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22/07/2020 | FRANCE | N°422498

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 22 juillet 2020, 422498


Vu la procédure suivante :

Mme D... E... veuve B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision implicite rejetant son recours administratif contre la décision du 4 février 2015 par laquelle la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne a suspendu de septembre à décembre 2013 le versement de l'allocation de revenu de solidarité active dont elle était bénéficiaire, ainsi que le refus implicite de communication des motifs de cette décision, et de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme de 1 757,56 euros au titre de l'allocat

ion de revenu de solidarité active pour les mois de septembre, octo...

Vu la procédure suivante :

Mme D... E... veuve B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision implicite rejetant son recours administratif contre la décision du 4 février 2015 par laquelle la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne a suspendu de septembre à décembre 2013 le versement de l'allocation de revenu de solidarité active dont elle était bénéficiaire, ainsi que le refus implicite de communication des motifs de cette décision, et de condamner le département du Val-de-Marne à lui verser la somme de 1 757,56 euros au titre de l'allocation de revenu de solidarité active pour les mois de septembre, octobre, novembre et décembre 2013. Par un jugement n° 1604837 du 11 mai 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Par une ordonnance n° 18PA02017 du 4 juillet 2018, enregistrée le 23 juillet suivant au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 14 juin 2018 au greffe de cette cour, présenté par Mme E....

Par ce pourvoi et par un mémoire complémentaire, enregistré le 26 septembre 2018, Mme E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 11 mai 2018 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du département du Val-de-Marne la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé, faute de répondre au moyen tiré de ce que le département du Val-de-Marne avait reconnu le bien-fondé de sa demande ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu'elle ne pouvait pas prétendre au bénéfice du revenu de solidarité active entre la date à laquelle son précédent titre de séjour n'était plus valide et la date à laquelle elle a obtenu un récépissé de demande de renouvellement de ce titre de séjour, et a dénaturé les faits de l'espèce en retenant que, pendant cette période, elle ne disposait pas d'un titre de séjour valide.

Le pourvoi a été communiqué au département du Val-de-Marne, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... C..., auditrice,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Mme E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme D... E... veuve B..., de nationalité centrafricaine, réside régulièrement en France depuis 2001, sous couvert d'une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " délivrée sur le fondement de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, renouvelable annuellement en vertu de l'article L. 313-1 du même code et donnant droit, selon l'article L. 313-12 de ce code, à l'exercice d'une activité professionnelle. Mme E... a été informée par un courrier du 4 février 2015 de la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne que le revenu de solidarité active, dont elle est bénéficiaire, ne pouvait lui être versé pour la période allant de septembre à décembre 2013, en raison d'une " interruption de titre de séjour " entre la date d'expiration de sa carte de séjour temporaire le 14 septembre 2013 et la délivrance, le 3 décembre 2013, d'un récépissé de demande de renouvellement de ce titre de séjour. Elle se pourvoit en cassation contre le jugement du 11 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande contestant cette décision et le rejet de son recours préalable et tendant au rétablissement de ses droits au revenu de solidarité active pendant la période litigieuse.

2. En vertu de l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige, le revenu de solidarité active a pour objet d'assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d'existence, d'inciter à l'exercice d'une activité professionnelle et de lutter contre la pauvreté de certains travailleurs. Le premier alinéa de l'article L. 262-2 du même code dispose que : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures " à un certain montant, " a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 262-4 de ce code : " Le bénéfice du revenu de solidarité active est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions suivantes : / (...) 2° Etre français ou titulaire, depuis au moins cinq ans, d'un titre de séjour autorisant à travailler. Cette condition n'est pas applicable : / a) Aux réfugiés, aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, aux apatrides et aux étrangers titulaires de la carte de résident ou d'un titre de séjour prévu par les traités et accords internationaux et conférant des droits équivalents (...) ". Il résulte de ces dispositions que le revenu de solidarité active a notamment pour objet de favoriser l'insertion professionnelle et que le législateur a estimé que la stabilité de la présence sur le territoire national, dans une situation l'autorisant à occuper un emploi, du demandeur de cette prestation, était de nature à contribuer à cet objectif. Il a ainsi subordonné le bénéfice du revenu de solidarité active pour les étrangers, sous réserve de certaines exceptions, à une condition de détention d'un titre de séjour autorisant à travailler depuis au moins cinq ans à la date de la demande. Si cette période doit être continue, le respect de cette condition ne saurait toutefois être affecté par une interruption correspondant à un retard, imputable à l'administration, dans la délivrance du récépissé, autorisant son titulaire à travailler, d'une demande de renouvellement d'un titre de séjour.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme E... a été convoquée par le préfet du Val-de-Marne, par un document qui lui a été remis le 2 septembre 2013, soit avant l'expiration de la validité de sa carte de séjour le 14 septembre 2013, en vue de déposer la demande de renouvellement de son titre en préfecture le 23 septembre 2013, après l'expiration de cette validité, et que le récépissé de demande de renouvellement de sa carte de séjour, l'autorisant à travailler en vertu de l'article R. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne lui a été délivré que le 3 décembre 2013, pour des motifs non imputables à Mme E.... L'interruption de la détention par Mme E... d'un titre de séjour permettant l'exercice d'une activité professionnelle entre le 14 septembre et le 3 décembre 2013 résultait ainsi du délai séparant la convocation qu'elle avait reçue en vue de déposer sa demande de renouvellement de carte de séjour, sollicitée en temps utile, et la délivrance du récépissé attestant de cette demande. Par suite, en jugeant que, durant cette période, Mme E... ne pouvait pas prétendre au bénéfice du revenu de solidarité active au motif qu'elle ne disposait pas, sur la période en cause, d'un titre de séjour l'autorisant à travailler en cours de validité, le tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que Mme E... est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 15 avril 2015, Mme E... a formé un recours gracieux contre la décision de la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne du 4 février 2015 lui supprimant le bénéfice du revenu de solidarité active de septembre à décembre 2013. Par suite, le département du Val-de-Marne n'est pas fondé à soutenir que la demande de Mme E... serait irrecevable faute d'avoir été précédée du recours administratif imposé par l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles.

7. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne à l'allocation de revenu de solidarité active, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention dans la reconnaissance du droit à cette allocation qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé sur lesquels l'administration s'est prononcée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il appartient au juge administratif d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision en fixant alors lui-même les droits de l'intéressé, pour la période en litige, à la date à laquelle il statue ou, s'il ne peut y procéder, de renvoyer l'intéressé devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation sur la base des motifs de son jugement.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que c'est à tort que la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne a suspendu le versement à Mme E... de l'allocation de revenu de solidarité active de septembre à décembre 2013. L'état de l'instruction ne permettant pas de déterminer le montant de cette allocation auquel elle avait droit pendant cette période, il y a lieu de la renvoyer devant la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne pour le calcul et le versement des sommes dues à ce titre.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Val-de-Marne une somme de 3 000 euros à verser à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 11 mai 2018 est annulé.

Article 2 : La décision du président du conseil départemental du Val-de-Marne confirmant la suspension, prononcée par la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne, du versement à Mme E... de l'allocation de revenu de solidarité active de septembre à décembre 2013 est annulée.

Article 3 : Mme E... est rétablie dans ses droits au revenu de solidarité active pour la période de septembre à décembre 2013 et renvoyée devant la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne pour le calcul et le versement des sommes dues au titre de cette allocation pour cette période, conformément aux motifs de la présente décision.

Article 4 : Le département du Val-de-Marne versera une somme de 3 000 euros à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme D... E... veuve B..., au département du Val-de-Marne et la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 22 jui. 2020, n° 422498
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Manon Chonavel
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Formation : 1ère chambre
Date de la décision : 22/07/2020
Date de l'import : 28/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 422498
Numéro NOR : CETATEXT000042143056 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-07-22;422498 ?
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