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22/07/2020 | FRANCE | N°421729

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 22 juillet 2020, 421729


Vu la procédure suivante :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 9 993 013 francs CFP figurant sur le " bordereau de situation " en date du 4 mars 2015. Par un jugement n° 1500402 du 12 juillet 2016, le tribunal administratif de la Polynésie française a déchargé M. C... de l'obligation de payer les sommes afférentes à la contribution des patentes au titre des années 2002, 2003, 2006, 2007 et 2008, à l'impôt sur les transactions au titre des années 2002, 2006 et 2007, à l'i

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Vu la procédure suivante :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme de 9 993 013 francs CFP figurant sur le " bordereau de situation " en date du 4 mars 2015. Par un jugement n° 1500402 du 12 juillet 2016, le tribunal administratif de la Polynésie française a déchargé M. C... de l'obligation de payer les sommes afférentes à la contribution des patentes au titre des années 2002, 2003, 2006, 2007 et 2008, à l'impôt sur les transactions au titre des années 2002, 2006 et 2007, à l'impôt foncier au titre des années 2002, 2003, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010, à la contribution de solidarité territoriale sur les professions et activités non salariées au titre des années 2002, 2006 et 2007 et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 16PA03227 du 23 mars 2018, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du ministre de l'économie et des finances, annulé le jugement du tribunal administratif de la Polynésie française en tant qu'il a déchargé M. C... de l'obligation de payer une partie des impositions en litige et a rejeté la demande de M. C....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 juin et 25 septembre 2018 et le 20 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code des impôts de la Polynésie française ;

- le code des postes et télécommunications de la Polynésie française ;

- l'ordonnance n° 98-581 du 8 juillet 1998 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de M. D... C... ;

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., qui exerce une activité de loueur en meublé en Polynésie française, a été assujetti à ce titre, entre 2002 et 2015, à la contribution des patentes, à l'impôt sur les transactions, à la contribution de solidarité sur les professions et activités non salariées et à l'impôt foncier sur les propriétés bâties. M. C... ne s'étant pas acquitté de l'intégralité de ces impositions, le payeur de la Polynésie française lui a adressé, le 4 mars 2015, un " bordereau de situation " récapitulant les sommes dues, à hauteur de 9 993 013 francs CFP. Après le rejet implicite de sa réclamation, en date du 30 avril 2015, tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme figurant sur ce bordereau, M. C... a saisi le tribunal administratif de la Polynésie française qui, par un jugement du 12 juillet 2016, a prononcé la décharge partielle de l'obligation de payer les impositions en litige. M. C... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 mars 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur appel du ministre de l'économie et des finances, a annulé ce jugement en ce qu'il avait fait droit à la demande de décharge de l'obligation de payer ces impositions et rejeté cette demande.

Sur la qualité pour relever appel devant la cour administrative d'appel :

2. D'une part, les règles relatives à la réclamation préalable en matière fiscale qui font partie du contentieux de l'impôt ne sont pas détachables de la procédure administrative contentieuse qui, en vertu du 2° de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, demeure une compétence de l'Etat. L'article 7 de la même loi organique prévoit que les dispositions législatives et réglementaires relatives à la procédure administrative contentieuse sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière. En outre, en vertu du 7° de l'article 14 de cette même loi organique, le " Trésor " est au nombre des matières qui relèvent de la compétence de l'Etat. Par ailleurs, en application des dispositions combinées des articles 64, 93 et 97 de la même loi organique, le Président de la Polynésie française nomme à tous les emplois publics de la Polynésie française, à l'exception du comptable public, agent de l'Etat, chargé de la paierie de la Polynésie française.

3. D'autre part, l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics compétents mentionnés à l'article L. 252 doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites ". Pour la Polynésie française, l'article LP. 750 du code des impôts de la Polynésie française dispose : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'autorité compétente dont dépend le comptable public. / L'autorité compétente est : / a) Le directeur des impôts et des contributions publiques si le recouvrement incombe au receveur des impôts de la direction des impôts et des contributions publiques ; / b) Le directeur des affaires foncières si le recouvrement incombe au receveur de l'enregistrement de la recette conservation des hypothèques ; / c) L'administrateur général des finances publiques (trésorier-payeur général) dans les autres cas ". Aux termes de l'article LP. 753 du même code : " Si aucune décision sur sa contestation n'a été prise dans le délai d'instruction par l'autorité administrative ou si la décision rendue ne lui donne pas satisfaction, le redevable doit, à peine de forclusion, porter l'affaire devant le juge compétent tel qu'il est défini à l'article LP. 750 dans un délai de deux mois (...). / La procédure juridictionnelle (...) doit être dirigée contre la Polynésie française si le recouvrement incombe au receveur des impôts de la direction des impôts et des contributions publiques ou au receveur de l'enregistrement de la recette conservation des hypothèques. Elle doit être dirigée contre le comptable public chargé du recouvrement dans les autres cas ".

4. Enfin, l'article R. 811-10 du code de justice administrative dispose que : " Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat. / Les ministres peuvent déléguer leur signature dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur ".

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'une procédure juridictionnelle relative au recouvrement d'impôts polynésiens par voie de rôle, portée devant le tribunal administratif de la Polynésie française, doit être dirigée contre le comptable public chargé de la paierie de la Polynésie française qui est un agent de l'Etat. Il s'ensuit que le ministre chargé du budget est compétent pour interjeter appel du jugement rendu par ce tribunal administratif sur un tel litige.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que les impositions en litige dont le paiement est réclamé à M. C... sont recouvrées par voie de rôle et que leur recouvrement est assuré par le comptable public chargé de la paierie de la Polynésie française. D'autre part, par arrêté du 17 décembre 2015, le directeur général des finances publiques a donné, sur le fondement des articles 1er et 3 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, délégation à Mme B... A..., administratrice des finances publiques, pour signer les appels, formés devant la cour administrative d'appel de Paris par l'administration, concernant les litiges relatifs au recouvrement. Il s'ensuit qu'en jugeant que le ministre de l'économie et des finances avait qualité pour relever appel du jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 12 juillet 2016 et que son mémoire avait été régulièrement signé par Mme A..., la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur la régularité de la notification du commandement de payer en date du 16 mai 2007 :

7. D'une part, l'article L. 719-1 du code des impôts de la Polynésie française dispose que : " Les comptables chargés du recouvrement qui n'ont fait aucune poursuite contre un contribuable retardataire dans un délai de quatre années consécutives, à partir du jour de la date de mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement, perdent leur recours et sont déchus de tout droit et de toute action contre ce redevable. / Ce délai est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de dette, expresse ou tacite, ou par tous autres actes interruptifs précisés par le code civil. / Ce délai est suspendu dans tous les cas où le comptable se trouve dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, d'une convention ou d'un cas de force majeure et notamment, dans le cas de réclamations assorties d'une demande de sursis de paiement et de créances dues par les débiteurs publics ".

8. D'autre part, l'article D. 151-2 du code des postes et télécommunications en Polynésie française dispose que : " La distribution postale est effectuée soit au bureau de poste, soit à domicile. Elle peut aussi être effectuée dans des boites installées par l'exploitant public sur le domaine public ou sur des propriétés privées, ou des points postaux ". Aux termes de l'article D.152-1 du même code : " La distribution au bureau de poste des objets postaux est effectuée soit au guichet, soit par dépôt dans une boite postale ou équipement postal visé à l'article D. 151-2 ". Son article 151-2 prévoit que : " Le délai d'instance des objets postaux est celui pendant lequel ces objets sont tenus à la disposition des destinataires. Ce délai, fixé par l'exploitant public, ne saurait excéder celui prévu par l'Union postale universelle. Il est rappelé aux intéressés par tout moyen approprié ". L'article 3 des conditions générales du service des boites postales Fare Rata précise que " un avis de retrait ou un avis se rapportant aux correspondances recommandées (...) est remis à l'abonné dans sa boite postale pour les envois dont la distribution nécessite la signature du destinataire ".

9. En cas de contestation de la notification à un contribuable d'un acte interruptif de la prescription de l'action en recouvrement, il incombe à l'administration fiscale d'établir qu'une telle notification a été régulièrement adressée au contribuable et, lorsque le pli contenant cette notification a été renvoyé par le service postal au service expéditeur, de justifier de la régularité des opérations de présentation à l'adresse du destinataire. La preuve qui lui incombe ainsi peut résulter soit des mentions précises, claires et concordantes figurant sur les documents, le cas échéant électroniques, remis à l'expéditeur conformément à la règlementation postale soit, à défaut, d'une attestation de l'administration postale ou d'autres éléments de preuve établissant la délivrance par le préposé du service postal d'un avis de passage prévenant le destinataire de ce que le pli est à sa disposition au bureau de poste. Compte-tenu des modalités de présentation des plis recommandés dans les boîtes postales prévues par la réglementation postale polynésienne, doit être regardé comme portant des mentions précises, claires et concordantes de nature à constituer la preuve d'une notification régulière le pli recommandé retourné à l'administration auquel est rattaché un volet " avis de réception " sur lequel a été apposée la date de dépôt de l'avis d'instance dans la boîte postale et qui porte, sur l'enveloppe ou l'avis de réception, l'indication du motif pour lequel il n'a pu être remis.

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a émis le 16 mai 2007 un commandement de payer qui a été adressé à M. C... à l'adresse de sa boîte postale qui était, à l'époque, la seule adresse connue de l'administration. Si ce pli recommandé comporte la date d'envoi du 23 mai 2007 et celle de son renvoi à l'administration, le 11 juin 2007, avec la mention " non réclamé - retour à l'envoyeur ", il n'est assorti d'aucune indication justifiant de ce qu'un avis avait été déposé dans la boîte postale de M. C... pour l'avertir de la réception de ce courrier. Par suite, en retenant que M. C... était présumé avoir été régulièrement avisé dans sa boîte postale de la mise en instance du pli comportant le commandement de payer du 16 mai 2007, la cour a commis une erreur de droit.

Sur l'avis à tiers détenteur du 9 septembre 2009 :

11. Il résulte des dispositions citées au point 7 qu'un avis à tiers détenteur ne peut interrompre la prescription qu'elles prévoient qu'à la condition d'avoir été régulièrement notifié tant au tiers détenteur qu'au redevable concerné.

12. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a notifié le 24 septembre 2009 à M. C... un avis à tiers détenteur en date du 9 septembre 2009 portant sur l'ensemble des impositions dont la mise en recouvrement était intervenue avant le 1er janvier 2009 et qui n'avaient pas été acquittées par le redevable. Par suite, en jugeant que cet avis à tiers détenteur portait sur la même imposition que le commandement de payer du 22 mai 2008 et que ces actes de poursuite avaient régulièrement interrompu le délai de prescription de l'action en recouvrement, la cour, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier, n'a pas commis d'erreur de droit.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a statué sur son obligation de payer la contribution de solidarité sur les professions et activités non salariées portant la référence 35.2002.70.934, l'impôt foncier portant la référence 35.2003.56.12065 et la contribution des patentes portant la référence 35.2003.27.6334. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 28 mars 2018 est annulé en tant qu'il a statué sur l'obligation de payer de M. C... la contribution de solidarité sur les professions et activités non salariées portant la référence 35.2002.70.934, l'impôt foncier portant la référence 35.2003.56.12065 et la contribution des patentes portant la référence 35.2003.27.6334.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. C... est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 421729
Date de la décision : 22/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2020, n° 421729
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP COLIN-STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:421729.20200722
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