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28/12/2020 | FRANCE | N°428753

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 28 décembre 2020, 428753


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 mars et 11 juin 2019 et le 11 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économie

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 mars et 11 juin 2019 et le 11 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire du 31 décembre 2018 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie et mettant en place des bonifications pour certaines opérations standardisées d'économies d'énergie ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages ;

Considérant ce qui suit :

1. Les articles L. 221-1 à L. 222-9 du code de l'énergie instituent un dispositif soumettant les fournisseurs d'énergie dont les ventes excèdent un certain seuil à des obligations d'économies d'énergie, dont ils s'acquittent par la détention, à la fin de chaque période de référence, de certificats d'économies d'énergie (CEE). Les fournisseurs d'énergie peuvent réunir les certificats soit en réalisant eux-mêmes des économies d'énergie, soit en obtenant de leurs clients qu'ils en réalisent, soit en les acquérant auprès d'un autre fournisseur d'énergie ou d'une personne morale qui, en application de l'article L. 221-7 de ce code, est susceptible d'obtenir des certificats en contrepartie de mesures d'économies d'énergie réalisées volontairement.

2. Par un arrêté du 31 décembre 2018, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique, a modifié l'arrêté du 29 décembre 2014 pris pour l'application des dispositions mentionnées au point 1, pour y ajouter notamment un article 3-6 prévoyant, en faveur des signataires de la charte intitulée " coup de pouce chauffage " qui s'engagent à accorder aux ménages et à leurs bailleurs des réductions tarifaires sur certaines opérations réalisées pour leur compte et engagées jusqu'au 31 décembre 2020, une bonification du volume des certificats correspondants. Ce dispositif se substitue au dispositif " coup de pouce économies d'énergie " introduit par arrêté du 25 février 2017 et modifié par arrêté du 22 décembre 2017. Le nouvel arrêté soumet la bonification ouverte au titre de sept opérations liées à la mise en place d'équipements produisant de la chaleur, à la condition que la nouvelle installation vienne en remplacement d'une chaudière au charbon, au fioul ou au gaz autre qu'à condensation, ou, pour l'opération liée à l'acquisition d'un appareil indépendant de chauffage au bois, en remplacement d'un équipement de chauffage fonctionnant principalement au charbon. La fédération requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

3. L'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement dispose que : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale (...) que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ". L'arrêté du 31 décembre 2018 en litige a été signé par M. B... A..., directeur général de l'énergie et du climat, pour le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et par délégation de celui-ci. Le directeur général de l'énergie et du climat est un directeur d'administration centrale, directement rattaché au ministre chargé de la transition écologique et solidaire. M. B... A... ayant été nommé par un décret du 19 décembre 2012 publié au Journal officiel de la République française le 21 décembre 2012, il avait, du fait de cette publication, qualité pour signer cet arrêté. Le moyen tiré de ce que ce dernier aurait été pris par une autorité incompétente doit, par suite, être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

4. Aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 221-7 du code de l'énergie : " L'installation d'équipements permettant le remplacement d'une source d'énergie non renouvelable par une source d'énergie renouvelable ou de récupération pour la production de chaleur donne lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie selon des modalités de calcul spécifiques ". Aux termes de l'article L. 221-8 du même code : " Les certificats d'économies d'énergie sont des biens meubles négociables, dont l'unité de compte est le kilowattheure d'énergie finale économisé. Ils peuvent être détenus, acquis ou cédés par toute personne mentionnée aux 1° à 6° de l'article L. 221-7 ou par toute autre personne morale. Le nombre d'unités de compte est fonction des caractéristiques des biens, équipements, services, processus ou procédés utilisés pour réaliser les économies d'énergie et de l'état de leurs marchés à une date de référence fixe. Il peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées ". Aux termes de l'article R. 221-16 du même code : " Le volume des certificats d'économies d'énergie attribués à une opération correspond à la somme des économies d'énergie annuelles réalisées durant la durée de vie du produit ou la durée d'exécution du contrat de service. Les économies d'énergie réalisées au cours des années suivant la première année de vie du produit ou d'exécution du contrat de service sont calculées au moyen de coefficients de pondération dégressifs arrêtés par le ministre chargé de l'énergie. / La situation de référence de performance énergétique utilisée pour le calcul des certificats d'économies d'énergie correspond : / (...) 3° Dans tous les autres cas, à l'état technique et économique du marché du produit ou du service à la date la plus récente pour laquelle des données sont disponibles, ou aux exigences de performance imposées par la réglementation en vigueur lorsque les dernières données connues pour le marché n'intègrent pas les effets d'une réglementation ". Aux termes de l'article R. 221-18 du même code : " Le volume des certificats d'économies d'énergie peut être pondérée en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées, dans des conditions arrêtées par le ministre chargé de l'énergie ". Enfin, aux termes de l'article R. 221-19 du même code : " Les actions prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 221-7 peuvent donner lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'énergie si elles n'ont pas bénéficié d'une aide à l'investissement de la part de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, notamment dans le cadre du Fonds de soutien au développement de la production et de la distribution de chaleur ".

5. Si l'objet de la réglementation relative aux obligations d'économies d'énergie est de maîtriser la consommation finale d'énergie, il résulte des dispositions du code de l'énergie citées au point 4 ci-dessus qu'il est loisible au ministre, pour déterminer les modalités de bonification des certificats d'économies d'énergie, de tenir compte des objectifs de développement de l'utilisation des énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, à cette fin, de favoriser l'utilisation des énergies renouvelables faiblement émettrices de dioxyde de carbone au détriment d'énergies fossiles non renouvelables.

6. En premier lieu, si le volume des certificats d'économies d'énergie à attribuer au titre d'une opération est défini, conformément à l'article R. 221-16 du code de l'énergie précité, à raison de la quantité d'énergie qu'elle permet d'économiser, il peut s'écarter de cette valeur lorsque le ministre décide, en vertu de la faculté ouverte à l'article R. 221-18 du même code, de lui appliquer, de manière alternative ou cumulative, des coefficients de pondération liés à la nature des bénéficiaires et des actions ainsi qu'à la situation énergétique de la zone géographique concernée. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait l'article R. 221-16 en déterminant un volume de certificats supérieur à la quantité d'énergie effectivement économisée par chacune des opérations en cause, dès lors que le ministre a décidé, conformément à l'article R. 221-18, d'appliquer à cette valeur des coefficients de pondération à raison de la nature des actions et de la situation de précarité énergétique des bénéficiaires. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que le ministre aurait commis une erreur de droit en ne faisant usage que de certains des critères de pondération autorisés par cet article.

7. En deuxième lieu, le principe de liberté du commerce et de l'industrie implique que les personnes publiques n'apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il ressort des pièces du dossier qu'en subordonnant la bonification des certificats d'économies d'énergie applicable jusqu'au 31 décembre 2020 au remplacement d'une chaudière au charbon, au fioul ou au gaz autre qu'à condensation, le ministre a entendu développer l'utilisation des énergies renouvelables et réduire les émissions de dioxyde de carbone dans le cadre de la mise en œuvre de la programmation pluriannuelle de l'énergie. Au regard de ces objectifs et alors que la France compte plus de trois millions de chaudières au fioul, la fédération requérante n'établit pas, en faisant état d'un préjudice financier dont le chiffrage n'est pas étayé et qui n'est pas mis en rapport avec les revenus de l'ensemble de la filière, ni en invoquant les objectifs annoncés par le Gouvernement du remplacement en deux ans de 600 000 chaudières, incluant les appareils à gaz aujourd'hui majoritaires, ou de la suppression des chaudières au fioul à l'horizon de 2029, en vue desquels la bonification en litige ne constitue d'ailleurs que l'un des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics, que l'arrêté attaqué porterait une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie.

8. Par conséquent, en subordonnant la bonification des certificats d'économies d'énergie au remplacement d'une chaudière au charbon, au fioul ou au gaz, dont il ressort des pièces du dossier que l'utilisation se traduit par des émissions moyennes de dioxyde de carbone supérieures aux installations utilisant d'autres sources d'énergie, le ministre, qui n'a pas commis d'erreur de droit en appréciant la baisse des émissions de dioxyde de carbone au niveau du foyer équipé, s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels. Cette condition ne peut davantage être regardée comme méconnaissant l'objectif d'économie d'énergie en ce qu'elle ne tiendrait compte ni de l'ancienneté ni de la performance énergétique propres à chaque appareil remplacé, dès lors que le remplacement d'équipements existants ne saurait raisonnablement être engagé par des ménages en l'absence d'économies d'énergie attendues à terme et qu'au surplus, l'arrêté exclut les appareils à condensation du champ des équipements en cause. Enfin, la requérante ne peut utilement, au regard des objectifs que le ministre entendait poursuivre, se prévaloir de ce que les chaudières à bois seraient susceptibles de produire certains polluants atmosphériques en plus grande quantité que les chaudières au fioul. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que le ministre aurait entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. Il résulte de ce qui précède que la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages et à la ministre de la transition écologique.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 28 déc. 2020, n° 428753
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Aurélien Caron
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Formation : 9ème chambre
Date de la décision : 28/12/2020
Date de l'import : 24/05/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 428753
Numéro NOR : CETATEXT000042752982 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-12-28;428753 ?
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