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18/03/2020 | FRANCE | N°425400

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 18 mars 2020, 425400


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé à la commission départementale d'aide sociale de la Somme d'annuler l'opposition à tiers détenteur d'un montant de 13 617,64 euros émise auprès de sa banque le 1er juillet 2014 par le payeur départemental de la Somme pour le recouvrement d'un indu de revenu minimum d'insertion pour la période du 1er février 2004 au 31 décembre 2007. Par une décision du 28 janvier 2016, la commission départementale d'aide sociale de la Somme a rejeté cette demande.

Par une décision n° 160224 du 20 février 2018, la Commission cent

rale d'aide sociale a, sur l'appel de M. A..., annulé cette décision et l'opp...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé à la commission départementale d'aide sociale de la Somme d'annuler l'opposition à tiers détenteur d'un montant de 13 617,64 euros émise auprès de sa banque le 1er juillet 2014 par le payeur départemental de la Somme pour le recouvrement d'un indu de revenu minimum d'insertion pour la période du 1er février 2004 au 31 décembre 2007. Par une décision du 28 janvier 2016, la commission départementale d'aide sociale de la Somme a rejeté cette demande.

Par une décision n° 160224 du 20 février 2018, la Commission centrale d'aide sociale a, sur l'appel de M. A..., annulé cette décision et l'opposition à tiers détenteur attaquée, enjoint au département de la Somme de restituer à M. A... la somme de 4 445,17 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 novembre 2018 et 14 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision de la Commission centrale d'aide sociale du 20 février 2018 en tant qu'elle rejette le surplus de ses conclusions ;

2°) de mettre à la charge du département de la Somme la somme de 3 000 euros à verser à son avocat, la société à responsabilité limitée Cabinet Briard, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au cabinet Briard, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un rapport d'enquête de la caisse d'allocations familiales de la Somme du 5 mai 2008, qui relevait que M. A... avait vécu en concubinage du 21 décembre 2001 au 30 septembre 2007, alors qu'il déclarait aux organismes sociaux être célibataire, cette caisse lui a réclamé, le 12 juin 2008, le remboursement d'un indu de revenu minimum d'insertion de 11 425,92 euros, pour la période du 1er mai 2005 au 30 septembre 2007 et, le 8 juillet 2008, le remboursement d'un indu de revenu minimum d'insertion de 3 536,77 euros, pour la période de février 2004 à avril 2005. Une partie de cette créance a été recouvrée par la caisse d'allocations familiales par retenues sur les prestations servies ultérieurement à M. A..., jusqu'à ce que celui-ci perde la qualité d'allocataire de cette caisse. Le président du conseil départemental a alors émis deux titres exécutoires, le 20 mai 2011, pour un montant total restant dû de 13 220,64 euros. Pour le recouvrement de cette créance, augmentée des frais d'acte, le comptable public a pris deux commandements de payer d'un montant de 13 617,64 euros, le 16 août 2011 puis le 26 septembre 2013. Le 1er juillet 2014, le comptable public a émis une opposition à tiers détenteur auprès de la banque de l'intéressé, du même montant de 13 617,64 euros. M. A... a contesté cette opposition à tiers détenteur devant la commission départementale d'aide sociale de la Somme, qui a rejeté sa demande. Le 20 février 2018, la Commission centrale d'aide sociale a, sur appel de M. A..., annulé la décision de la commission départementale d'aide sociale et l'opposition à tiers détenteur, en enjoignant au département de la Somme de restituer la somme de 4 445,17 euros à M. A.... Ce dernier se pourvoit en cassation contre la décision de la Commission centrale d'aide sociale en tant que, rejetant le surplus de ses conclusions, elle n'ordonne pas au département la restitution de la totalité de la somme qu'il a recouvrée. Le département de la Somme forme un pourvoi incident contre la même décision.

Sur le pourvoi principal :

En ce qui concerne le principe et l'étendue de l'obligation de payer :

2. Par sa décision du 20 février 2018, la Commission centrale d'aide sociale a jugé que la condamnation pécuniaire prononcée par le tribunal correctionnel d'Amiens par un jugement du 29 juin 2011 concernait uniquement la fraude aux allocations versées en matière de logement et que le règlement de cette dette, attesté par le courrier de l'organisme payeur en date du 21 septembre 2011, laissait entière la dette relative à l'indu d'allocations de revenu minimum d'insertion, dont le créancier était le département de la Somme et non la caisse d'allocations familiales. Contrairement à ce que soutient M. A..., elle a ainsi répondu aux moyens par lesquels il faisait valoir, pour contester le principe et l'étendue de l'obligation de payer, d'une part, que l'autorité de la chose jugée par le tribunal correctionnel le 29 juin 2011 s'opposait à ce que le département poursuivît le recouvrement d'autres sommes dues à raison des mêmes faits que celles au versement desquelles il avait été condamné par ce jugement et, d'autre part, que les retenues opérées sur ses prestations avaient été mal calculées et que la caisse d'allocations familiales avait indiqué le 21 septembre 2011 que ses dettes étaient soldées.

En ce qui concerne le bien-fondé de la créance du département :

3. Aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) 1° En l'absence de contestation, le titre de recettes individuel ou collectif émis par la collectivité territoriale ou l'établissement public local permet l'exécution forcée d'office contre le débiteur. / Toutefois, l'introduction devant une juridiction de l'instance ayant pour objet de contester le bien-fondé d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local suspend la force exécutoire du titre. / L'introduction de l'instance ayant pour objet de contester la régularité formelle d'un acte de poursuite suspend l'effet de cet acte. / 2° L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite. / L'action dont dispose le débiteur de la créance visée à l'alinéa précédent pour contester directement devant le juge de l'exécution mentionné aux articles L. 213-5 et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire la régularité formelle de l'acte de poursuite diligenté à son encontre se prescrit dans le délai de deux mois suivant la notification de l'acte contesté (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions qu'un acte de poursuite diligenté pour la récupération par le département d'un indu de revenu minimum d'insertion peut être contesté, d'une part, devant le juge de l'exécution, pour les contestations de la régularité formelle de cet acte et, d'autre part, devant le juge compétent pour connaître du contentieux du bien-fondé de la créance, pour les contestations portant sur l'obligation de payer, le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et l'exigibilité de la somme réclamée. En outre, en vertu du 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, le bien-fondé de la créance peut être contesté dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite.

5. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". La méconnaissance de l'obligation d'informer le débiteur sur les voies et les délais de recours, prévue par l'article R. 421-5 du code de justice administrative, ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie, est de nature à faire obstacle à ce que le délai de forclusion, prévu par le 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, lui soit opposable.

6. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. Dans une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par les textes applicables, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. Sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, ce délai ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre exécutoire ou, à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance.

7. En l'espèce, si M. A... soutient, sans être contredit, n'avoir jamais reçu les titres exécutoires émis à son encontre le 20 mai 2011, il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du courrier adressé par son avocat, le 22 septembre 2011, à la paierie départementale, qu'il a eu connaissance d'un commandement de payer émis sur le fondement de ces titres exécutoires, daté du 16 août 2011. Il ne pouvait donc contester le bien-fondé de la créance du département de la Somme, en application du 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, au-delà d'un délai raisonnable d'un an courant à compter de cette date. Il s'ensuit que M. A... n'était plus recevable, lorsqu'il a saisi la commission départementale d'aide sociale de la Somme le 21 août 2014, à contester le bien-fondé de la créance du département faisant l'objet de l'opposition à tiers détenteur litigieuse.

8. A l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de la Commission centrale d'aide sociale en tant qu'elle n'enjoint pas au département de lui restituer la totalité de la somme récupérée par ce dernier, M. A... soutient que la commission a dénaturé les pièces du dossier sur le montant des allocations de revenu de minimum d'insertion qu'il avait perçues et donc de l'indu qu'elle jugeait fondé. Toutefois, M. A... n'était plus recevable, ainsi qu'il a été dit au point 7, à contester devant la Commission centrale d'aide sociale le bien-fondé de la créance du département et cette question, qui touche au bien-fondé de la créance, ne pouvait plus être débattue. Ce motif, qui est d'ordre public, doit être substitué aux motifs erronés retenus par la Commission centrale d'aide sociale dans sa décision, dont il justifie légalement le dispositif sur ce point et le moyen soulevé par M. A... ne peut qu'être écarté. En outre, il suit de là que M. A... ne peut pas non plus soutenir utilement que la Commission centrale d'aide sociale aurait entaché sa décision d'irrégularité en ne répondant pas aux moyens par lesquels il faisait valoir que la créance était prescrite, qui ne se rapportaient qu'au bien-fondé de la créance du département.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la Commission centrale d'aide sociale du 20 février 2018 en tant qu'elle rejette le surplus de ses conclusions.

Sur le pourvoi incident :

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'en jugeant que l'indu faisant l'objet de l'opposition à tiers détenteur en litige était partiellement infondé, alors que la contestation du bien-fondé de la créance était tardive, la Commission centrale d'aide sociale a commis une erreur de droit. Il en résulte que le département de la Somme est fondé à demander, ainsi qu'il le fait par son pourvoi incident, tel qu'il en a étendu la portée dans le dernier état de ses écritures et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il soulève, l'annulation de la décision de la Commission centrale d'aide sociale en tant que, par son article 2, elle lui enjoint de restituer à M. A... la somme de 4 445,17 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la décision de la Commission centrale d'aide sociale du 20 février 2018 doit être annulée en tant qu'elle enjoint au département de la Somme de restituer à M. A... la somme de 4 445,17 euros.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans cette mesure.

13. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. A... n'est plus recevable à contester le bien-fondé de la créance du département de la Somme. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à ce département de lui restituer les sommes recouvrées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du département de la Somme, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 2 de la décision de la Commission centrale d'aide sociale du 20 février 2018, qui enjoint au département de la Somme de restituer à M. A... la somme de 4 445,17 euros, est annulé.

Article 2 : Le pourvoi de M. A... et ses conclusions aux fins d'injonction présentées devant la Commission centrale d'aide sociale mentionnées à l'article 1er sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au département de la Somme.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 425400
Date de la décision : 18/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 18 mar. 2020, n° 425400
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thibaut Félix
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette
Avocat(s) : CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:425400.20200318
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