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08/07/2020 | FRANCE | N°423342

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 08 juillet 2020, 423342


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrée les 17 août 2018 et 24 mai 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme EG... BD..., M. GL...-GS... BD..., l'Association des éleveurs et bergers du Vercors Drôme Isère, l'association Le Cercle 12, la Fédération nationale de défense du pastoralisme, M. GL...-HI... CX..., M. GW..., Mme C... CY..., M. CB... S..., M. BH... AV..., Mme CF... AV..., M. AT... AW..., l'association Groupement pastoral du mouton noir, Mme FD... AX..., Mme EW... AY..., MM. AI... et S... T..., GT... EY..., M. DI... DB...

M. Q... EZ..., M. DM... GD..., Mme GU...-HJ... DC..., M. DH... FA...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrée les 17 août 2018 et 24 mai 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme EG... BD..., M. GL...-GS... BD..., l'Association des éleveurs et bergers du Vercors Drôme Isère, l'association Le Cercle 12, la Fédération nationale de défense du pastoralisme, M. GL...-HI... CX..., M. GW..., Mme C... CY..., M. CB... S..., M. BH... AV..., Mme CF... AV..., M. AT... AW..., l'association Groupement pastoral du mouton noir, Mme FD... AX..., Mme EW... AY..., MM. AI... et S... T..., GT... EY..., M. DI... DB... M. Q... EZ..., M. DM... GD..., Mme GU...-HJ... DC..., M. DH... FA..., MM. H... et EX... U..., HC... U..., M. G... AZ..., M. GL...-HD... GV..., Mme GQ... FB..., M. BM... FB..., M. et Mme EP... et Sylvie HQ..., MM. EL... et EN... DD..., M. FT... BA..., Mme FD... BB..., M. B... GE..., M. BU... BC..., Mme GJ... V..., M. GL...-G... V..., Mme GU...-AK... GR..., M. BM... BD..., M. EJ... DE..., M. GK... BE..., M. et Mme BM... et HO... HP..., M. GL...-EX... GF..., M. K... BF..., M. BQ... FE..., M. AF... DF..., M. AF... FF..., M. GG... X..., Mme CQ... HH..., M. FK... D..., la coopérative Le Fedou, M. FT... HE..., M. et Mme A... et Hélène Crouzet, Mme GP... Y..., M. E... BJ..., M. CL... GY..., Mme AB... BK..., Mme BG... BL..., M. GL...-DN... GI..., M. GG... BN..., M. HD...-HK... FH..., M. FG... DJ..., Mme GM... BO..., M. EV... AC..., M. GL...-HI... AD..., Mme ED... BP..., M. DP... FJ..., M. et Mme DZ... et HL... HM..., HN..., M. GL...-AI... DO..., M. EM... AE..., M. DU... DQ..., MM. FK... et EN... BR..., HA... BS..., GZ... DR..., FR... DS..., HB... pastoral des chalets de l'Izoard, M. et Mme GS... et Céline HR..., M. B... FL..., Mme P... BT..., M. EK... BV..., M. et Mme FT... et Claude HS..., M. CW... BW..., Mme HG... BW... GX..., Mme CZ... DW..., M. GL...-HI... FN..., M. GS... DX..., M. AV... AH..., M. BI... DY..., M. CV... EA..., M. W... EB..., M. DZ... EC..., Mme DN... BX..., M. W... FO..., M. EM... AK..., Mme FP... GI..., M. DK... BY..., M. FG... FQ..., M. AU... CA..., M. GL...-CD... EE..., M. EL... EE..., M. EL... CC..., M. et Mme DN... et Caroline CC..., M. et Mme CD... et AK...-Claude CC..., M. AA... CC..., M. EU... CC..., M. J... CC..., M. et Mme AV... et HW... CC..., M. DL... CC..., M. AJ... EH..., Mme FX... EI..., Mme GH... FS..., M. W... AL..., Mme FC... AM..., MM. AG... et E... AM..., M. et Mme FY... et HY... HT..., Mme CE... AN..., M. GG... CG..., Mme GP... CH..., M. EN... AO..., M. DP... EO..., M. CD... I..., Mme FI... FU..., M. BQ... DA..., Mme DG... CI..., Mme CR... CJ..., M. EL... CK..., M. et Mme FZ... et HX... HU..., M. GL...-BG... CM..., Mme AK...-HF... AQ..., M. BM... AQ..., M. FK... L..., M. DT... M..., M. DN... M..., Mme BZ... M..., Mme AK... M...-AQ..., Mme F... FV..., M. DC... EQ..., M. E... CN..., M. EN... CO..., Mme FM... CP..., Mme CQ... GN..., M. GL...-HI... FW..., M. O... ER..., MM. AP... et GL...-HD... ES..., M. et Mme DC... et HW... HV..., M. EF... CS..., M. GS... ET..., M. DK... GA..., M. Z... N..., M. EN... CT..., M. GO... GB..., M. DV... GC..., M. GL...-AI... AR..., M. BQ... AS... et Mme R... CU... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les deux arrêtés interministériels du 19 février 2018 fixant, respectivement, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis Lupus) et le nombre maximum de spécimens de loups (Canis Lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année, ainsi que la décision implicite rejetant leur recours gracieux contre ces arrêtés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son protocole additionnel ;

- la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, signée à Berne le 19 septembre 1979 ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite " directive habitats " : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (...) ". Le loup est au nombre des espèces figurant à l'annexe IV point a) de la directive. L'article 16 de la même directive prévoit toutefois que : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : (...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ".

2. Aux termes du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive habitats précitée : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l'article 16 de la même directive : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en oeuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent (...) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage (...) et à d'autres formes de propriété ".

3. Pour l'application de ces dernières dispositions, l'article R. 411-1 du code de l'environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture. L'article R. 411-6 du même code précise que : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (...) ". Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature " (...) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. ".

4. Dans ce cadre, d'une part, un premier arrêté du 19 février 2018 fixe les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction de loups peuvent être accordées par les préfets, chacune de ces dérogations devant respecter les trois conditions posées à l'article L. 411-2 du code de l'environnement précité. Son article 2 prévoit que le nombre maximum de loups dont la destruction est autorisée, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, est fixé chaque année selon des modalités prévues par arrêté ministériel. Ses articles 3 à 5 prescrivent diverses mesures pour assurer le respect de ce seuil, en particulier l'obligation pour les bénéficiaires de dérogations d'informer les préfets en cas de destruction ou de blessure d'un loup lors des opérations qu'ils mettent en oeuvre et, pour les préfets d'informer les administrations et établissements publics concernés ainsi que les bénéficiaires de dérogations. Son article 4 prévoit que les dérogations accordées peuvent être suspendues ou révoquées, selon les cas, afin d'éviter que le seuil précité ne soit dépassé ou si les conditions et modalités de l'opération ne sont pas respectées. L'arrêté encadre par ailleurs les conditions dans lesquelles il peut être recouru à des mesures, d'effet gradué et pouvant être combinées, destinées à mettre les troupeaux à l'abri de la prédation du loup, telles que des opérations d'effarouchement aux fins d'éviter les tentatives de prédation (articles 7 à 10), des tirs de défense, éventuellement renforcés, destinés à défendre directement les troupeaux (articles 11 à 19) et des tirs de prélèvement, éventuellement renforcés, qui permettent la destruction en dehors d'une opération de protection immédiate d'un troupeau (article 20 à 35). Par ailleurs, dans certaines zones délimitées par voie réglementaire au sein des fronts de colonisation du loup, dans lesquelles la mise en oeuvre de mesures de protection présente des difficultés importantes, constatées à la suite d'attaques de loups, l'article 37 de l'arrêté permet, sous certaines conditions, de recourir aux tirs de défense et de prélèvement sans que les troupeaux bénéficient de mesure de protection.

5. D'autre part, et en application de ces dispositions, un second arrêté du 19 février 2018 fixe le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée chaque année. Son article 1er fixe à 40 le nombre maximum de loups pouvant être détruits au cours de l'année civile 2018 tout en prévoyant une actualisation de ce nombre en cours d'année pour qu'il corresponde à 10% de l'effectif moyen de l'espèce tel que calculé au printemps 2018. Son article 2 fixe, pour les années civiles suivantes, ce nombre à 10% de l'effectif moyen de l'espèce tout en prévoyant un dépassement possible de ce plafond correspondant à 2% de cet effectif moyen pour les tirs de défense simple comme renforcée. Son article 3 prévoit une possibilité de déroger au double plafond ainsi fixé pour mettre en oeuvre des tirs de défense simple aux fins de protection des troupeaux. Enfin, ses articles 4 et 5 précisent les conditions de détermination de l'effectif moyen de loup ainsi que les conditions de calcul du nombre de loups pouvant être détruits en conséquence.

6. Mme BD... et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux arrêtés ainsi que de la décision implicite ayant rejeté leur recours gracieux.

Sur les moyens dirigés contre les deux arrêtés :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement applicable en l'espèce : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. (...) / II. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / (...) / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (...) ".

8. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que les projets d'arrêtés ont fait l'objet d'une mise en ligne commune du 8 au 29 janvier 2018 accompagnés d'une présentation rappelant le contexte général d'intervention de ces deux textes et précisant leur contenu, d'autre part, que les deux arrêtés attaqués ont été adoptés le 19 février 2018, soit après l'expiration du délai de quatre jours prévu au cinquième alinéa du II de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement précité à compter de la clôture de la consultation. Par ailleurs, le défaut de publication ou la publication tardive de la synthèse des observations du public ainsi que des motifs des arrêtés attaqués sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de celui-ci. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.

9. En deuxième lieu, les recommandations faites, en application des stipulations de l'article 14 la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, par le comité permanent chargé de suivre l'application de cette convention aux parties contractantes sur les mesures à prendre pour sa mise en oeuvre, ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne. Il en résulte que les requérants ne peuvent en tout état de cause utilement soutenir que les arrêtés attaqués seraient entachés d'incompétence négative et méconnaîtraient la recommandation n° 173 (2014) du comité permanent de suivi de la convention, adoptée le 5 décembre 2014, sur les croisements entre les loups et les chiens domestiques, faute d'organiser l'identification puis l'élimination des hybrides du loup et du chien. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les arrêtés porteraient, pour ces motifs, une atteinte à la liberté d'entreprendre des éleveurs concernés par les attaques de loups.

10. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que les arrêtés méconnaissent les dispositions des articles L. 113-1 et L. 113-2 du code rural et de la pêche maritime ainsi que le principe de complémentarité reconnu au 8° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, en ce qu'ils ne permettent pas d'assurer le maintien du pastoralisme dans les territoires exposés à des attaques de loups, ces moyens ne sont pas assortis de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Sur les moyens dirigés contre le seul arrêté fixant les conditions et limites dans lesquelles les dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets :

11. En premier lieu, aux termes du I de l'article 3 de l'arrêté attaqué : " I. Afin de s'assurer du respect du plafond de destruction fixé selon les modalités prévues à l'article 2, dès lors qu'un seuil correspondant à ce plafond minoré de quatre spécimens est atteint, toute dérogation est suspendue automatiquement pendant vingt-quatre heures après chaque destruction ou blessure de loup. Les dérogations cessent de produire effet à la date à laquelle ce plafond de destruction est totalement atteint. / (...) ". Si les requérants soutiennent que ces dispositions portent atteinte au principe de sécurité juridique dès lors qu'elles prévoient un mécanisme de suspension ou de caducité automatique des dérogations accordées sans information préalable des bénéficiaires de ces dérogations, il ressort des termes même du II de l'article de l'arrêté qu'en cas de destruction ou de blessure d'un loup, le préfet doit aussitôt informer les bénéficiaires de dérogation " afin notamment de rappeler, le cas échéant, la suspension ou l'interdiction des opérations de destruction prévue à l'article 3 ". Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué prévoit que le recours aux tirs de défense (articles 13 et 16) ou aux tirs de prélèvement (articles 23 et 25) est conditionné notamment à la mise en oeuvre préalable, par les éleveurs, de mesures de protection de leurs troupeaux. Pour définir ces mesures de protection, l'article 6 de cet arrêté se réfère, dans son III, à l'arrêté du 19 juin 2009 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation, dont l'article 1er indique que les différentes options de protection des troupeaux sont le gardiennage renforcé, les parcs de regroupement mobiles électrifiés, les chiens de protection et les parcs de pâturage de protection renforcée électrifiés. Le II de l'article 6 de l'arrêté attaqué précise que ces mesures doivent être proportionnées et effectives et que, dans certains cas, un troupeau ou une partie d'un troupeau peuvent être reconnus par le préfet comme non susceptibles d'être protégés. Il en résulte qu'il appartient aux préfets de vérifier la possibilité matérielle et financière de mettre en place des mesures de protection identifiées par l'arrêté du 19 juin 2009, en veillant à ce que, le cas échéant, elles soient proportionnées et efficaces et en tenant compte des particularités locales et des spécificités des troupeaux exposés aux attaques de loups. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, d'une part, les dispositions de l'arrêté attaqué définissent de façon suffisamment précise les différentes modalités de protection des troupeaux, d'autre part, ces mesures doivent être proportionnées et adaptées aux situations, la nécessaire marge d'appréciation laissée aux préfets pour la délivrance des dérogations n'étant pas de nature à caractériser une atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces mesures seraient inefficaces.

13. En troisième lieu, d'une part, il résulte des dispositions des articles L. 331-1 et suivants du code de l'environnement, s'agissant des parcs nationaux, et des articles L. 332-1 et suivants du même code, s'agissant des réserves naturelles, que ces parcs et réserves ont notamment pour vocation d'assurer la protection de la flore et de la faune ainsi que la préservation des paysages en prévenant tout action ou intervention de nature à en altérer la diversité, la composition, l'aspect et l'évolution et à les dégrader. A cet égard, les dispositions de l'article L. 331-4-1 du code de l'environnement pour les parcs nationaux et celles de l'article L. 332-3 du même code pour les réserves naturelles prévoient que la réglementation applicable en leur sein peut encadrer ou interdire certaines activités susceptibles de porter atteinte à ces objectifs.

14. D'autre part, aux termes du I de l'article 9 de l'arrêté attaqué : " Les moyens d'effarouchement pouvant être mis en place sans demande préalable, en dehors des réserves naturelles nationales constituées pour des motifs incluant la conservation de la faune sauvage et du coeur des parcs nationaux, sont les suivants : / - tirs non létaux ; / - effarouchement à l'aide de moyens olfactifs, visuels ou sonores. / (...) ". Par ailleurs, en vertu des dispositions des II et III du même article, d'une part, l'effarouchement à l'aide de moyens olfactifs ainsi que de sources lumineuses ou sonores ne peut être mis en oeuvre dans les coeurs de parcs nationaux que sur autorisation du directeur du parc, d'autre part, des tirs non létaux d'effarouchement ne peuvent être mis en oeuvre que dans les coeurs de parcs nationaux dont le décret de création autorise la chasse, lorsque le conseil d'administration s'est prononcé favorablement sur le recours à de tels procédés et sur autorisation du directeur du parc.

15. Ce faisant, les dispositions de l'article 9 de l'arrêté attaqué ne créent pas, contrairement à ce qui est soutenu, un nouveau régime d'autorisation administrative, mais se bornent à tirer les conséquences des dispositions législatives du code de l'environnement relatives aux parcs nationaux et aux réserves citées au point 13 et de la règlementation spécifique susceptible d'être appliquée en leur sein, afin de les concilier avec le dispositif de dérogation mis en place dans un objectif de protection des activités d'élevage et de l'agropastoralisme. Par suite, les moyens tirés de ce que ces dispositions de l'article 9 seraient entachées d'incompétence et porteraient une atteinte injustifiée aux intérêts des éleveurs ne peuvent qu'être écartés.

16. En quatrième lieu, en vertu des articles 10, 15, 17 et 30 de l'arrêté attaqué, relatifs respectivement aux modalités d'exécution des tirs d'effarouchement, des tirs de défense simple, des tirs de défense renforcée et des tirs de prélèvements à l'encontre des loups, ces tirs ne peuvent être mis en oeuvre, sauf cas particuliers, que par des personnes titulaires d'un permis de chasser valable pour l'année en cours. Par ailleurs, ses articles 18 et 29 prévoient respectivement que les tirs de défense et les tirs de prélèvement " sont réalisés avec toute arme de catégorie C et D1 visée à l'article R. 311-2 du code de sécurité intérieure ".

17. Si les requérants soutiennent que les dispositions des articles 10 et 15 de l'arrêté attaqué sont dépourvues de base légale et portent atteinte à leur droit à l'" objection de conscience cynégétique ", d'une part, les articles L. 312-4-1 et R. 312-53 du code de la sécurité intérieure subordonnent l'acquisition d'armes, munitions et éléments de la catégorie C à la détention d'un permis de chasser revêtu de la validation de l'année en cours ou de l'année précédente, ou d'une licence de tir en cours de validité délivrée par une fédération sportive ou d'une carte de collectionneur d'armes et d'autre part, l'article L. 423-5 du code de l'environnement prévoit que la délivrance du permis de chasser est subordonnée à l'admission à un examen portant notamment " sur les règles de sécurité qui doivent être respectées lors du maniement des armes ". Il en résulte que les dispositions contestées s'inscrivent dans le cadre de ce régime général pour l'acquisition et la détention des armes, afin de garantir la mise en oeuvre des tirs d'effarouchement, de défense ou de prélèvement qu'elles prévoient dans des conditions de sécurité. En outre, eu égard à l'objectif d'intérêt général de sécurité ainsi poursuivi, ces dispositions ne peuvent en tout état de cause être regardées comme méconnaissant la liberté de conscience garantie par l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

18. En cinquième lieu, l'arrêté attaqué a été pris pour l'application des dispositions législatives et réglementaires rappelées aux points 2 et 3, elles-mêmes prises pour la transposition de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, qui imposent de concilier la protection des espèces protégées, telles que le loup, avec l'objectif de prévenir des dommages importants, notamment à l'élevage. Par ailleurs, le dispositif mis en place au niveau national, outre qu'il permet, dans les conditions précisées par l'arrêté attaqué, la destruction de loups, comprend également un mécanisme d'aides à la mise en place de mesures de protection prévu notamment par l'arrêté du 19 juin 2009 cité au point 12 ainsi que l'indemnisation des dommages causés, prévue par une circulaire du 27 juillet 2011. En outre, ainsi qu'il a été dit précédemment, il appartient aux préfets de délivrer le cas échéant des dérogations en fonction des circonstances locales, notamment des spécificités des systèmes d'élevages pastoraux, en utilisant les nombreuses possibilités d'action offertes par l'arrêté attaqué. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les dispositions de l'arrêté et en particulier celles de ses articles 11 à 17 ne méconnaissent ni les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article 515-14 du code civil qui reconnaît aux animaux le caractère d'être sensibles.

En ce qui concerne le moyen dirigé contre le seul arrêté fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée chaque année :

19. L'article 5 de l'arrêté attaqué prévoit que l'estimation annuelle de l'effectif moyen de loups permettant de déterminer le nombre de dérogations susceptibles d'être accordées repose sur " le résultat de l'application des modèles mathématiques de la méthode " Capture -Marquage - Recapture " qui " s'appuie sur la réalisation d'analyse génétique permettant l'identification individuelle des loups par leur profil génétique, à partir de l'ADN contenu dans les échantillons d'excréments, muscles, poils, urines ou sang récoltés chaque année par le réseau de suivi organisé par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage" (ONCFS) ainsi que " sur l'effectif minimum retenu de loups, dénombré dans les zones de présence permanente de l'espèce par ce même réseau de suivi ".

20. Si les requérants contestent la fiabilité de cette méthodologie de comptage, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des éléments qu'ils produisent, que celle-ci ne serait pas pertinente. Contrairement à ce qui est soutenu, cette méthodologie a ainsi conduit à révéler une augmentation constante tant du nombre de zones de présence permanentes (ZPP) du loup que de l'effectif moyen de la population de l'espèce au cours des dernières années. Par ailleurs, les arguments tirés de l'incompétence ou de la partialité des agents de l'ONCFS, établissement public de l'Etat prévu à l'article L. 421-1 du code de l'environnement, et des personnes formées par celui-ci pour participer au réseau de suivi de présence du loup, ne sont pas assorties de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

21. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêtés du 19 février 2018 attaqués. Par suite, leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de Mme BD... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme EG... BD..., première requérante dénommée, et à la ministre de la transition écologique.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 423342
Date de la décision : 08/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 jui. 2020, n° 423342
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Fanélie Ducloz
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:423342.20200708
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