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13/03/2020 | FRANCE | N°430371

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 13 mars 2020, 430371


Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 8 avril 2019, enregistré le 24 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal de grande instance de Caen a sursis à statuer et saisi le Conseil d'Etat de la question de la légalité de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d'égalité, en tant qu'il réserve l'attribution rétroactive de l'allocation de veuvage qu'il institue aux demandes déposées dans l'année suivant le décès du conjoint.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, no

tamment son Préambule ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice admini...

Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 8 avril 2019, enregistré le 24 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal de grande instance de Caen a sursis à statuer et saisi le Conseil d'Etat de la question de la légalité de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d'égalité, en tant qu'il réserve l'attribution rétroactive de l'allocation de veuvage qu'il institue aux demandes déposées dans l'année suivant le décès du conjoint.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 8 avril 2019, le tribunal de grande instance de Caen, saisi d'un litige opposant Mme A... à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie, a sursis à statuer jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la question de la légalité de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale au regard du principe d'égalité, en tant qu'il réserve l'attribution rétroactive de l'allocation de veuvage qu'il institue aux demandes déposées dans l'année suivant le décès du conjoint.

2. Aux termes de l'article L. 356-1 du code de la sécurité sociale : " L'assurance veuvage garantit au conjoint survivant de l'assuré qui a été affilié, à titre obligatoire ou volontaire, à l'assurance vieillesse du régime général, au cours d'une période de référence et pendant une durée fixées par décret ou qui bénéficiait, en application de l'article L. 311-5, des prestations en nature de l'assurance maladie du régime général, une allocation de veuvage lorsque, résidant en France, il satisfait à des conditions d'âge fixées par décret. L'allocation de veuvage n'est due que si le total de cette allocation et des ressources personnelles du conjoint survivant n'excède pas un plafond fixé par décret ; lorsque le total de l'allocation et des ressources personnelles du conjoint survivant dépasse ce plafond, l'allocation est réduite à due concurrence. / Un décret détermine (...) le délai dans lequel le conjoint survivant demande l'attribution de cette prestation postérieurement à la date du décès de l'assuré. (...) ". Aux termes de l'article L. 356-2 du même code : " L'allocation de veuvage a un caractère temporaire (...) ". L'article L. 356-3 du même code dispose que : " L'allocation de veuvage n'est pas due ou cesse d'être due lorsque le conjoint survivant : / 1° Se remarie, conclut un pacte civil de solidarité ou vit en concubinage ; / 2° Ne satisfait plus aux conditions prévues par l'article L. 356-1 ". Enfin, l'article L. 356-5 du même code prévoit que : " Les modalités d'application du présent chapitre sont fixées par décret ". Il résulte de ces dispositions que l'allocation de veuvage est destinée à permettre au conjoint survivant d'un assuré social de faire face aux difficultés financières créées par ce décès, pendant la période qui le suit, compte tenu du caractère limité de ses ressources et de son isolement, lorsqu'il n'a pas atteint l'âge lui permettant de prétendre à un avantage de vieillesse. Il en résulte également qu'eu égard à cet objet, le législateur a entendu que l'allocation de veuvage ait un caractère temporaire. A ce titre, l'article D. 356-5 du code de la sécurité sociale prévoit que l'allocation de veuvage est " versée mensuellement et à terme échu pendant une période maximum de deux ans à compter du premier jour du mois au cours duquel s'est produit le décès " et que " toutefois, lorsque, à la date du décès, le conjoint survivant avait atteint l'âge de cinquante ans, la période prévue à l'alinéa précédent est prolongée jusqu'à ce qu'il ait cinquante-cinq ans ".

3. L'article D. 356-6 du même code, pris pour l'application de l'article L.356-1 cité ci-dessus, prévoit que : " Lorsque la demande d'allocation est présentée dans le délai d'un an qui suit le décès du conjoint, le versement de l'allocation prend effet au premier jour du mois au cours duquel s'est produit le décès ", sous réserve que le conjoint survivant en ait rempli à la date du décès les conditions d'attribution, et qu'en revanche, " lorsque la demande d'allocation est présentée après l'expiration de la période d'un an suivant le décès du conjoint, le versement de l'allocation prend effet au premier jour du mois au cours duquel ladite demande a été déposée ".

4. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

5. Par les dispositions litigieuses citées au point 3, le pouvoir réglementaire a choisi, eu égard à l'objet de l'allocation de veuvage, de prendre en compte les difficultés créées par le décès de l'assuré pour le conjoint survivant en prévoyant, par l'attribution rétroactive de l'allocation, que le délai mis à déposer la demande d'allocation de veuvage ne soit pas opposé au conjoint survivant qui aurait rempli les conditions pour en bénéficier dès la date du décès. Toutefois, eu égard, à l'objet particulier de cette allocation, destinée comme il a été dit au point 2 à permettre au conjoint survivant d'un assuré social de faire face temporairement aux difficultés financières créées par ce décès auxquelles son âge, ses ressources et son isolement l'exposent, à la durée de deux ans après le décès que le pouvoir réglementaire a lui-même fixée pour le versement de cette allocation aux conjoints survivants âgés de moins de cinquante ans à la date du décès de l'assuré social, enfin, aux effets sur les montants servis, au cours de cette période de deux ans, de l'entière rétroactivité ou de l'absence totale de rétroactivité du versement de l'allocation, il ne pouvait, sans instituer une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation, réserver le bénéfice de la rétroactivité qu'il instituait aux demandes déposées la première année suivant le décès.

6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de déclarer que les dispositions de l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale sont entachées d'illégalité en tant qu'elles réservent le bénéfice du versement rétroactif de l'allocation de veuvage qu'elles instituent aux demandes présentées dans le délai d'un an qui suit le décès du conjoint.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est déclaré que l'article D. 356-6 du code de la sécurité sociale est entaché d'illégalité en tant qu'il réserve le bénéfice du versement rétroactif de l'allocation de veuvage qu'il institue aux demandes présentées dans le délai d'un an qui suit le décès du conjoint.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie, au Premier ministre et au président du tribunal judiciaire de Caen.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 430371
Date de la décision : 13/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - CONSTITUTION ET PRINCIPES DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE - PRINCIPE D'ÉGALITÉ - MÉCONNAISSANCE - DIFFÉRENCE DANS LES CONDITIONS DE VERSEMENT DE L'ALLOCATION DE VEUVAGE SELON QUE LA DEMANDE A ÉTÉ PRÉSENTÉE AU COURS DE LA PREMIÈRE OU DE LA DEUXIÈME ANNÉE SUIVANT LE DÉCÈS DU CONJOINT.

01-04-005 Article D. 356-5 du code de la sécurité sociale (CSS) prévoyant que lorsque la demande d'allocation [de veuvage] est présentée dans le délai d'un an qui suit le décès du conjoint, le versement de l'allocation prend effet au premier jour du mois au cours duquel s'est produit le décès, sous réserve que le conjoint survivant en ait rempli à la date du décès les conditions d'attribution, et qu'en revanche, lorsque la demande d'allocation est présentée après l'expiration de la période d'un an suivant le décès du conjoint, le versement de l'allocation prend effet au premier jour du mois au cours duquel ladite demande a été déposée.,,,Par ces dispositions, le pouvoir réglementaire a choisi, eu égard à l'objet de l'allocation de veuvage, de prendre en compte les difficultés créées par le décès de l'assuré pour le conjoint survivant en prévoyant, par l'attribution rétroactive de l'allocation, que le délai mis à déposer la demande d'allocation de veuvage ne soit pas opposé au conjoint survivant qui aurait rempli les conditions pour en bénéficier dès la date du décès. Toutefois, eu égard à l'objet particulier de cette allocation, destinée à permettre au conjoint survivant d'un assuré social de faire face temporairement aux difficultés financières créées par ce décès auxquelles son âge, ses ressources et son isolement l'exposent, à la durée de deux ans après le décès que le pouvoir réglementaire a lui-même fixée pour le versement de cette allocation aux conjoints survivants âgés de moins de cinquante ans à la date du décès de l'assuré social, enfin, aux effets sur les montants servis, au cours de cette période de deux ans, de l'entière rétroactivité ou de l'absence totale de rétroactivité du versement de l'allocation, il ne pouvait, sans instituer une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation, réserver le bénéfice de la rétroactivité qu'il instituait aux demandes déposées la première année suivant le décès.

SÉCURITÉ SOCIALE - PRESTATIONS - ALLOCATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE DIVERSES - ALLOCATION DE VEUVAGE (ART - L - 356-1 ET S - DU CSS) - DIFFÉRENCE DANS LES CONDITIONS DE VERSEMENT SELON QUE LA DEMANDE A ÉTÉ PRÉSENTÉE AU COURS DE LA PREMIÈRE OU DE LA DEUXIÈME ANNÉE SUIVANT LE DÉCÈS DU CONJOINT - DIFFÉRENCE DE TRAITEMENT MANIFESTEMENT DISPROPORTIONNÉE.

62-04-07 Article D. 356-5 du code de la sécurité sociale (CSS) prévoyant que lorsque la demande d'allocation [de veuvage] est présentée dans le délai d'un an qui suit le décès du conjoint, le versement de l'allocation prend effet au premier jour du mois au cours duquel s'est produit le décès, sous réserve que le conjoint survivant en ait rempli à la date du décès les conditions d'attribution, et qu'en revanche, lorsque la demande d'allocation est présentée après l'expiration de la période d'un an suivant le décès du conjoint, le versement de l'allocation prend effet au premier jour du mois au cours duquel ladite demande a été déposée.,,,Par ces dispositions, le pouvoir réglementaire a choisi, eu égard à l'objet de l'allocation de veuvage, de prendre en compte les difficultés créées par le décès de l'assuré pour le conjoint survivant en prévoyant, par l'attribution rétroactive de l'allocation, que le délai mis à déposer la demande d'allocation de veuvage ne soit pas opposé au conjoint survivant qui aurait rempli les conditions pour en bénéficier dès la date du décès. Toutefois, eu égard à l'objet particulier de cette allocation, destinée à permettre au conjoint survivant d'un assuré social de faire face temporairement aux difficultés financières créées par ce décès auxquelles son âge, ses ressources et son isolement l'exposent, à la durée de deux ans après le décès que le pouvoir réglementaire a lui-même fixée pour le versement de cette allocation aux conjoints survivants âgés de moins de cinquante ans à la date du décès de l'assuré social, enfin, aux effets sur les montants servis, au cours de cette période de deux ans, de l'entière rétroactivité ou de l'absence totale de rétroactivité du versement de l'allocation, il ne pouvait, sans instituer une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation, réserver le bénéfice de la rétroactivité qu'il instituait aux demandes déposées la première année suivant le décès.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 mar. 2020, n° 430371
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
Rapporteur public ?: M. Vincent Villette

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:430371.20200313
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