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12/10/2020 | FRANCE | N°421852

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 12 octobre 2020, 421852


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et récapitulatif et trois autres mémoires, enregistrés le 29 juin 2018, le 19 novembre 2018, le 27 novembre 2018, le 1er mars 2019 et le 12 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association EnVie-Santé demande au Conseil d'Etat :

A titre principal,

1°) d'annuler les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par les ministres des outre-mer, des solidarités et de la santé, de l'économie et des finances et de l'agriculture et de l'alimentation sur sa dem

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Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et récapitulatif et trois autres mémoires, enregistrés le 29 juin 2018, le 19 novembre 2018, le 27 novembre 2018, le 1er mars 2019 et le 12 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association EnVie-Santé demande au Conseil d'Etat :

A titre principal,

1°) d'annuler les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par les ministres des outre-mer, des solidarités et de la santé, de l'économie et des finances et de l'agriculture et de l'alimentation sur sa demande d'abrogation de l'arrêté du 30 juin 2008 relatif aux limites maximales applicables aux résidus de chlordécone que ne doivent pas dépasser certaines denrées d'origine végétale et animale pour être reconnues propres à la consommation humaine, présentée le 25 avril 2018 ;

2°) d'enjoindre aux autorités compétentes d'abroger cet arrêté ;

3°) d'enjoindre aux autorités compétentes de mettre en place des études épidémiologiques en Martinique et en Guadeloupe, notamment sur le lien entre l'exposition au chlordécone et le cancer de la prostate, la prématurité des nourrissons et le développement des enfants ;

4°) d'enjoindre aux autorités compétentes d'adopter un nouvel arrêté fixant des limites maximales applicables aux résidus de chlordécone dans les poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce, suffisamment protectrices de la population française au regard des dernières études scientifiques ;

5°) d'enjoindre aux autorités compétentes de solliciter, sur le fondement des articles 6 et 16 du règlement du Parlement européen et du Conseil (CE) n° 396/2005 du 23 février 2005, auprès de la Commission européenne, la modification des limites maximales applicables aux résidus de chlordécone fixées à l'annexe III de ce règlement, tel que modifié par les règlements (CE) n° 149/2008, (CE) n° 839/2008 et (UE) n° 212/2013 ;

A titre subsidiaire,

1°) de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Le règlement (CE) n° 396/2005, tel que modifié par les règlements (CE) n° 149/2008, (CE) n° 839/2008 et (UE) n° 212/2013, est-il contraire au droit communautaire (et notamment aux principes d'égalité et de précaution), en ce que les limites maximales applicables aux résidus de chlordécone qu'il fixe ne sont pas suffisamment protectrices de la santé humaine et qu'il ne prévoit aucune limite maximale applicable aux résidus de chlordécone pour les poissons, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce ' " ;

2°) de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse apportée par la Cour de justice de l'Union européenne à cette question ;

En tout état de cause,

1°) de condamner l'Etat aux entiers dépens, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23 février 2005 ;

- le règlement (CE) n° 149/2008 de la Commission européenne du 29 janvier 2008 ;

- le règlement (CE) n° 839/2008 de la Commission européenne du 31 juillet 2008 ;

- le règlement (UE) n° 212/2013 de la Commission européenne du 11 mars 2013 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association EnVie-Santé demande l'annulation des décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par les ministres des outre-mer, des solidarités et de la santé, de l'économie et des finances et de l'agriculture et de l'alimentation sur sa demande d'abrogation de l'arrêté du 30 juin 2008 relatif aux limites maximales applicables aux résidus (LMR) de chlordécone que ne doivent pas dépasser certaines denrées d'origine végétale et animale pour être reconnues propres à la consommation humaine.

2. L'autorité compétente, saisie d'une demande d'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. Lorsque, postérieurement à l'introduction d'une requête dirigée contre un refus d'abroger des dispositions à caractère réglementaire, l'autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d'abroger perd son objet. Il en va toutefois différemment lorsque cette même autorité reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme. Il n'y a plus lieu de statuer, en revanche, sur la légalité de dispositions reprises avec des modifications qui ne sont pas de pure forme.

Sur les conclusions de la requête relatives aux produits autres que les poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce :

3. Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 30 juin 2008 : " A compter de la date à laquelle les denrées alimentaires visées à l'annexe du présent arrêté sont mises sur le marché, elles doivent présenter une teneur en chlordécone inférieure ou égale aux limites maximales de résidus fixées pour ces denrées et mentionnées à l'annexe du présent arrêté. / (...) ". Dans sa rédaction initiale, cette annexe consistait en un tableau où figuraient onze groupes de produits (Fruits frais ou congelés, noix / Légumes frais ou congelés / Légumineuses séchées / Graines et fruits oléagineux / Céréales / Thé, café, infusions et cacao / Houblon (séché), y compris les granulés de houblon / Epices / Plantes sucrières / Produits d'origine animale - Animaux terrestres / Poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce). Postérieurement à l'introduction de la requête, par un arrêté du 25 janvier 2019 modifiant l'arrêté du 30 juin 2008, le tableau figurant à l'annexe de ce dernier arrêté a été remplacé par un nouveau tableau, qui ne comprend plus, outre les poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce, que les produits carnés bovins. Puis, par un arrêté du 23 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 janvier 2019, ce tableau a été remplacé par un nouveau tableau qui comprend à nouveau, outre les poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce et les produits carnés bovins, les produits carnés porcins, ovins, caprins et de volaille. Il en résulte qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête, en tant qu'elles visent le refus d'abroger l'arrêté du 30 juin 2008 pour ce qui concerne les produits qui ne figurent plus au tableau annexé à cet arrêté, c'est-à-dire les produits autres que les poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce ou que les produits carnés bovins, porcins, ovins, caprins et de volaille.

4. Par ailleurs, l'arrêté du 25 janvier 2019 a réduit de 0,1 mg/kg à 0,02 mg/kg les LMR applicables aux produits carnés bovins. De même, l'arrêté du 23 mai 2019 a, par rapport à l'arrêté du 30 juin 2008 dans sa version d'origine, réduit les LMR applicables aux produits carnés porcins, ovins et caprins de 0,1 mg/kg à 0,02 mg/kg et la LMR applicable aux produits carnés de volaille de 0,2 mg/kg à 0,02 mg/kg. Il en résulte que, la modification des LMR applicables aux produits carnés bovins, porcins, ovins, caprins et de volaille n'étant pas de pure forme, il n'y a plus lieu non plus de statuer sur les conclusions de la requête, en tant qu'elles visent le refus d'abroger l'arrêté du 30 juin 2008 pour ce qui concerne ces produits.

Sur les conclusions de la requête relatives aux poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce :

5. Aux termes de l'article 18 du règlement (CE) n° 396/2005 : " 1. A compter de la date à laquelle les produits visés à l'annexe I sont mis sur le marché en tant que denrées alimentaires ou aliments pour animaux, ou sont utilisés comme aliments pour animaux, ils ne contiennent aucun résidu de pesticide dont le niveau excède : / (...) / b) 0,01 mg/kg en ce qui concerne les produits pour lesquels aucune LMR spécifique n'a été établie à l'annexe II ou à l'annexe III ou pour les substances actives ne figurant pas à l'annexe IV, (...) / (...) ". Si la catégorie des poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce figure à l'annexe I de ce règlement, il ressort de cette annexe que, pour ces produits, " les LMR ne s'appliquent pas tant que chaque produit n'est pas déterminé et inscrit sur la liste ". Il en résulte, en l'absence de détermination et d'inscription sur cette liste des poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce, que le niveau maximal de résidu de pesticide de 0,01 mg/kg ne s'applique pas à ces produits. Aucune disposition du règlement ne s'oppose à ce que les autorités françaises fixent une LMR pour ces produits. Par suite, le moyen de l'association EnVie-Santé tiré de ce qu'en fixant à 0,02 mg/kg la LMR applicable aux poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce, l'arrêté du 30 juin 2008, pris sur le fondement de l'article R. 231-6 du code rural, dans sa version applicable en 2008, méconnaîtrait l'article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 396/2005 doit être écarté.

6. L'association EnVie-Santé soutient que le refus d'abroger l'arrêté du 30 juin 2008 est illégal, dans la mesure où il se fonde sur l'avis de l'ANSES du 6 décembre 2017 sur l'exposition au chlordécone des consommateurs des Antilles alors que les valeurs technologiques de référence (VTR), qui sont des indices toxicologiques permettant d'évaluer le risque sanitaire lié à une exposition à des substances chimiques et sur la base desquels les LMR sont calculées, retenues par l'ANSES dans cet avis seraient plus élevées et donc moins protectrices que les VTR retenues par des agences fédérales américaines et seraient imparfaites au motif qu'elles ne prendraient pas en compte tous les effets néfastes liés à l'exposition au chlordécone révélés par les études les plus récentes, lesquelles auraient notamment dû conduire l'ANSES à étudier la possibilité d'établir une VTR exprimée en concentration sanguine ou plasmatique. Il ressort cependant des pièces du dossier que l'ANSES a conservé les deux VTR en cause parce qu'elle a considéré que les études scientifiques publiées entre 2003 et 2014 ne les remettaient pas en cause et que les niveaux plus élevés que ceux des VTR retenues par des agences fédérales américaines s'expliquent par des choix méthodologiques différents. Par ailleurs, l'association EnVie-Santé ne précise pas en quoi les études scientifiques postérieures à 2014 qu'elle invoque apporteraient des éléments nouveaux.

7. Si l'association EnVie-Santé soutient que les ministres concernés n'auraient pas tenu compte, dans la fixation de LMR à des niveaux qu'elle estime insuffisamment faibles, de l'existence aux Antilles de circuits informels de distribution mal contrôlés et de l'importance de l'autoconsommation, elle ne peut utilement invoquer l'insuffisance éventuelle des contrôles pour contester la légalité des LMR et, s'agissant de l'autoconsommation, il ressort des recommandations de l'ANSES que seules des campagnes d'information de la population sont susceptibles d'avoir un effet protecteur, dès lors que les produits consommés directement par leurs producteurs échappent à toute mise sur le marché.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que le moyen tiré de ce qu'en refusant d'abroger l'arrêté du 30 juin 2008 les ministres des outre-mer, des solidarités et de la santé, de l'économie et des finances et de l'agriculture et de l'alimentation auraient commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'exigence de protection de la santé publique doit être écarté.

9. Si l'association EnVie-Santé soutient que l'arrêté du 30 juin 2008 introduit une rupture d'égalité entre les populations antillaise et métropolitaine en fixant des LMR plus élevées pour les denrées végétales cultivables en Martinique et en Guadeloupe que pour les denrées végétales cultivables en métropole, ce moyen, qui ne porte pas sur les poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce, est inopérant.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la requête de l'association EnVie-Santé doit être rejetée en tant qu'elle concerne les poissons, produits à base de poisson, crustacés, mollusques et autres produits de la pêche en mer ou en eau douce. Il en est de même, par voie de conséquence, de ses conclusions à fin d'injonction et des demandes qu'elle présente au titre de l'article R. 761-1 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de l'association EnVie-Santé en tant qu'elles visent les produits autres que les poissons, les produits à base de poisson, les crustacés, les mollusques et les autres produits de la pêche en mer ou en eau douce.

Article 2 : Les conclusions de la requête de l'association EnVie-Santé en tant qu'elles visent les poissons, les produits à base de poisson, les crustacés, les mollusques et les autres produits de la pêche en mer ou en eau douce sont rejetées, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction et les conclusions présentées sur le fondement de l'article R. 761-1 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association EnVie-Santé, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, au ministre de l'économie, des finances et de la relance ainsi qu'à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 12 oct. 2020, n° 421852
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Géraud Sajust de Bergues
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz

Origine de la décision
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Date de la décision : 12/10/2020
Date de l'import : 18/10/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 421852
Numéro NOR : CETATEXT000042420898 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-10-12;421852 ?
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