La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/02/2020 | FRANCE | N°421441

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 12 février 2020, 421441


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2007 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1310974 du 5 janvier 2016, le tribunal administratif de Paris a prononcé la réduction, en droits et en pénalités, des impositions résultant de la taxation de la somme de 452 782 euros correspondant à la fraction de la plus-value réalisée par M. B... le 29 mai 2007, dans la

catégorie des revenus de capitaux mobiliers, et a rejeté le surplus des...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2007 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1310974 du 5 janvier 2016, le tribunal administratif de Paris a prononcé la réduction, en droits et en pénalités, des impositions résultant de la taxation de la somme de 452 782 euros correspondant à la fraction de la plus-value réalisée par M. B... le 29 mai 2007, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 16PA00930 du 12 avril 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 juin et 12 septembre 2018 et le 15 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Briard, avocat de M. A... B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 31 janvier 2020, présentée par M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a créé, le 11 avril 2007, la société civile Vacquerie, qui a pour objet la constitution et la gestion d'un portefeuille de valeurs mobilières et qui a opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés. Le 3 mai 2007, il a apporté 67 824 titres de la société Compagnie de l'Audon à la société Vacquerie. La plus-value alors réalisée, d'un montant total de 1 293 664 euros, a été placée automatiquement sous le régime du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du code général des impôts. Le 29 mai 2007, la société Compagnie de l'Audon a procédé au rachat de ses titres auprès de la société Vacquerie, pour un prix identique à leur valeur d'apport. A l'issue d'un contrôle sur pièces du dossier fiscal de M. B..., l'administration fiscale a considéré que l'apport de titres de la société Compagnie de l'Audon à la société Vacquerie, préalablement au rachat de ses propres titres par la société Compagnie de l'Audon, avait eu pour seul objet d'éviter l'imposition immédiate que M. B... aurait dû supporter si, à défaut d'interposition de la société Vacquerie, la société Compagnie de l'Audon lui avait directement racheté ses titres. L'administration fiscale a, pour ce motif, remis en cause le bénéfice du sursis d'imposition en mettant en oeuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Elle a, par ailleurs, estimé que le gain correspondant devait être taxé à concurrence de 65 % de son montant total dans la catégorie des traitements et salaires et, pour le surplus, dans celle des revenus de capitaux mobiliers. M. B... a, en conséquence de cette rectification, été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2007, assorties de la majoration de 80 % pour abus de droit prévue au b) de l'article 1729 du code général des impôts. Par un jugement en date du 5 janvier 2016, le tribunal administratif de Paris a estimé que la fraction de la plus-value imposée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers devait être taxée selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières et a en conséquence prononcé la décharge partielle des impositions mises à la charge de M. B.... Ce dernier se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 avril 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre ce jugement.

Sur la charge de la preuve :

2. L'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable au litige dispose que : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de saisine du comité de l'abus de droit fiscal et lorsque l'administration se conforme à l'avis rendu par ce dernier, le contribuable supporte la charge de la preuve.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la proposition de rectification en date du 23 décembre 2010, le comité de l'abus de droit fiscal a confirmé, dans son avis du 3 mai 2012, le bien-fondé de la mise en oeuvre, par l'administration fiscale, de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales précité. Dès lors que l'administration s'est conformée à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé qu'il incombait au requérant d'établir que les opérations litigieuses n'étaient pas constitutives d'un abus de droit.

Sur l'existence d'un abus de droit :

4. Il résulte des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, citées au point 2 ci-dessus, que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

5. En vertu du premier alinéa de l'article 150-0 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige, les plus-values réalisées dans le cadre d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés bénéficient d'un sursis d'imposition au titre de l'année de l'échange des titres. Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 de laquelle elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités. Lorsque l'administration entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération qui s'est traduite par un sursis d'imposition au motif que les actes passés par le contribuable ne lui sont pas opposables, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. En effet, une telle opération, dont l'intérêt fiscal est de différer l'imposition, entre dans le champ d'application de cet article dès lors qu'elle a nécessairement pour effet de minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Compagnie de l'Audon (CDA) a été constituée par trois dirigeants du groupe Wendel. Son capital a ensuite été ouvert aux principaux cadres dirigeants du groupe. Le 3 avril 2007, la société CDA a acquis la société Solfur auprès de la société Wendel Investissement. Le 3 mai 2007, l'assemblée générale de la société CDA a autorisé ses associés à apporter leurs titres dans des sociétés civiles dont ils détenaient les parts. Elle a décidé en même temps une réduction de capital, non motivée par des pertes, par voie de rachat de ses titres. M. B... a apporté le même jour les titres de la société CDA qu'il détenait à la société civile Vacquerie. La plus-value d'apport qu'il a alors réalisée a été placée automatiquement sous le régime du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du code général des impôts. Dès le 29 mai 2007, la société CDA a procédé au rachat de ses propres titres auprès de la société Vacquerie pour un prix identique à leur valeur d'apport, sans que cette opération ne donne donc lieu à aucune plus-value pour la société civile Vacquerie. Cette dernière a reçu en échange des parts de Sicav monétaire que M. B... a utilisées pour nantir un prêt lui permettant d'acquérir des titres de la société Wendel Investissement.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la succession des opérations rappelées au point précédent - notamment l'intervention presque simultanée de l'apport des titres CDA par M. B... à la société Vacquerie, qu'il avait créée et qu'il contrôlait, dont la gestion patrimoniale de titres était le seul objet et qui avait opté pour l'imposition à l'impôt sur les sociétés, et du rachat par la société CDA de ses propres titres - a permis au requérant d'entrer artificiellement dans les prévisions de l'article 150-0-B du code général des impôts en évitant l'imposition à laquelle il aurait été soumis si la société CDA lui avait directement racheté ses titres et que l'interposition de la société civile Vacquerie et l'apport des titres de la société CDA à cette société doivent être regardés comme ayant poursuivi un but exclusivement fiscal et comme nécessairement contraires à l'objectif poursuivi par le législateur. Dans ces conditions, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en retenant l'existence d'un abus de droit.

Sur la catégorie d'imposition du gain en litige :

8. L'article 79 du code général des impôts dispose que : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 82 du même code : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. (...) ". Aux termes de l'article 150-0 A du même code, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières (...) sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 20 000 euros pour l'imposition des revenus de l'année 2007.".

9. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le gain réalisé par le requérant devait être imposé dans la catégorie des traitements et salaires, la cour s'est bornée à relever, d'une part, la volonté du groupe Wendel d'intéresser ses cadres dirigeants aux résultats de la société Wendel Investissement et, d'autre part, l'absence de risque de l'investissement réalisé par le requérant. En jugeant ainsi que le gain litigieux devait être regardé comme un complément de salaire, sans caractériser l'existence d'un avantage financier consenti à M. B... par la société Wendel Investissement à raison de ses fonctions de cadre dirigeant dont procèderait ce gain, la cour a commis une erreur de droit.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 12 avril 2018 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 421441
Date de la décision : 12/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 fév. 2020, n° 421441
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Christelle Thomas
Rapporteur public ?: Mme Anne Iljic
Avocat(s) : CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:421441.20200212
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award