La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/05/2020 | FRANCE | N°439209

France | France, Conseil d'État, 26 mai 2020, 439209


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 février et 18 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 31 décembre 2019 de la ministre des solidarités et de la santé portant application de l'article 15, alinéa 3, du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de t

ravail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'ar...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 février et 18 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 31 décembre 2019 de la ministre des solidarités et de la santé portant application de l'article 15, alinéa 3, du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail dans les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le Conseil d'Etat est compétent pour ordonner la suspension de la décision attaquée, qui constitue un acte réglementaire pris par un ministre ;

- il y a urgence à suspendre cette décision, qui préjudicie de manière grave à certains des personnels de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), ainsi qu'à leur santé et, de ce fait, à la qualité du service public hospitalier et, donc, à l'intérêt général ;

- cette décision méconnaît l'article 15 du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002, qui subordonne la possibilité de déplafonner, seulement à titre exceptionnel, le nombre d'heures supplémentaires à l'existence d'une crise sanitaire, alors qu'en l'espèce, la ministre a entendu remédier à une crise structurelle liée à l'insuffisance des recrutements précédemment opérés et recourt pour la quatrième fois depuis le 10 décembre 2018 à une telle mesure de déplafonnement ;

- en utilisant le déplafonnement pour des motifs autres que ceux prévus par le décret du 4 janvier 2002, la ministre a entaché sa décision de détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 13 mars et 22 mai 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître de la requête, car la décision attaquée, qui se borne à autoriser les établissements relevant de l'AP-HP à recourir, le cas échéant, aux heures supplémentaires au-delà du plafond, ne constitue pas un acte réglementaire ;

- la requête est irrecevable, dans la mesure où la décision attaquée n'affecte pas les droits statutaires des agents et, donc, ne préjudicie pas aux intérêts que le syndicat requérant peut légalement défendre ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie et doit être appréciée au regard de l'urgence qu'il y a à maintenir la décision attaquée, et aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, notamment son article 4 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, notamment son article 9 ;

- le décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision./ Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. ".

2. Aux termes des trois premiers alinéas de l'article 15 du décret du 4 janvier 2002 susvisé, dans leur rédaction applicable à la date de la décision dont la suspension est demandée : " Lorsque les besoins du service l'exigent, les agents peuvent être appelés à effectuer des heures supplémentaires en dépassement des bornes horaires définies par le cycle de travail dans la limite de 180 heures par an et par agent. Ce plafond est porté à 220 heures pour les catégories de personnels suivantes : infirmiers spécialisés, cadres de santé infirmiers, sages-femmes, sages-femmes cadres de santé, personnels d'encadrement technique et ouvrier, manipulateurs d'électroradiologie médicale. / Lorsque la durée du cycle de travail est inférieure ou égale à un mois, le nombre d'heures supplémentaires susceptibles d'être effectué par mois et par agent ne peut excéder 15 heures. Ce plafond mensuel est porté à 18 heures pour les catégories de personnels suivantes : infirmiers spécialisés, cadres de santé infirmiers, sages-femmes, sages-femmes cadres de santé, personnels d'encadrement technique et ouvrier, manipulateurs d'électroradiologie médicale. Lorsque la durée du cycle de travail est supérieure à un mois, ce plafond est déterminé en divisant le nombre d'heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées dans l'année par 52 et en multipliant ce résultat par le nombre de semaines que compte la durée du cycle de travail. / En cas de crise sanitaire, les établissements de santé sont autorisés, par décision du ministre de la santé, à titre exceptionnel, pour une durée limitée et pour les personnels nécessaires à la prise en charge des patients, à dépasser les bornes horaires fixées par le cycle de travail. ". Sur le fondement de ces dispositions, la ministre des solidarités et de la santé a, le 31 décembre 2019, pris une décision par laquelle : " en application des dispositions du 3e alinéa de l'article 15 du décret du 4 janvier 2002 susvisé, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris est autorisée à titre exceptionnel, afin de garantir la continuité et la sécurité des soins, du 1er janvier au 30 juin 2020 inclus, à recourir de façon transitoire aux heures supplémentaires au-delà du plafond fixé par ce même article pour les personnels relevant des corps d'aides-soignants, d'infirmiers en soins généraux et spécialisés, d'infirmiers anesthésistes, de masseurs-kinésithérapeutes et de manipulateurs d'électroradiologie médicale de la fonction publique hospitalière. ". Le syndicat CGT de l'hôpital Beaujon AP-HP demande que soit ordonnée la suspension de l'exécution de cette décision en application des dispositions, citées au point 1, de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

Sur la compétence du Conseil d'Etat :

3. L'article R. 311-1 du code de justice administrative dispose que : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : / (..) / 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale (...) ". Le ministre des solidarités et de la santé soutient que le Conseil d'Etat ne serait pas compétent pour ordonner la suspension de l'exécution de la décision en litige, faute que celle-ci revête, selon lui, un caractère réglementaire dans la mesure où elle se bornerait à ouvrir aux différents établissements relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) la faculté de recourir au déplafonnement des heures supplémentaires qu'elle autorise. Toutefois, cette décision étant de nature à influer directement sur l'organisation du service public hospitalier au sein de l'AP-HP, elle doit être regardée comme ayant, de ce fait, le caractère d'un acte réglementaire émanant d'un ministre dont le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort.

Sur l'urgence :

4. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés statue et non pas à celle où la décision dont la suspension est demandée a été prise.

5. Si le syndicat requérant fait valoir les effets sur les conditions de travail des personnels hospitaliers concernés qu'est susceptible d'avoir la décision de déplafonnement des heures supplémentaires en litige et l'urgence qu'il y aurait, de ce fait, à en suspendre l'exécution, ces effets doivent être mis en balance avec l'intérêt public qui s'attache à la continuité et au bon fonctionnement du service public hospitalier dans le ressort de l'AP-HP. Il ressort de cette comparaison qu'à la date de la présente ordonnance, dans le contexte de crise sanitaire résultant de l'épidémie de Covid-19, la suspension demandée ne peut être prononcée.

6. Il résulte de ce qui précède que la requête du syndicat requérant doit, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre en défense, être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête du syndicat CGT de l'Hôpital Beaujon AP-HP est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat CGT de l'Hôpital Beaujon AP-HP.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 26 mai. 2020, n° 439209
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Origine de la décision
Date de la décision : 26/05/2020
Date de l'import : 02/06/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 439209
Numéro NOR : CETATEXT000041929793 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-05-26;439209 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award