La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/01/2021 | FRANCE | N°448204

France | France, Conseil d'État, 13 janvier 2021, 448204


Vu la procédure suivante :

M. I... J... et Mme E... Q... et leurs deux enfants A... K... et AQ... Ahmad ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, d'une part, de procéder à la recherche active dans le dispositif départemental, régional et national des lieux susceptibles de les accueillir dans un délai de 48 heures et, d'autre part, d'indiquer un lieu susceptible de les accuei

llir dans un délai de 72 heures et, à titre subsidiaire, d'enjoindr...

Vu la procédure suivante :

M. I... J... et Mme E... Q... et leurs deux enfants A... K... et AQ... Ahmad ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à titre principal, d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, d'une part, de procéder à la recherche active dans le dispositif départemental, régional et national des lieux susceptibles de les accueillir dans un délai de 48 heures et, d'autre part, d'indiquer un lieu susceptible de les accueillir dans un délai de 72 heures et, à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Guyane de les mettre à l'abri au sein du dispositif d'hébergement d'urgence de droit commun dans un délai de 72 heures ou, à défaut, de procéder à la mise en place de 2 points d'eau comprenant 5 robinets chacun dans un délai de 48 heures sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de procéder à l'installation de 5 toilettes de chantier à proximité immédiate du campement, en veillant à leur entretien et vidange sous les mêmes conditions d'astreinte. Par une ordonnance n° 2001212 du 10 décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.

Le même juge des référés a rejeté, le 10 décembre 2020, la demande similaire présentée sous le n° 2001213 par M. S... AC... et Mme F... AK... et leurs trois enfants, celle présentée sous le n° 201216 par M. AJ... L... et ses deux enfants, le 14 décembre 2020, celle présentée sous le n° 2001235 par M. N... H... et Mme M... AE... et leur fils majeur, celle présentée sous le n° 2001237 par M. AF... AD... et Mme AO... et leur enfant, celle présentée sous le n° 2001239 par M. AA... AH... et Mme AP... et leurs deux enfants, celle présentée sous le n° 201241 par M. D... T... et Mme C... R... et leurs trois enfants, celle présentée sous le n° 201243 par M. AN... et Mme U... P... et leurs deux enfants majeurs, celle présentée sous le n° 2001247 par M. G... V... et Mme AG..., celle présentée sous le n° 2001249 par M. Z... AM... et Mme AI... AL... et, le 22 décembre 2020, celle présentée sous le n° 2001287 par M. O... W... et Mmes B... Y... et AB... X....

Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. I... J... et Mme E... Q... et leurs deux enfants, ainsi que les autres requérants, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Guyane ayant rejeté leur demande de première instance ;

2°) de faire droit à leurs conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacun d'entre eux au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'ils campent de façon précaire et qu'ils sont accompagnés de leurs enfants ou souffrent de pathologies graves ;

- l'obligation de leur assurer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil revêt pour l'Office français de l'immigration et de l'intégration le caractère d'une obligation de résultats et non seulement de moyens ;

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif a admis l'application de critères de vulnérabilité pour prioriser les entrées dans le dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile et s'est fondé sur leur absence de vulnérabilité au sens de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- leurs conditions d'accès aux sanitaires et à l'eau potable portent atteinte à la dignité humaine et les mesures provisoires demandées ne sont pas manifestement insusceptibles de se rattacher aux compétences de l'Etat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée. Il appartient au juge des référés saisi en appel de porter son appréciation sur ce point au regard de l'ensemble des pièces du dossier, et notamment des éléments recueillis par le juge de première instance dans le cadre de la procédure écrite et orale qu'il a diligentée.

2. Il résulte de l'instruction diligentée par le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane que M. J... et Mme Q..., demandeurs d'asile d'origine palestinienne accompagnés de leurs deux enfants, vivent dans un campement de tentes abritant plusieurs dizaines de personnes, situé en bord de mer à la pointe Buzaré, sur le territoire de la commune de Cayenne. Les intéressés ont, de même que d'autres demandeurs d'asile ayant présenté dix autres demandes identiques, saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane en vue qu'il d'ordonne, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, à titre principal, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration plusieurs mesures relatives à leur hébergement et, d'autre part, à titre subsidiaire, au préfet de la Guyane plusieurs mesures relative à leur mise à l'abri et à leur accès à l'eau potable et à des latrines, afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales qui seraient portées à leurs libertés fondamentales. Par une ordonnance du 10 décembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté la demande de M. J... et Mme Q.... Il a également rejeté les autres demandes par des ordonnances des 10, 14 et 22 décembre 2020. M. J... et Mme Q... relèvent appel de l'ordonnance rejetant leur demande de première instance, de même que les autres requérants.

Sur le cadre juridique :

3. D'une part, si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le caractère grave et manifestement illégal d'une telle atteinte s'apprécie en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et de la situation du demandeur. Ainsi, le juge des référés, qui apprécie si les conditions prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies à la date à laquelle il se prononce, ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de cet article en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille.

4. D'autre part, il appartient aux autorités de l'Etat de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette tâche peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

5. Enfin, en l'absence de texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur l'appel :

6. En l'espèce, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a estimé que l'absence d'hébergement des requérants et de leurs enfants ne caractérisait une atteinte grave et manifestement illégale, ni au droit d'asile, ni au droit à l'hébergement d'urgence et que la situation du campement de la pointe Buzaré ne révélait aucune carence de nature à exposer les personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, la satisfaction des besoins élémentaires des intéressés ne pouvant être regardée comme manifestement insuffisante.

7. En premier lieu, si les requérants font valoir que, compte tenu de leur acceptation des conditions matérielles d'accueil prévues à l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligation de leur assurer le bénéfice d'un hébergement revêt pour l'Office français de l'immigration et de l'intégration le caractère d'une obligation de résultats, sans que puissent être utilement pris en compte les moyens mis en oeuvre ou leur degré de vulnérabilité au sens de l'article L. 744-6 du même code, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas, tout à la fois, où le comportement de celle-ci fait apparaître, notamment au regard des moyens dont elle dispose, une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile ou du droit à l'hébergement d'urgence et où il résulte de ce comportement des conséquences graves pour l'intéressé, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille. En l'espèce, le juge des référés de première instance a relevé la saturation du dispositif d'accueil mis en place en Guyane, tant pour l'accueil des demandeurs d'asile que pour l'hébergement d'urgence, le versement aux intéressés de l'allocation majorée pour demandeur d'asile et leur absence de vulnérabilité. Dans ces conditions, en se bornant à faire valoir les droits qu'ils tiennent de leur acceptation des conditions matérielles d'accueil, les requérants n'apportent en appel aucun élément de nature à infirmer l'appréciation de ce juge quant à l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale portée par l'Office de l'immigration et de l'intégration et l'Etat à une liberté fondamentale au regard des critères mentionnés aux points 3 et 4, du fait d'une carence dans la mise en oeuvre du droit d'asile ou du droit à l'hébergement d'urgence.

8. En deuxième lieu, s'il résulte de l'instruction diligentée par le juge des référés de première instance que les requérants, installés comme il a été dit dans un campement de tentes en bord de mer, sont soumis à une grande précarité, il en résulte également qu'une rampe d'eau potable a été installée par l'administration sur ce site située en ville et qu'ils ont accès gratuitement jour et nuit à des sanitaires ouverts à une distance de quelques centaines de mètres, contraignante mais ne les rendant pas manifestement inutilisables pour la satisfaction de leurs besoins élémentaires, ainsi qu'aux douches municipales. Les requérants n'apportent en appel aucun élément de nature à infirmer l'appréciation du juge des référés de première instance quant à l'absence dans ces conditions d'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale au regard des critères mentionnés au point 5, du fait d'une carence des autorités titulaires du pouvoir de police générale.

9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il est manifeste que l'appel de M. J... et des autres requérants ne peut être accueilli. Leur requête, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peut dès lors qu'être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité, selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de M. J... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. I... J..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 448204
Date de la décision : 13/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 jan. 2021, n° 448204
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2021:448204.20210113
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award