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19/06/2020 | FRANCE | N°425231

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 19 juin 2020, 425231


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 2 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de le rétablir dans ledit statut.

Par une décision n° 17021629 du 28 septembre 2018, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire comp

lémentaire, enregistrés les 6 novembre 2018 et 4 février 2019 au secrétariat du conten...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 2 mai 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de le rétablir dans ledit statut.

Par une décision n° 17021629 du 28 septembre 2018, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 novembre 2018 et 4 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à l'intervention de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne saisie par le Conseil du contentieux des étrangers de Belgique ainsi que par la Cour administrative suprême de République tchèque dans les affaires C-391/16, C-77/17 et C-78/17 ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ;

- l'arrêt C-391/16, C77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. B... A... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'OFPRA ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 2 mai 2017, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a, sur le fondement du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mis fin au statut de réfugié de M. B... A..., de nationalité bangladaise. M. A... se pourvoit en cassation contre la décision du 28 septembre 2018 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté le recours dirigé contre cette décision.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 724-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui assure la transposition de l'article 45 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " Lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides envisage de mettre fin au statut de réfugié en application des articles L. 711-4 ou L. 711-6 ou au bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 712-3, il en informe par écrit la personne concernée, ainsi que des motifs de l'engagement de cette procédure ". L'article L. 724-2 du même code dispose que : " La personne concernée est mise à même de présenter par écrit ses observations sur les motifs de nature à faire obstacle à la fin du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire. Si l'office estime toutefois nécessaire de procéder à un entretien personnel, celui-ci se déroule dans les conditions prévues à l'article L. 723-6 ". Il résulte de ces dispositions que si l'OFPRA doit communiquer à la personne concernée les motifs de l'engagement de la procédure, elle n'est pas tenue, dans le cadre de la procédure administrative, de lui transmettre tous les documents préparatoires à sa décision avant de mettre fin au statut de réfugié. En outre, il appartient, en principe, à la Cour, qui est saisie d'un recours de plein contentieux, non d'apprécier la légalité de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui lui est déférée, mais de se prononcer elle-même, selon les cas, sur le droit de l'intéressé à la qualité de réfugié, la reconnaissance ou le maintien du statut de réfugié, ou le bénéfice de la protection subsidiaire au vu de l'ensemble des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle statue. Lorsque le recours dont est saisie la Cour est dirigé contre une décision de l'Office qui a statué sur une demande d'asile sans procéder à l'audition du demandeur prévue par l'article L. 723-3, il revient à la Cour, eu égard au caractère essentiel et à la portée de la garantie en cause, si elle juge que l'Office n'était pas dispensé par la loi de convoquer le demandeur à une audition et que le défaut d'audition est imputable à l'Office, d'annuler la décision qui lui est déférée et de renvoyer l'examen de la demande d'asile à l'Office, sauf à ce qu'elle soit en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection au vu des éléments établis devant elle. En l'espèce, M. A... auquel l'OFPRA avait indiqué les motifs pour lesquels il envisageait de mettre fin à son statut de réfugié qui s'est vu, en outre, communiquer les documents le concernant, dans le cadre du débat contradictoire qui s'est tenu devant la cour, n'a été privé d'aucune garantie. Il s'ensuit que c'est sans erreur de droit que la cour a écarté le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure devant l'OFPRA et de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.

3. En deuxième lieu, d'une part, le 2° du paragraphe A de l'article 1er de la convention de Genève stipule que la qualité de réfugié est notamment reconnue à " toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...) ". En vertu du c) du paragraphe F de l'article 1er de la même convention, repris au paragraphe 2, sous c), de l'article 12 de la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, " Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. ". L'article 14 de la directive du 13 décembre 2011 dispose que : " (...) 3. Les Etats membres révoquent le statut de réfugié de tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler, s'ils établissent, après lui avoir octroyé le statut de réfugié, que : / a) le réfugié est ou aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l'article 12 (...) ". L'article L. 711-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 dispose que : " L'office peut également mettre fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l'autorité administrative, au statut de réfugié lorsque, (...) / 3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l'article 1er de la convention de Genève, du 28 juillet 1951, précitée ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011 : " (...) 4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler, / a) lorsqu'il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l'État membre dans lequel il se trouve ; / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / 5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu'une telle décision n'a pas encore été prise. / 6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s'appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu'elles se trouvent dans l'État membre ". L'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pris pour la transposition des dispositions précitées du 4 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, dispose que : " Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : / 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ; / 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société. ".

5. Les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d'une part, que tous les États membres appliquent des critères communs pour l'identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d'autre part, un niveau minimal d'avantages à ces personnes dans tous les États membres. Il résulte des paragraphes 4 et 5 de l'article 14 de cette directive, tels qu'interprétés par l'arrêt C-391/16, C77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne, que la " révocation " du statut de réfugié ou le refus d'octroi de ce statut, que leurs dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d'un pays tiers ou l'apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l'article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l'article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l'Etat membre qui fait usage des facultés prévues à l'article 14, paragraphes 4 et 5, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l'une des hypothèses visées à ces dernières dispositions et se trouvant sur le territoire dudit Etat membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée, ainsi que des droits prévus par ladite convention dont la jouissance n'exige pas une résidence régulière.

6. Il résulte des motifs qui précèdent que les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permettent à l'OFPRA que de refuser d'exercer la protection juridique et administrative d'un réfugié ou d'y mettre fin, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de l'intéressé constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ou lorsque l'intéressé a été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et que sa présence constitue une menace grave pour la société. La perte du statut de réfugié résultant de l'application de l'article L. 711-6 ne saurait dès lors avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservé dans l'hypothèse où l'OFPRA et, le cas échéant, le juge de l'asile, font application de l'article L. 711-6, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011. Il s'ensuit que c'est sans erreur de droit que la Cour nationale du droit d'asile a jugé que l'article L. 711-6 du CESEDA n'avait pas pour objet d'ajouter de nouvelles clauses d'exclusion et ne méconnaissait, dans ces conditions, ni la convention de Genève ni les objectifs de la directive du 13 décembre 2011.

7. En troisième lieu, il résulte des dispositions précitées du 1° de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'une part, d'apprécier si la présence l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c'est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en dépit des dénégations de l'intéressé, que M. A... a tenu à plusieurs reprises entre 2013 et 2015 des propos empreints d'une idéologie radicale. Malgré les réfutations du requérant, il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier des éléments d'information particulièrement circonstanciés contenus dans plusieurs notes, trois émanant de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste et une note blanche en date du 12 décembre 2016, qu'il existe des liens entre, d'une part, la mosquée bangladaise de Stains, gérée par le Centre culturel islamique Ile de France (CCIB), dont M. A... est membre du comité exécutif et qui abrite l'organisation non déclarée Forum Islamique France (FIF), branche française du Forum islamique Europe, et, d'autre part, le Jamat-e-Islami au Bangladesh, mouvement fondamentaliste sunnite. En s'appuyant sur ces éléments pour estimer que M. A... adhérait à une idéologie radicale présentant un caractère dangereux et cherchait à dissimuler la réalité de ses convictions et activités pour en déduire qu'il existait des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de M. A... constituait une menace grave pour la sûreté de l'Etat, la Cour, qui n'a pas entaché sa décision d'une contradiction de motifs, n'a pas procédé à une inexacte qualification juridique des faits.

9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Son pourvoi doit donc être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 19 jui. 2020, n° 425231
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Date de la décision : 19/06/2020
Date de l'import : 28/07/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 425231
Numéro NOR : CETATEXT000042065752 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-06-19;425231 ?
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