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24/02/2020 | FRANCE | N°426867

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 24 février 2020, 426867


Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 13 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Nîmes a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Nîmes de la question de la légalité de :

- l'arrêté du 23 juin 2008 du ministre de l'agriculture et de la pêche, du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique relatif à l'extension d'un accord interprofessionnel triennal pour la période de 2008 à 2010 et de cinq avenants à cet accord conclus dans le cadre d'Inter-Rhône ;>
- l'arrêté du 21 mars 2011 du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, ...

Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 13 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Nîmes a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Nîmes de la question de la légalité de :

- l'arrêté du 23 juin 2008 du ministre de l'agriculture et de la pêche, du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique relatif à l'extension d'un accord interprofessionnel triennal pour la période de 2008 à 2010 et de cinq avenants à cet accord conclus dans le cadre d'Inter-Rhône ;

- l'arrêté du 21 mars 2011 du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat relatif à l'extension de l'accord interprofessionnel triennal conclus dans le cadre d'Inter-Rhône pour les années 2011, 2012, 2013 et de l'avenant à cet accord relatif à la mise en réserve de l'AOC " Ventoux " de la récolte 2010 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2013 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, du ministre de l'économie et des finances et du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget relatif à l'extension de l'accord interprofessionnel pour les années 2014, 2015, 2016 conclu dans le cadre d'Inter-Rhône relatif aux règles d'organisation du marché des vins d'AOC de la " Vallée du Rhône ".

Par une ordonnance n° 1804030 du 7 janvier 2019, le président du tribunal administratif de Nîmes a transmis cette question au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 juin et 8 novembre 2019, l'association Inter-Rhône conclut à ce que le Conseil d'Etat déclare légaux les arrêtés litigieux et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge du GFA du Domaine des Goubins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le GFA du Domaine des Goubins ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 11 octobre 2019, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut à ce que le Conseil d'Etat déclare légaux ces mêmes arrêtés. Il soutient que les moyens soulevés par le GFA du Domaine des Goubins ne sont pas fondés.

Par un mémoire et deux autres mémoires, enregistrés les 26 octobre, 8 et 28 novembre 2019, le GFA du Domaine des Goubins demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer illégaux les arrêtés litigieux ;

2°) de mettre à la charge de l'association Inter-Rhône la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'association Inter-Rhône ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'association Inter-Rhône, organisation interprofessionnelle agricole reconnue sur le fondement de l'article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime, a demandé au tribunal de grande instance de Nîmes de condamner le GFA du Domaine des Goubins à lui verser une somme de 125 783,73 euros au titre des cotisations qu'elle lui réclame sur le fondement d'accords interprofessionnels triennaux conclus les 4 avril 2008, 5 novembre 2010 et 8 novembre 2013, qui ont fait l'objet d'une extension. Par un jugement du 13 décembre 2018, le tribunal de grande d'instance de Nîmes a sursis à statuer et a transmis au tribunal administratif la question de la légalité de arrêtés des 23 juin 2008, 21 mars 2011 et 27 décembre 2013 procédant à l'extension de ces accords interprofessionnels triennaux. Par une ordonnance du 7 janvier 2019, le président du tribunal administratif de Nîmes a transmis cette question au Conseil d'Etat en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.

2. En premier lieu, en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire. Il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte. Ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire.

3. Si, avant de surseoir à statuer, le tribunal de grande instance de Nîmes a relevé dans la partie de son jugement consacrée à l'exposé du litige que le GFA du Domaine des Goubins contestait devant lui la légalité des arrêtés au motif que les accords n'avaient pas été adoptés à l'unanimité des familles professionnelles, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime, il n'a énoncé ni dans les motifs de ce jugement, ni dans son dispositif, les moyens qui lui paraissaient justifier le renvoi de la question préjudicielle en appréciation de validité. Il s'ensuit que l'association Inter-Rhône et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal de grande instance de Nîmes aurait limité à ce seul moyen la portée de la question qu'il a entendu soumettre à la juridiction administrative.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime : " L'extension de tels accords est subordonnée à l'adoption de leurs dispositions par les professions représentées dans l'organisation interprofessionnelle, par une décision unanime (...) ". S'il résulte de ces dispositions qu'un accord interprofessionnel, pour être étendu, doit avoir été adopté par une décision unanime des familles professionnelles représentées au sein de l'interprofession, il n'est, en revanche, pas nécessaire que la décision de chaque famille professionnelle ait été elle-même prise à l'unanimité des membres qui la composent.

5. Aux termes de l'article 7 des statuts de l'association Inter-Rhône, deux familles sont représentées au sein de cette interprofession, celle des producteurs et celle des négociants.

6. D'une part, il ressort des procès-verbaux des assemblées générales des 4 avril 2008 et 8 novembre 2013 que la décision d'adopter les accords interprofessionnels triennaux pour les périodes de 2008 à 2010 et de 2014 à 2016, qui prévoient des cotisations volontaires obligatoires, ont été prises à l'unanimité des familles professionnelles. D'autre part, en ce qui concerne l'accord interprofessionnel triennal pour la période de 2011 à 2013, le procès-verbal de l'assemblée générale du 5 novembre 2010 mentionne, à son point 4, que les cotisations volontaires obligatoires sont adoptées à l'unanimité et, à son point 7, que le projet de révision de l'accord interprofessionnel est adopté dans son principe et " que pour être mis en oeuvre, il doit être validé par les services de l'administration centrale ". Il ressort ainsi des pièces du dossier que la condition d'unanimité rappelée au point 4 ci-dessus était remplie.

7. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime que, pour pouvoir être étendus pour une durée déterminée, les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle doivent prévoir " des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ".

8. L'article 6 de chacun des accords litigieux stipule que les cotisations qu'ils prévoient sont destinées à doter l'association Inter-Rhône des moyens financiers nécessaires à la conduite des missions identifiées dans ses statuts. Il résulte de l'article 4 des statuts de l'association Inter-Rhône que ces missions concernent en particulier la connaissance de l'offre et de la demande, la mise en oeuvre, sous le contrôle de l'Etat, des règles de mise en marché, de prix et de conditions de paiement, l'étude et la promotion de toutes mesures d'ordre scientifique et technique susceptible d'améliorer la qualité des produits et l'organisation, tant en France qu'à l'étranger, de la promotion des vins d'appellation d'origine protégée. Si le GFA du Domaine des Goubins fait valoir que les actions de l'association Inter-Rhône seraient mises en oeuvre de façon discriminatoire, notamment pour ce qui concerne les actions de promotion, ces allégations ne sont en tout état de cause assorties d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé. Eu égard à la nature des actions énumérées ci-dessus, les accords litigieux répondent aux exigences des dispositions de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime.

9. En quatrième lieu, les arrêtés du 23 juin 2008 et du 21 mars 2011, en ce qu'ils étendent les stipulations relatives au montant de la cotisation prévue par les accords du 4 avril 2008 et du 5 novembre 2010, respectivement à compter du 1er janvier 2008 et à compter du 1er janvier 2011, ont été pris avant la fin de l'année concernée. Par suite, ils ne sont entachés d'aucune rétroactivité illégale.

10. En cinquième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à : / a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction ; / b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements ; / c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ; / d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ; / e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats ".

11. D'une part, les allégations selon lesquelles les accords professionnels étendus par les arrêtés litigieux permettraient la mise en oeuvre de pratiques portant atteinte à la concurrence ne sont assorties d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. D'autre part, la circonstance que le montant des cotisations à verser à Inter-Rhône soit déterminé en fonction du volume produit n'est pas en elle-même de nature à fausser le jeu de la concurrence. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les arrêtés litigieux méconnaîtraient l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ne peut en tout état de cause qu'être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que le GFA du Domaine des Goubins n'est pas fondé à soutenir que les arrêtés des 23 juin 2008, 21 mars 2011 et 27 décembre 2013, en tant qu'ils procèdent à l'extension des accords interprofessionnels triennaux conclus les 4 avril 2008, 5 novembre 2010 et 8 novembre 2013, sont entachés d'illégalité.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du GFA du Domaine des Goubins le versement à l'association Inter-Rhône d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'association Inter-Rhône.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité des arrêtés des 23 juin 2008, 21 mars 2011 et 27 décembre 2013, en tant qu'ils procèdent à l'extension des accords interprofessionnels triennaux conclus les 4 avril 2008, 5 novembre 2010 et 8 novembre 2013, soulevée par le GFA du Domaine des Goubins devant le tribunal de grande instance de Nîmes, n'est pas fondée.

Article 2 : Le GFA du Domaine des Goubins versera à l'association Inter-Rhône une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par le GFA du Domaine des Goubins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au groupement foncier agricole des Goubins, à l'association Inter-Rhône et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Copie en sera adressée au tribunal de grande instance de Nîmes.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 426867
Date de la décision : 24/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 24 fév. 2020, n° 426867
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sylvain Monteillet
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:426867.20200224
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