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18/08/2020 | FRANCE | N°442581

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 18 août 2020, 442581


Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 6, 11, 13 et 14 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... E..., M. B... J...,

Mme G... I..., M. L... F..., M. K... D... et Mme A... C... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 1, section I, alinéas 2 et 12 du décret n° 2020-911 du 27 juillet 2020 modifiant le décr

et n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 6, 11, 13 et 14 août 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... E..., M. B... J...,

Mme G... I..., M. L... F..., M. K... D... et Mme A... C... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 1, section I, alinéas 2 et 12 du décret n° 2020-911 du 27 juillet 2020 modifiant le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, et d'enjoindre au gouvernement d'abroger ces dispositions ;

2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au gouvernement, s'il a l'intention de mettre en place des tests PCR pour les ressortissants français provenant des pays de la liste 2 bis, d'effectuer ces tests de la même façon que les ressortissants français provenant des pays de la liste 2 ter ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur requête est recevable dès lors qu'ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir et qu'elle a été introduite dans le délai de recours contentieux ;

- la condition de l'urgence est remplie, à titre principal, eu égard à la présomption d'urgence qui s'attache à une décision apportant des restrictions au droit des ressortissants français de revenir sur le territoire national et, à titre subsidiaire, eu égard à la gravité de l'atteinte portée à leurs libertés fondamentales ;

- l'article 1, section I, alinéas 2 et 12 du décret n° 2020-911 du 27 juillet 2020 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'entrer, de séjourner et de demeurer en France, rappelé notamment à l'article 2 du protocole n° 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et au principe d'égalité, rappelé notamment à l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et au droit au respect de la vie privée ;

- l'obligation d'obtention d'un test PCR valable soixante-douze heures avant l'embarquement pour les personnes en provenance de la liste 2 bis du décret contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés précitées dès lors, d'une part, qu'elle déclenche le refus systématique des compagnies aériennes desservant la France d'embarquer les nationaux français présents sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis, eu égard notamment aux difficultés d'effectuer ces tests dans les délais impartis et, d'autre part, qu'elle n'est ni appropriée ni proportionnée à l'objectif poursuivi en ce qu'elle instaure une discrimination non sérieuse et objective qui ne répond à aucune logique sanitaire avec les personnes en provenance de pays considérés comme " à risque " en vertu de la liste 2 ter du même décret mais dont la prise de test est effectuée à l'arrivée en France ;

- cette obligation excède les termes de l'article 1, section I, alinéas 2 et 12 du décret n° 2020-911 de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 en ce que celui-ci n'impose aucune prise de test avant l'embarquement et ne permet pas de restreindre l'exercice du droit général et absolu que constitue le droit au retour sur le territoire national de ressortissants français ;

- la distinction entre les ressortissants des pays de la liste 2 ter et ceux de la liste 2 bis introduit une rupture d'égalité ne pouvant être justifiée par des critères objectifs, rationnels et proportionnés, qui ne peut se fonder sur l'impossibilité générale d'effectuer les prises de tests à l'arrivée dans la mesure où les personnes en provenance des pays de la liste 2 ter en bénéficient, et qui ne répond à aucun impératif sanitaire, eu égard notamment au report de l'entrée en vigueur de cette mesure pour les pays de la liste 2 bis qui illustre la dissociation entre le risque sanitaire et la nécessité de la mesure et la capacité logistique de la France pour soumettre tous les ressortissants ;

- l'obligation d'obtention d'un test PCR porte atteinte au droit au respect de la vie privée dès lors qu'elle ne repose pas sur le consentement des personnes concernées, eu égard au caractère intrusif et illicite des informations qui sont exigées et au regard de la méconnaissance des obligations issues notamment du règlement général sur la protection des données.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 et

14 août 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée aux libertés fondamentales et qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête en ce qui concerne M. F..., Mme I... ainsi que M. D... et Mme C....

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. H... E... et les autres requérants et, d'autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 13 août 2020, à 11 heures :

- Me Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. E... et autres ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au

14 août 2020 à 14 heures, puis au 17 août 2020 à 14 heures, puis à 18 heures.

Vu le mémoire enregistré le 17 août 2020 présenté par M. E... et autres ;

Vu le mémoire enregistré le 17 août 2020 présenté par le ministre des solidarités et de la santé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son protocole n° 4 ;

- le règlement UE 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 ;

- le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 modifié ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Le droit d'entrer sur le territoire français constitue, pour un ressortissant français, une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

3. Le 4° du I de l'article 1er de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire qui avait été déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 autorise le Premier ministre, à compter du 11 juillet 2020 et jusqu'au 30 octobre 2020 inclus, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, à " Imposer aux personnes souhaitant se déplacer par transport public aérien à destination ou en provenance du territoire métropolitain ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution de présenter le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par le covid-19. ".

4. Sur le fondement de ces dispositions, l'article 11 du décret du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, modifié par le décret du 27 juillet 2020, dispose que " Les personnes de onze ans ou plus souhaitant se déplacer par transport public aérien à destination du territoire métropolitain depuis un pays étranger mentionné sur la liste figurant en annexe 2 bis présentent à l'embarquement le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de 72 heures avant le vol ne concluant pas à une contamination par le covid-19. Les personnes de onze ans ou plus arrivant sur le territoire métropolitain par transport public aérien depuis un pays étranger mentionné sur la liste figurant en annexe 2 ter qui ne peuvent présenter le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de 72 heures avant le vol ne concluant pas à une contamination par le covid-19 sont dirigées à leur arrivée à l'aéroport vers un poste de contrôle sanitaire permettant la réalisation d'un tel examen. Le présent alinéa est applicable à compter du 1er août 2020 ".

5. En vertu de ces dispositions et de l'annexe 2 bis du décret du 10 juillet 2020, les personnes de onze ans et plus souhaitant embarquer dans un vol au départ des Etats-Unis et à destination du territoire métropolitain de la France se voient refuser l'embarquement si elles ne peuvent produire le résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de soixante-douze heures avant et ne concluant pas à une contamination par le covid-19. Il résulte toutefois de l'instruction que les Français qui établissent devoir rentrer en métropole de manière urgente et n'avoir pu, malgré leurs efforts, présenter le résultat d'un examen biologique réalisé dans le délai de soixante-douze heures exigé, se voient délivrer par le consul de France compétent, s'ils en font la demande, un " laissez-passer sanitaire " leur permettant d'embarquer dans un vol à destination de la métropole où ils devront réaliser un examen biologique à leur arrivée. Ce dispositif, qui a été notifié aux compagnies aériennes, initialement prévu pour être transitoire, a été maintenu au-delà de la date butoir du 17 août initialement prévue afin de tenir compte des difficultés pratiques pouvant être rencontrées dans la réalisation d'un examen biologique et l'obtention de son résultat dans le délai de soixante-douze heures fixé par le décret.

6. MM. E..., J..., M... G... I..., M. F..., M. D... et

Mme A... C... sont des ressortissants français résidant aux Etats-Unis qui souhaitent retourner en métropole. Ils soutiennent qu'ils en sont empêchés par l'effet des dispositions du décret du 10 juillet 2020, rappelées plus haut, dans la mesure où elles subordonnent l'embarquement depuis les Etats-Unis sur un vol à destination de la métropole à la production du résultat d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de soixante-douze heures avant alors qu'un tel examen serait en pratique très difficile voire impossible à obtenir actuellement dans le délai de soixante-douze heures exigé par le décret. Ils demandent en conséquence au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution du dispositif issu du décret du 10 juillet 2020, afin de permettre que l'examen biologique puisse être réalisé à l'arrivée en France, ainsi que cela est possible pour les personnes en provenance des pays figurant sur la liste de l'annexe 2 ter. Ils soutiennent que, en l'état, les dispositions en cause, en les privant de la possibilité de regagner rapidement la France ainsi qu'ils en ont l'intention, ont pour effet de porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit dont dispose tout citoyen français d'entrer sur le territoire français.

7. Il résulte de l'instruction, d'une part, que, M. F..., muni d'un examen répondant aux exigences du décret en cause, a regagné le territoire métropolitain par un vol ayant quitté les Etats-Unis le 7 août ; que Mme I..., M. D... et Mme C..., qui ont pu bénéficier de " laissez-passer sanitaires " délivrés par les consuls de France compétents conformément aux indications données par l'administration lors de l'audience publique, ont quitté les Etats-Unis le 17 août par des vols à destination du territoire métropolitain. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer les conclusions de la requête en tant qu'elle concerne ces requérants.

8. D'autre part, M. E... et M. J..., qui résident chacun à New-York, indiquent qu'ils n'ont encore réservé aucun billet pour se rendre en France où ils devront se rendre respectivement " avant le 30 octobre " et " dans le courant du mois de septembre " dans le cadre de leur activité professionnelle d'avocat et de traducteur. Dans ces conditions, ils n'établissent pas l'existence de circonstances particulières justifiant qu'il soit ordonné à très bref délai, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête en tant qu'elle émane de M. F..., Mme I..., M. D... et Mme C....

Article 2 : La requête est rejetée pour le surplus.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. H... E..., à M. B... J..., à

M. L... F..., à Mme G... I..., à M. K... D..., à Mme A... C... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 442581
Date de la décision : 18/08/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 aoû. 2020, n° 442581
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 25/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:442581.20200818
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