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10/07/2020 | FRANCE | N°436954

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 10 juillet 2020, 436954


Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 7 novembre 2019, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 décembre 2019, le tribunal judiciaire de Toulon a sursis à statuer sur la demande du préfet du Var en annulation de l'élection, le 9 octobre 2019, de Mme B... A... en qualité de juge au tribunal de commerce de Toulon, jusqu'à ce que la juridiction administrative compétente se soit définitivement prononcée sur la question préjudicielle relative à la légalité des dispositions de la section I du chapitre II du " Guide pratique pour l'organisation d

es élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " de la gard...

Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 7 novembre 2019, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 décembre 2019, le tribunal judiciaire de Toulon a sursis à statuer sur la demande du préfet du Var en annulation de l'élection, le 9 octobre 2019, de Mme B... A... en qualité de juge au tribunal de commerce de Toulon, jusqu'à ce que la juridiction administrative compétente se soit définitivement prononcée sur la question préjudicielle relative à la légalité des dispositions de la section I du chapitre II du " Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " de la garde des sceaux, ministre de la justice, relative à la durée des mandats des juges consulaires, et leur conformité aux dispositions de l'article L. 723-7 du code de commerce dans sa rédaction nouvelle quant à la définition et à l'interprétation de la notion de " mandats successifs ".

Par un mémoire enregistré le 6 février 2020, le préfet du Var conclut à ce que le " Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " de la garde des sceaux, ministre de la justice soit déclaré légal. Il soutient que l'interprétation donnée par ce Guide à l'expression " mandats successifs " est conforme à l'intention du législateur.

Par un mémoire, enregistré le 17 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer illégales les dispositions de la section I du chapitre II du " Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " de la garde des sceaux, ministre de la justice, relatives à la durée des mandats des juges consulaires ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

- la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Calothy, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal judiciaire de Toulon a sursis à statuer sur le recours formé par le préfet du Var contre l'élection, le 9 octobre 2019, de Mme A... comme juge consulaire au tribunal de commerce de Toulon et a saisi la juridiction administrative de la question de la légalité du " Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " émanant de la garde des sceaux, ministre de la justice.

2. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

3. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

4. En premier lieu, en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire. Il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte. Ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire.

5. Par son jugement du 7 novembre 2019, le tribunal judiciaire de Toulon a sursis à statuer sur le recours du préfet du Var contre l'élection de Mme A... comme juge consulaire au tribunal de commerce de Toulon jusqu'à ce que la juridiction administrative compétente se soit définitivement prononcée sur la question de la conformité des dispositions de la section I du chapitre II du " Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " de la garde des sceaux, ministre de la justice, relatives à la durée des mandats des juges consulaires aux dispositions de l'article L. 723-7 du code de commerce quant à la définition et à l'interprétation de la notion de " mandats successifs ". Le tribunal a ainsi défini et limité l'étendue de la question qu'il entendait soumettre à la juridiction administrative. Dès lors, il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître d'autres questions que de celle définie ci-dessus, qui lui a été renvoyée. Il en résulte que Mme A... n'est pas recevable à soumettre au juge administratif le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur du guide litigieux, ni le moyen tiré de ce que le guide litigieux donnerait à la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle une portée rétroactive.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 723-7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises : " Les juges des tribunaux de commerce élus pour cinq mandats successifs dans un même tribunal de commerce ne sont plus éligibles dans ce tribunal. (...) ".

7. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 22 mai 2019 que le législateur a, par l'expression " mandats successifs ", entendu se référer à des mandats se succédant les uns aux autres sans interruption. Par suite, les dispositions, rappelées au point 6, de l'article L. 723-7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises n'interdisent à un juge consulaire d'être à nouveau élu dans le même tribunal de commerce que s'il y a exercé continûment cinq mandats.

8. Le guide pratique litigieux prévoit que, pour l'application des dispositions de l'article L. 723-7 du code de commerce rappelées au point 6, le terme successif " doit s'entendre comme une succession de mandats qui ne sont pas nécessairement contigus (comme se suivant dans le temps et dans l'espace) " et précise que, en conséquence, " un juge qui aura effectué cinq mandats dans un même tribunal, même de façon discontinue, ne pourra plus se représenter dans ce tribunal ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les dispositions de ce guide indiquant qu'un juge consulaire ne peut exercer un mandat dans un tribunal de commerce dès lors qu'il y a exercé, même de façon discontinue, cinq mandats au total, méconnaît les dispositions de l'article L. 723-7 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que le " Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " de la garde des sceaux, ministre de la justice, est entaché d'illégalité en tant qu'il indique qu'un juge consulaire ne peut exercer, au sein d'un même tribunal de commerce, plus de cinq mandats même de façon discontinue.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité du " Guide pratique pour l'organisation des élections des tribunaux de commerce pour l'année 2019 " de la garde des sceaux, ministre de la justice, en tant qu'il dit qu'un juge consulaire ne peut exercer, au sein d'un même tribunal de commerce, plus de cinq mandats même de façon discontinue, soulevée par Mme A... devant le tribunal judiciaire de Toulon, est fondée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au tribunal judiciaire de Toulon, à Mme B... A..., au préfet du Var et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Analyses

37-02-01 JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES. SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE. ORGANISATION. - TRIBUNAUX DE COMMERCE - ELECTIONS DES JUGES - LIMITATION À CINQ MANDATS SUCCESSIFS - PORTÉE - MANDATS EXERCÉS CONTINÛMENT.

37-02-01 Article L. 723-7 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, prévoyant que les juges des tribunaux de commerce élus pour cinq mandats successifs dans un même tribunal de commerce ne sont plus éligibles dans ce tribunal.,,,Ces dispositions n'interdisent à un juge consulaire d'être à nouveau élu dans le même tribunal de commerce que s'il y a exercé continûment cinq mandats.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 10 jui. 2020, n° 436954
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Calothy
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : CABINET BRIARD

Origine de la décision
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Date de la décision : 10/07/2020
Date de l'import : 28/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 436954
Numéro NOR : CETATEXT000042115674 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-07-10;436954 ?
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