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22/07/2020 | FRANCE | N°430598

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 22 juillet 2020, 430598


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mai et 14 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie du 11 mars 2019 relative à la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie en tant qu'elle modifie le sous-paragraphe " 02.04.04.01 - Extraction du cristallin " du livre II de cette liste ;

2°) de mettre à la cha

rge de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie la somme de 3 500 eur...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 mai et 14 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie du 11 mars 2019 relative à la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie en tant qu'elle modifie le sous-paragraphe " 02.04.04.01 - Extraction du cristallin " du livre II de cette liste ;

2°) de mettre à la charge de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme C... D..., conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " La prise en charge ou le remboursement par l'assurance maladie de tout acte ou prestation réalisé par un professionnel de santé, dans le cadre d'un exercice libéral ou d'un exercice salarié auprès d'un autre professionnel de santé libéral, ou en centre de santé, en maison de santé ou dans un établissement ou un service médico-social, ainsi que (...) d'un exercice salarié dans un établissement de santé, à l'exception des prestations mentionnées à l'article L. 165-1, est subordonné à leur inscription sur une liste établie dans les conditions fixées au présent article. L'inscription sur la liste peut elle-même être subordonnée au respect d'indications thérapeutiques ou diagnostiques, à l'état du patient ainsi qu'à des conditions particulières de prescription, d'utilisation ou de réalisation de l'acte ou de la prestation. (...) / La hiérarchisation des prestations et des actes est établie dans le respect des règles déterminées par des commissions créées pour chacune des professions dont les rapports avec les organismes d'assurance maladie sont régis par une convention mentionnée à l'article L. 162-14-1. (...) / Les conditions d'inscription d'un acte ou d'une prestation, leur inscription et leur radiation sont décidées par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, après avis de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire et après avis, le cas échéant, de la Haute Autorité de santé lorsque la décision porte sur l'évaluation du service attendu ou du service rendu d'un acte ou d'une prestation. A la demande du collège, l'avis de la Haute Autorité de santé peut être préparé par la commission spécialisée mentionnée à l'article L. 165-1. / Les décisions de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie sont réputées approuvées sauf opposition motivée des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. (...) ".

2. Par une décision du 11 mars 2019 prise sur le fondement de ces dispositions et implicitement approuvée par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, le collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a modifié le sous-paragraphe " Extraction du cristallin " du livre II de la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie pour, notamment, subordonner le remboursement de l'extraction extracapsulaire du cristallin par phakoémulsification, avec implantation de cristallin artificiel dans la chambre postérieure de l'oeil, au respect d'un environnement conforme aux préconisations formulées par la Haute Autorité de santé dans son rapport de juillet 2010 consacré aux " conditions de réalisation de la chirurgie de la cataracte : environnement technique ". M. A..., médecin spécialisé en ophtalmologie, demande, dans cette mesure, l'annulation de cette décision pour excès de pouvoir.

Sur l'intervention de l'association de chirurgie en soins externes :

3. L'association de chirurgie en soins externes justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision attaquée. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

4. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale que la décision attaquée, en ce qu'elle subordonne la prise en charge de l'opération de la cataracte par l'assurance maladie au respect de conditions particulières de réalisation de l'acte, devait être prise après avis de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire. Il ressort des pièces du dossier que cette dernière a été saisie par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie le 5 février 2019 et a rendu son avis sur le projet de modification de la liste des actes et prestations remboursables le 21 février 2019. Si elle a estimé devoir rendre son avis dans le délai abrégé de vingt et un jours à compter de la date de sa saisine, prévu par le troisième alinéa du II de l'article R. 162-52 du code de la sécurité sociale, il n'en résulte pas qu'elle n'aurait pas disposé du temps nécessaire à l'expression d'un avis éclairé. Enfin, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de l'instance consultée n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé. Il suit de là que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision qu'il attaque aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière ou procéderait d'un détournement de procédure.

5. En second lieu, les dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration s'appliquent aux décisions administratives individuelles défavorables et celles de l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale, prises pour la transposition de la directive du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie, s'appliquent, comme cette directive, aux seuls médicaments. Ainsi, ni les unes ni les autres n'imposent la motivation d'une décision, de caractère réglementaire, relative à la prise en charge par l'assurance maladie d'un acte ou d'une prestation réalisé par un professionnel de santé. Par suite, M. A... ne peut utilement invoquer ces dispositions pour soutenir que la décision qu'il attaque serait insuffisamment motivée.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

6. Par les dispositions critiquées de la décision du 11 mars 2019, le collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie a subordonné la prise en charge de la chirurgie de la cataracte au respect d'un environnement conforme aux préconisations formulées par la Haute Autorité de santé dans un rapport d'évaluation rédigé à la demande du ministre des affaires sociales et de la santé, pour connaître les incidences du recours à l'anesthésie topique sur la tarification de l'acte chirurgical et sur l'organisation des soins, et validé par la commission d'évaluation des actes professionnels de cette autorité en juillet 2010. Selon la synthèse de ce rapport, " la chirurgie de la cataracte doit s'effectuer au sein d'un bloc opératoire, seul environnement technique à l'heure actuelle qui garantisse un niveau d'asepsie adapté à cette chirurgie " et la Haute Autorité de santé " préconise de disposer au sein de cette structure d'un recours possible à un médecin anesthésiste, y compris lors d'une anesthésie locale ou topique ".

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date du rapport de la Haute Autorité de santé : " La Haute Autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale, est chargée de : / 1° Procéder à l'évaluation périodique du service attendu des produits, actes ou prestations de santé et du service qu'ils rendent, et contribuer par ses avis à l'élaboration des décisions relatives à l'inscription, au remboursement et à la prise en charge par l'assurance maladie des produits, actes ou prestations de santé (...). A cet effet, elle émet également un avis sur les conditions de prescription, de réalisation ou d'emploi des actes, produits ou prestations de santé et réalise ou valide des études d'évaluation des technologies de santé (...) ". Les évaluations auxquelles la Haute Autorité de santé procède et les avis qu'elle rend, en application de ces dispositions, sont des éléments de la procédure d'élaboration de la décision qu'il appartient à l'autorité administrative compétente de prendre concernant soit l'inscription, le remboursement et la prise en charge par l'assurance maladie des produits, actes ou prestations de santé, soit les conditions de prescription, d'utilisation ou de réalisation de ces actes, produits et prestations auxquelles leur inscription sur les listes prévues par les articles L. 162-1-7, L. 162-17 et L. 165-1 du code de la sécurité sociale peut être subordonnée. Ils ne constituent pas par eux-mêmes des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, lorsqu'elle inscrit un acte ou une prestation sur la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie, subordonne cette prise en charge au respect de conditions particulières de réalisation de l'acte ou de la prestation définies par référence à un tel avis de la Haute Autorité de santé, conditions dont le bien-fondé peut être discuté à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette décision. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision qu'il attaque serait illégale au motif qu'elle se fonde sur un avis dénué de portée normative.

8. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, en adoptant la décision attaquée le 11 mars 2019, se serait crue liée par l'avis émis par la Haute Autorité de santé dans son rapport d'évaluation de juillet 2010 et aurait ainsi commis une erreur de droit.

9. En troisième lieu, l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale permet à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie de subordonner l'inscription d'un acte sur la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie à des conditions particulières de prescription, d'utilisation ou de réalisation de l'acte ou de la prestation. La réalisation d'un acte au sein d'un bloc opératoire, dans une structure permettant le recours à un médecin anesthésiste, relève de telles conditions particulières. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée, au motif qu'une opération de la cataracte réalisée en cabinet de ville ne peut remplir les conditions qu'elle pose et dès lors être prise en charge par l'assurance maladie, méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale.

10. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'acte objet de la modification attaquée de la liste des actes et prestations pris en charge par l'assurance maladie, qui consiste à inciser l'oeil, à en extraire le cristallin et à implanter un cristallin artificiel, peut être pratiqué, pour certains patients, sous anesthésie " topique ", par instillation de gouttes d'anesthésique, complétée le cas échéant par l'injection de certains produits pour obtenir une meilleure analgésie. Toutefois, ainsi que le relève le rapport de la Haute Autorité de santé, qui s'appuie sur une analyse critique des données de la littérature scientifique publiée de 2000 à 2010 qui n'est pas remise en cause par les pièces versées au dossier par le requérant, cette intervention comporte, quelle que soit la modalité d'anesthésie retenue, un risque d'infection, ainsi qu'un risque de complication anesthésique. Si ces risques sont rares, ils sont susceptibles d'entraîner, dans certains cas, la perte de la vision, voire de l'oeil lui-même. En outre, il n'apparaît pas toujours possible d'anticiper les nécessaires compléments d'anesthésie ou de sédation à administrer au cours de l'intervention. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Union nationale des caisses d'assurance maladie aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en subordonnant le remboursement du traitement chirurgical de la cataracte au respect d'un environnement conforme aux préconisations formulées par la Haute Autorité de santé, consistant dans la réalisation de l'intervention dans un bloc opératoire aseptique, au sein d'une structure permettant de recourir, en cas de besoin, à un médecin anesthésiste.

11. En dernier lieu, compte tenu des objectifs de qualité et de sécurité des soins poursuivis par la disposition critiquée, laquelle s'applique à tous les professionnels qui font le choix de pratiquer des actes remboursés par l'assurance maladie, quelle que soit leur nationalité, le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit également être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie qu'il attaque.

Sur les frais liés au litige :

13. Par suite, les conclusions de M. A... présentées au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie présentées au même titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de l'association de chirurgie en soins externes est admise.

Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé et au ministre des solidarités et de la santé.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 22 jui. 2020, n° 430598
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Date de la décision : 22/07/2020
Date de l'import : 28/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 430598
Numéro NOR : CETATEXT000042143105 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-07-22;430598 ?
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