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14/10/2020 | FRANCE | N°439220

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 14 octobre 2020, 439220


Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 17 juillet et 3 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B... demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 67 et 68 de

l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique rel...

Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 17 juillet et 3 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B... demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 67 et 68 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, des articles L. 131-1 et L. 231-1 du code de justice administrative, du chapitre V du titre III du livre 1er et du chapitre V du titre III de livre 2 de la partie législative du code de justice administrative et de l'article 3 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 1er, 61-1 et 64 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n°85-986 du 16 septembre 1985 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... D..., auditrice,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...). " Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Monsieur B... soutient que les dispositions des articles 67 et 68 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, les articles 131-1 et 231-1, le chapitre V du titre III du livre 1er et le chapitre V du titre III du livre 2 de la partie législative du code de justice administrative méconnaissent le principe de la séparation des pouvoirs, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire, protégé par l'article 64 de la Constitution, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la même Déclaration. Il soutient également que les dispositions de l'article L. 111-1-1 du code de l'éducation, créé par l'article 3 de la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, méconnaissent la liberté d'expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe de liberté établi à l'article 5 de cette même Déclaration et le principe de souveraineté nationale découlant de l'article 3 de cette même Déclaration.

3. En premier lieu, l'article L. 111-1-1 du code de l'éducation est dénué de rapport avec le décret du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat dont le requérant demande l'annulation. Il résulte de ce qui précède qu'il n'appartient pas au Conseil d'État de se prononcer sur le caractère sérieux ou nouveau de la question invoquée par M. B... en tant qu'elle porte sur les mots " des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 " figurant dans cet article.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". En vertu de l'article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. / Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. / Une loi organique porte statut des magistrats. / Les magistrats du siège sont inamovibles ".

5. M. B... demande que soit transmise au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 67 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature qui dispose que : " Tout magistrat est placé dans l'une des positions suivantes : / 1° En activité ; / 2° En service détaché ; / 3° En disponibilité ; / 4° Sous les drapeaux ; / 5° En congé parental. / Les modalités de classement des magistrats détachés dans les corps de la fonction publique de l'Etat sont réglées par les statuts particuliers de ces corps. " en tant qu'il comporte les termes " En service détaché ". Il demande également que soit transmise au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 68 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 en vertu desquelles : " Les dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les positions ci-dessus énumérées s'appliquent aux magistrats dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux règles statutaires du corps judiciaire et sous réserve des dérogations ci-après. " Il résulte de ces dispositions que les magistrats judiciaires placés en position de détachement se voient appliquer les règles du statut général des fonctionnaires sous réserve qu'elles ne soient pas contraires aux dispositions statutaires spécifiques, notamment prévues aux articles 12, 70, 72, 72-2, 76-2 et 76-3 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.

6. D'une part, le Conseil constitutionnel, par ses décisions n° 80-123 DC du 24 octobre 1980, n° 92-305 DC du 21 février 1992, n° 94-355 DC du 10 janvier 1995 et n° 2016-732 DC du 28 juillet 2006, a déclaré conforme à la Constitution le dernier alinéa de l'article 67 et les dispositions des articles 72, 72-2, 76-2 et 76-3 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 prévoyant des modalités spécifiques de détachement pour les magistrats judiciaires. D'autre part, la mise en position de détachement et le renouvellement du détachement, qui ne peuvent avoir lieu qu'à la demande du magistrat, sont soumis à l'avis du Conseil supérieur de la magistrature. Il en va de même pour l'affectation d'un magistrat réintégré à l'issue de son détachement. Enfin, les modalités de reclassement indiciaire à l'issue d'un détachement ainsi que les règles relatives à la prévention des conflits d'intérêts et des incompatibilités sont prévues par cette même ordonnance. Par suite, il ne saurait être sérieusement soutenu que les articles 67 et 68 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, en ne prévoyant pas un encadrement suffisant des possibilités de détachement pour les magistrats judiciaires, méconnaissent le principe constitutionnel d'indépendance et d'impartialité de la justice, ni le principe d'égalité de traitement entre les magistrats judiciaires, selon qu'ils sont placés ou non en position de détachement.

7. En dernier lieu, M. B... demande que soit transmise au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 131-1 du code de justice administrative aux termes desquelles : " Le statut des membres du Conseil d'État est régi par le présent livre et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État. ", et de l'article L. 231-1 du même code, aux termes desquelles : " Les membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont des magistrats dont le statut est régi par le présent livre et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'Etat." Le requérant conteste également la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du chapitre V du titre III du livre 1er et du chapitre V du titre III du livre 2 de la partie législative du code de justice administrative, intitulés " Positions ", en tant qu'ils ne contiennent aucune disposition législative offrant les garanties nécessaires aux magistrats administratifs et aux membres du Conseil d'Etat placés en position de détachement, de nature à assurer le respect des principes d'indépendance et d'impartialité de la justice.

8. Les articles L. 131-1 et L. 231-1 du code de justice administrative ont pour objet de soumettre, sauf dispositions contraires prévues par le code de justice administrative, les membres du Conseil d'Etat et les membres du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel aux dispositions de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dont l'article 8 donne compétence au pouvoir réglementaire pour édicter le statut de ces corps. Les articles L. 131-2 et suivants et les articles L. 231-4 et suivants du code de justice administrative prévoient des dispositions statutaires propres aux membres du Conseil d'Etat et aux magistrats administratifs, garantissant leur indépendance et fixant notamment des modalités de prévention des conflits d'intérêt, au moment de la nomination comme lors de la réintégration à l'issue d'un détachement. Il résulte de ces dispositions que la loi, conformément à l'article 34 de la Constitution, prévoit les garanties fondamentales de l'indépendance et d'impartialité des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et des membres du Conseil d'Etat. De plus, conformément au même article de la Constitution, des dispositions réglementaires, prises dans le respect des règles fixées par le statut général, encadrent les modalités de détachement pour les membres de ces corps, dans des conditions compatibles avec la garantie de leur indépendance et de leur impartialité. Ainsi, il ne saurait être sérieusement soutenu que les dispositions législatives précitées méconnaissent le principe constitutionnel d'indépendance de la juridiction administrative.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les questions soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par M. B....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Monsieur C... B..., à la ministre de la transformation et de la fonction publiques, au ministre de l'intérieur, au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au garde des sceaux, ministre de la justice. Copie en sera adressée, au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 14 oct. 2020, n° 439220
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Vaullerin
Rapporteur public ?: M. Olivier Fuchs

Origine de la décision
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 14/10/2020
Date de l'import : 18/10/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 439220
Numéro NOR : CETATEXT000042427547 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-10-14;439220 ?
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