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20/03/2020 | FRANCE | N°424550

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 20 mars 2020, 424550


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 27 septembre 2018 et le 28 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme Teréga demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 2.2 de la délibération n° 2018-069 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 22 mars 2018 portant décision d'introduction d'un terme tarifaire stockage dans le tarif d'utilisation des réseaux de transport de GRTgaz et TIGF ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décis

ion implicite de rejet, du 29 juillet 2018, résultant du silence gardé par la CRE sur s...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 27 septembre 2018 et le 28 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société anonyme Teréga demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe 2.2 de la délibération n° 2018-069 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 22 mars 2018 portant décision d'introduction d'un terme tarifaire stockage dans le tarif d'utilisation des réseaux de transport de GRTgaz et TIGF ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet, du 29 juillet 2018, résultant du silence gardé par la CRE sur sa demande de retrait du paragraphe 2.2 de cette délibération ;

3°) d'enjoindre à la CRE de prendre, dans un délai de deux mois, des dispositions relatives au calcul des recettes prévisionnelles des opérateurs de stockage de gaz naturel pour l'année 2018 qui ne prennent plus en compte les recettes perçues par ces opérateurs entre le 1er janvier et le 31 mars 2018 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat (Commission de régulation de l'énergie) la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- le code de l'énergie ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 452-1 du code de l'énergie dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement : " Les tarifs d'utilisation des réseaux de transport, les conditions commerciales d'utilisation de ces réseaux, ainsi que les tarifs des prestations annexes réalisées par les gestionnaires de ces réseaux ou par les opérateurs des infrastructures de stockage mentionnées à l'article L. 421-3-1, sont établis de manière transparente et non discriminatoire afin de couvrir l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires des réseaux de transport et les opérateurs des infrastructures de stockage mentionnées au même article L. 421-3-1, dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'opérateurs efficaces. Ces coûts tiennent compte des caractéristiques du service rendu et des coûts liés à ce service, y compris des obligations fixées par la loi et les règlements ainsi que des coûts résultant de l'exécution des missions de service public et des contrats mentionnés au I de l'article L. 121-46. / (...) Les tarifs d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel sont recouvrés par les gestionnaires de ces réseaux. Les gestionnaires de réseaux de transport reversent aux opérateurs de stockage souterrain de gaz naturel mentionnés à l'article L. 421-3-1 une part du montant recouvré selon des modalités fixées par la Commission de régulation de l'énergie. (...) ". Aux termes de l'article L. 452-2 du même code dans sa rédaction issue de la même loi : " Les méthodes utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel, les tarifs d'utilisation des réseaux de distribution de gaz naturel et les tarifs d'utilisation des installations de gaz naturel liquéfié sont fixées par la Commission de régulation de l'énergie. Les gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution de gaz naturel, les gestionnaires d'installations de gaz naturel liquéfié et les opérateurs des installations de stockage mentionnées à l'article L. 421-3-1 adressent à la Commission de régulation de l'énergie, à sa demande, les éléments, notamment comptables et financiers, nécessaires lui permettant de délibérer sur les évolutions des tarifs d'utilisation des réseaux de gaz naturel ou des installations de gaz naturel liquéfié ". Aux termes de l'article L. 421-5-1 issu de la même loi : " Les capacités des infrastructures de stockage mentionnées à l'article L. 421-3-1 sont souscrites à l'issue d'enchères publiques. / Les modalités de ces enchères sont fixées par la Commission de régulation de l'énergie sur proposition des opérateurs de stockage (...) ". Aux termes du III de l'article 12 de la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, les nouvelles dispositions issues de cette loi sont entrées en vigueur le 1er janvier 2018.

2. En application des dispositions précitées, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a adopté, le 22 mars 2018, d'une part la délibération n° 2018-068 qui fixe notamment, pour l'année civile 2018, le revenu autorisé de chacun des opérateurs de stockage et, d'autre part, la délibération n° 2018-069 portant décision d'introduction d'un terme tarifaire stockage dans le tarif d'utilisation des réseaux de transport de GRTgaz et TIGF. La société Teréga demande l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe 2.2 de cette seconde délibération, relatif au calcul des recettes prévisionnelles directement perçues par les opérateurs de stockage de gaz naturel au titre de l'année 2018. Ce paragraphe 2.2 prévoit que pour déterminer le montant de ces recettes prévisionnelles, la CRE retient à la fois les recettes perçues par les opérateurs de stockage au cours des trois premiers mois de l'année 2018 et les recettes perçues par les opérateurs au titre des capacités de stockage et des services additionnels au cours des neuf derniers mois de l'année 2018 qui prennent en compte les recettes prévisionnelles liées à la mise aux enchères des capacités de stockage de gaz à compter du 1er avril 2018.

Sur la légalité externe de la délibération attaquée :

3. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 452-3 du code de l'énergie : " La Commission de régulation de l'énergie délibère sur les évolutions tarifaires ainsi que sur celles des prestations annexes réalisées exclusivement par les gestionnaires de ces réseaux ou de ces installations avec, le cas échéant, les modifications de niveau et de structure des tarifs qu'elle estime justifiées au vu notamment de l'analyse de la comptabilité des opérateurs et de l'évolution prévisible des charges de fonctionnement et d'investissement. (....) Dans ses délibérations, la Commission de régulation de l'énergie prend en compte les orientations de politique énergétique indiquées par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie. Elle informe régulièrement les ministres lors de la phase d'élaboration de ces tarifs. Elle procède, selon des modalités qu'elle détermine, à la consultation des acteurs du marché de l'énergie. (...) ".

4. Il ressort des pièces du dossier qu'avant d'adopter la délibération du 22 mars 2018, la Commission de régulation de l'énergie a procédé, du 21 décembre 2017 au 23 janvier 2018, à une consultation publique suivie d'auditions avec les opérateurs de stockage et leurs actionnaires. Le document soumis à cette consultation indiquait que : " Le projet de loi mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement (...) prévoit en son article 12 que le tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz naturel comprend : / (...) le tarif et les conditions commerciales d'accès des tiers aux stockages souterrains de gaz naturel de Storengy, TIGF et Géométhane, dit " tarif ATS " sur lequel porte la présente consultation en vue d'une mise en oeuvre au 1er avril 2018 ". Il indiquait aussi que : " La CRE envisage, à ce stade, de définir un nouveau terme tarifaire dans le tarif ATRT6 qui permettra de recouvrir le montant de la compensation auprès des expéditeurs présents sur les réseaux de transport de GRTgaz et TIGF. Ce terme tarifaire sera introduit dans le tarif ATRT6 à l'occasion d'une délibération complémentaire à la délibération relative à la mise à jour au 1er avril 2018 du tarif de transport (...) ". Les termes de ce document indiquaient de manière claire que la consultation organisée par la CRE portait, pour une période commençant au 1er avril 2018, sur les modalités permanentes du nouveau régime de rémunération des opérateurs de stockage de gaz naturel. Ce faisant, la CRE, qui n'était pas tenue d'exposer en détail la méthode qu'elle comptait appliquer au cours de la première année d'application de ce nouveau régime, avec la période transitoire allant du 1er janvier au 31 mars 2018, a satisfait aux obligations de consultation des acteurs du marché, prévues par le code de l'énergie.

Sur la légalité interne de la délibération attaquée :

5. En premier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 33 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel : " 1. Pour l'organisation de l'accès aux installations de stockage et au stockage en conduite, lorsque la fourniture d'un accès efficace au réseau aux fins de l'approvisionnement de clients l'exige pour des raisons techniques et/ou économiques, de même que pour l'organisation de l'accès aux services auxiliaires, les États membres peuvent opter pour l'une ou l'autre des formules visées aux paragraphes 3 et 4. Ces formules sont mises en oeuvre conformément à des critères objectifs, transparents et non discriminatoires (...) ". Contrairement à ce que soutient la société Teréga, les règles de calcul de la compensation fixées au paragraphe 2.2 de la délibération attaquée fixent des critères objectifs et transparents qui sont identiques pour tous les opérateurs de stockage souterrains du gaz naturel. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par ce paragraphe, des objectifs de la directive et du droit de l'Union européenne ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, il ressort des travaux parlementaires préalables à l'adoption de l'article 12 de la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement, dont sont issues les dispositions citées au point 1, que l'objectif poursuivi par le législateur était de mettre en place rapidement un nouveau modèle de régulation tarifaire permettant la couverture des coûts supportés par les opérateurs des infrastructures de stockage souterrain du gaz naturel par des recettes tirées de la commercialisation des capacités aux enchères et, pour le surplus, par une compensation financée par le tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz. Il résulte du III de cet article 12 que le législateur a décidé que le nouveau régime de rémunération des opérateurs de stockage de gaz devait entrer en vigueur dès le 1er janvier 2018.

7. Il ressort des pièces du dossier que la CRE, par sa délibération n° 2018-068 du 22 mars 2018 qui n'a pas été contestée par la société Teréga, a fixé le revenu autorisé de chacun des opérateurs de stockage du gaz naturel pour l'ensemble de l'année civile 2018. En fixant la date d'entrée en vigueur du nouveau tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz au 1er avril 2018 et en prenant en compte, pour le calcul de la compensation à verser aux opérateurs de gaz au titre de l'ensemble de l'année civile 2018, les recettes perçues par ces opérateurs au cours de la période transitoire allant du 1er janvier au 31 mars 2018, la CRE a entendu mettre en oeuvre le nouveau régime de rémunération des opérateurs à compter du 1er janvier 2018, conformément à la volonté du législateur, tout en tenant compte, du fait du délai incompressible nécessaire pour organiser le nouveau mécanisme d'enchères et effectuer la transition entre les deux régimes de rémunération des opérateurs, des revenus effectivement perçus par les opérateurs sous l'empire de l'ancien régime au cours de la période transitoire allant du 1er janvier au 31 mars 2018. En procédant ainsi, pour l'année 2018, la CRE n'a ni méconnu la loi du 30 décembre 2017 et ses conditions d'application dans le temps, ni porté atteinte aux principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité des actes administratifs.

8. En troisième lieu, si la société Teréga affirme que la méthode de calcul choisie par la CRE des recettes prévisionnelles directement perçues par les opérateurs de stockage au titre de l'année 2018 entraînerait pour elle, par rapport à une autre méthode qu'elle suggère, une perte de recettes d'environ 5,3 millions d'euros et, dans le même temps, un gain financier pour ses deux concurrents de 49,1 millions d'euros, la méthode exposée au paragraphe 2.2 de la délibération attaquée s'applique de façon identique à tous les opérateurs de stockage. Par suite, le moyen tiré de la rupture d'égalité entre opérateurs de stockage souterrain de gaz naturel ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Teréga n'est pas fondée à demander l'annulation du paragraphe 2.2 de la délibération du 22 mars 2018 portant décision d'introduction d'un terme tarifaire stockage dans le tarif d'utilisation des réseaux de transport de GRTgaz et TIGF. Elle n'est, par suite, pas davantage fondée à demander à ce qu'il soit enjoint à la CRE de prendre des dispositions relatives au calcul des recettes prévisionnelles des opérateurs de stockage de gaz naturel pour l'année 2018 qui ne prendraient plus en compte les recettes perçues par ces opérateurs entre le 1er janvier et le 31 mars 2018.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Teréga est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Teréga et à la Commission de régulation de l'énergie.

Copie en sera adressée à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 424550
Date de la décision : 20/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2020, n° 424550
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Aurélien Caron
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:424550.20200320
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