêts " pour la première, " d'agir pour la protection des êtres humains et de l'environnement " pour la seconde, justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour en demander l'annulation pour excès de pouvoir. Il en va de même s'agissant de l'association Greenpeace France qui, aux termes de l'article 1er de ses statuts, " a pour but la protection de l'environnement et de la biodiversité de la planète (...) et en particulier : / (...) - la protection des énergies renouvelables (...) ; / la lutte contre les pollutions et nuisances portant atteinte aux équilibres fondamentaux (...) du sol, (...) des sites et paysages ".

Sur les moyens des requêtes :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 266 quindecies du code des douanes : " I.- Les redevables de la taxe intérieure de consommation prévue à l'article 265 sont redevables d'une taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants. / (...) III.- La taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants est assise sur le volume total, respectivement, des essences et des gazoles pour lesquels elle est devenue exigible au cours de l'année civile. / Le montant de la taxe est calculé séparément, d'une part, pour les essences et, d'autre part, pour les gazoles. / Ce montant est égal au produit de l'assiette définie au premier alinéa du présent III par le tarif fixé au IV, auquel est appliqué un coefficient égal à la différence entre le pourcentage national cible d'incorporation d'énergie renouvelable dans les transports, fixé au même IV, et la proportion d'énergie renouvelable contenue dans les produits inclus dans l'assiette. Si la proportion d'énergie renouvelable est supérieure ou égale au pourcentage national cible d'incorporation d'énergie renouvelable dans les transports, la taxe est nulle. / (...) V.- A.- La proportion d'énergie renouvelable désigne la proportion, évaluée en pouvoir calorifique inférieur, d'énergie produite à partir de sources renouvelables dont le redevable peut justifier qu'elle est contenue dans les carburants inclus dans l'assiette, compte tenu, le cas échéant, des règles de calcul propres à certaines matières premières prévues aux C et D du présent V et des dispositions du VII. / L'énergie contenue dans les biocarburants est renouvelable lorsque ces derniers remplissent les critères de durabilité définis à l'article 17 de la directive 2009/28/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/ CE et 2003/30/ CE dans sa rédaction en vigueur au 24 septembre 2018 ".

7. En vertu des dispositions du B du V du même article 266 quindecies du code des douanes, la part d'énergie issue de matières premières dont la culture et l'utilisation pour la production de biocarburants présentent un risque élevé d'induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre neutralisant la réduction des émissions qui résulte de la substitution par ces biocarburants des carburants fossiles et dont l'expansion des cultures s'effectue sur des terres présentant un important stock de carbone, n'est pas prise en compte au-delà d'un seuil. Ce seuil est égal au produit entre, d'une part, la proportion de l'énergie issue des matières premières répondant aux conditions rappelées ci-dessus qui est contenue respectivement dans les gazoles et dans les essences, en France métropolitaine en 2017, et, d'autre part, un pourcentage fixé à 100 % pour les années 2020 à 2023, à 87,5 % pour l'année 2024 et diminuant progressivement jusqu'à 0 % à compter de l'année 2031. En revanche, ces dispositions ne s'appliquent pas à l'énergie issue de ces matières premières lorsqu'il est constaté qu'elles ont été produites dans des conditions particulières permettant d'éviter le risque élevé d'induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre neutralisant la réduction de ces émissions qui résulte de la substitution par ces biocarburants des carburants fossiles.

8. Enfin, aux termes du dernier alinéa du B du V de l'article 266 quindecies du code des douanes : " Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d'huile de palme ".

9. Ces dernières dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 192 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 dont elles sont issues, ont pour objet de ne pas tenir compte des biocarburants issus d'huile de palme au titre de la part d'énergie renouvelable servant au calcul du coefficient mentionné au dernier alinéa du III de l'article 266 quindecies du code des douanes. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par sa décision du 11 octobre 2019, le législateur, en adoptant ces dispositions, a tenu compte du fait que la culture de l'huile de palme présente un risque élevé, supérieur à celui présenté par la culture d'autres plantes oléagineuses, d'induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre. En décidant d'exclure du mécanisme de réduction de la TIRIB les " produits à base d'huile de palme ", le législateur doit être regardé comme ayant entendu viser l'ensemble des produits obtenus à partir de la culture des palmiers à huile.

10. Dès lors, en excluant de la notion de " produits à base d'huile de palme ", au sens du dernier alinéa du B du V de l'article 266 quindecies du code des douanes, les biocarburants produits à partir de PFAD, alors que les PFAD sont extraits de l'huile de palme brute au cours de son raffinage, la note d'information du 19 décembre 2019 a méconnu les dispositions législatives dont elle entendait préciser les modalités d'application.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête n° 437277, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir du IV de la note d'information du 19 décembre 2019 de la direction générale des douanes et des droits indirects.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 3 000 euros à verser aux associations Canopée et Les amis de la Terre et une somme de 3 000 euros à verser à l'association Greenpeace France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de la société Total Raffinage France est admise.

Article 2 : Le IV de la note d'information du 19 décembre 2019 de la direction générale des douanes et des droits indirects est annulé.

Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros aux associations Canopée et Les amis de la terre et une somme de 3 000 euros à l'association Greenpeace France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Canopée, à l'association Les amis de la Terre, à l'association Greenpeace France, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Total Raffinage France.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 437277
Date de la décision : 24/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 fév. 2021, n° 437277
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Matias de Sainte Lorette
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:437277.20210224
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award