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13/11/2019 | FRANCE | N°416546

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 13 novembre 2019, 416546


Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1700043 du 12 décembre 2017, enregistré le 14 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de la Polynésie française a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 341-3 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. A... B....

Par cette requête et deux autres mémoires, enregistrés les 31 janvier, 21 septembre et 24 novembre 2017 au greffe du tribunal administratif de la Polynésie française, et par quatre nouveaux mémoires, enregi

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Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1700043 du 12 décembre 2017, enregistré le 14 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de la Polynésie française a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 341-3 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. A... B....

Par cette requête et deux autres mémoires, enregistrés les 31 janvier, 21 septembre et 24 novembre 2017 au greffe du tribunal administratif de la Polynésie française, et par quatre nouveaux mémoires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 12 février et 4 octobre 2018 et 22 mai et 19 juillet 2019, M. B... demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses conclusions :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 novembre 2016 par laquelle le haut-commissaire de la République en Polynésie française a rejeté sa demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant l'application de l'ordonnance n° 2012-1222 du 2 novembre 2012 relative à la protection juridique des majeurs à la Polynésie française ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de prendre ces mesures sous astreinte de 50 000 F CFP par jour de retard à compter d'un délai de deux mois suivant la décision à intervenir ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 26 124 809 F CFP en réparation du préjudice subi du fait de l'absence d'application en Polynésie française de l'ordonnance du 2 novembre 2012 précitée ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 21 et 74 ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code des relations du public et de l'administration ;

- la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 ;

- l'ordonnance n° 2012-1222 du 2 novembre 2012 ;

- le décret n° 74-930 du 6 novembre 1974 ;

- le décret n° 2008-1553 du 31 décembre 2008 ;

- le décret n° 2011-396 du 1er août 2011 ;

- le décret n° 2015-1864 du 30 décembre 2015 ;

- l'arrêté du 15 janvier 1990 pris pour l'application de l'article 12 du décret n°74-930 du 6 novembre 1974 modifié portant organisation de la tutelle d'Etat et de la curatelle d'Etat prévue à l'article 433 du code civil ;

- l'arrêté du 15 juin 1999 fixant la rémunération maximale allouée par l'Etat pour l'exercice de la tutelle d'Etat et de la curatelle d'Etat à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les îles Wallis et Futuna ;

- les arrêtés du 6 janvier 2012 et du 29 décembre 2014 relatifs à la rémunération des personnes physiques exerçant l'activité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs à titre individuel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Colin-Stoclet, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1 Par un courrier du 19 septembre 2016, M. B..., se prévalant de sa qualité de gérant de tutelle, a demandé au haut-commissaire de la République en Polynésie française de prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre de l'ordonnance du 2 novembre 2012 portant extension et adaptation à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie des dispositions du droit civil et du droit de l'action sociale relatives à la protection juridique des majeurs. Par une lettre du 2 novembre 2016, le haut-commissaire de la République a indiqué à l'intéressé que, faute que les textes d'application pour la Polynésie française aient été pris, l'ordonnance du 2 novembre 2012 n'était pas applicable en Polynésie française et a précisé avoir saisi le ministre de l'outre-mer de cette situation. Par un jugement du 12 décembre 2017, le tribunal administratif de la Polynésie française a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 341-3 du code de justice administrative, la requête par laquelle M. B... lui a demandé d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 novembre 2016 du haut-commissaire de la République et de condamner l'Etat au versement d'une indemnité en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande est adressée à une administration incompétente, cette dernière la transmet à l'administration compétente et en avise l'intéressé. " Aux termes de l'article L. 114-3 du même code : " Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'administration initialement saisie. ". Ces dispositions sont applicables en Polynésie française en vertu de l'article L. 552-3 du même code.

3. S'il est soutenu que la lettre du haut-commissaire de la République en date du 2 novembre 2016 ne saurait faire grief dès lors qu'elle se borne à informer M. B... que les dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 2012 ne sont pas applicables en Polynésie française et que sa demande tendant à ce que les dispositions réglementaires propres à en assurer l'application soient prises avait été transmise au ministre compétent, cette lettre doit être regardée comme informant le requérant du refus de l'Etat de faire droit à la demande qu'il avait adressée au haut-commissaire de la République tendant à ce que soient prises les mesures réglementaires nécessaires à l'application en Polynésie française des dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 2012. M. B... est recevable à déférer au juge de l'excès de pouvoir cette décision qui lui fait grief.

4. En second lieu, conformément aux articles 7 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'état et à la capacité des personnes relèvent de la compétence de l'Etat et sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière. L'article L. 471-5 du code de l'action sociale et des familles, issu de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, a prévu que, lorsqu'elle n'est pas intégralement assurée par la personne protégée, le mandataire judiciaire reçoit, au titre de la mesure de protection qu'il exerce conformément à ce qui a été ordonnée par l'autorité judiciaire, une rémunération complémentaire versée par la puissance publique. L'ordonnance du 2 novembre 2012 portant extension et adaptation à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie des dispositions du droit civil et du droit de l'action sociale relatives à la protection juridique des majeurs a notamment ajouté, à l'article L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles, un 4° qui dispose, que, lorsque le coût des mesures exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs n'est pas intégralement supporté par la personne protégée, " les mesures exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs bénéficient d'un financement de l'Etat, déterminé en prenant notamment en compte la charge de travail résultant de l'exécution des mesures de protection. ".

5. D'une part, l'application des dispositions des articles L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles est manifestement impossible sans que le pouvoir réglementaire précise, notamment, les éléments permettant de déterminer la rémunération du mandataire judiciaire à la protection des majeurs exerçant son activité à titre individuel et les conditions dans lesquelles il est susceptible de percevoir une rémunération complémentaire versée par l'Etat. Si le pouvoir réglementaire a fixé, par l'article R. 472-8 du code de l'action sociale et des familles, les modalités d'application des dispositions précitées, s'agissant des mandataires judiciaires exerçant leurs fonctions à titre individuel en métropole, cet article n'est pas applicable en Polynésie française. Aucun autre texte de nature réglementaire ne permet l'application, en Polynésie française, des articles L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles.

6. D'autre part, en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l'exécution des lois " et " exerce le pouvoir réglementaire " sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par l'article 13 de la Constitution. L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il incombe au Premier ministre d'édicter les mesures réglementaires nécessaires pour permettre l'application en Polynésie française des dispositions des articles L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles. S'il est soutenu que l'élaboration de ces dispositions présente un certain degré de complexité, le délai raisonnable au terme duquel ces mesures auraient dû être prises est, en tout état de cause, dépassé. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que la décision refusant d'édicter ces mesures réglementaires est entachée d'illégalité et doit être annulée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, " lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

9. L'annulation de la décision attaquée refusant de prendre les mesures nécessaires à l'application de l'article L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles implique nécessairement l'édiction de ces mesures. Il y a donc lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner au Premier ministre d'édicter ces mesures dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Le refus illégal de prendre les mesures réglementaires qu'implique nécessairement l'application de l'article L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, il appartient à la victime d'établir la réalité de son préjudice et le lien direct de causalité qui le relie à l'illégalité commise.

11. D'une part, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". Contrairement à ce que soutient la ministre en défense, il résulte de l'instruction que, par son courrier du 19 septembre 2016, M. B... a demandé au haut-commissaire de la République en Polynésie française de lui verser la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre au titre de la mise en oeuvre des dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 2012 précitée. Ainsi qu'il a été dit au point 3, la réponse que lui a adressée le haut-commissaire le 2 novembre 2016 doit être regardée comme informant le requérant du refus de l'Etat de faire droit à sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation doivent être regardées comme recevables.

12. D'autre part, en l'absence de mesures réglementaires d'application de l'article L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles, la rémunération des mandataires judiciaires à la protection des majeurs en Polynésie française est régie, notamment, par l'article 12 du décret du 6 novembre 1974 portant organisation de la tutelle d'Etat et de la curatelle d'Etat et par l'arrêté du 15 janvier 1990 pris pour son application ainsi que par l'arrêté du 15 juin 2009 fixant la rémunération maximale allouée par l'Etat pour l'exercice de la tutelle d'Etat et de la curatelle d'Etat à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les îles Wallis et Futuna. Ces textes, en application desquels a été calculée la rémunération perçue par M. B... au cours des années en cause, prévoient notamment que les dépenses résultant de l'application du décret du 6 novembre 1974 précité ne sont à la charge de l'Etat que lorsque les ressources annuelles du majeur protégé sont inférieures au montant annuel du minimum vieillesse, la rémunération mensuelle maximale allouée par l'Etat aux organismes exerçant la tutelle d'Etat et la curatelle d'Etat, notamment, en Polynésie française, dans les conditions fixées par le décret du 6 novembre 1974 précité, ne pouvant en outre excéder 132,4 euros par mesure en cause. Ces dispositions instituent ainsi un mode de financement public des mesures de protection moins favorable que celui qui résulterait de l'application des articles L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles, qui prévoient l'intervention d'un financement public dans tous les cas où le coût des mesures exercées par les mandataires judiciaires n'est pas intégralement supporté par la personne protégée, sans préjudice des mesures d'adaptation qui seraient justifiées par la situation particulière de la Polynésie française.

13. Il résulte de ce qui précède que M. B..., qui exerce ses fonctions de mandataire judiciaire à la protection des majeurs en Polynésie française, peut prétendre à l'indemnisation de son préjudice pour les années 2016, 2017 et 2018, qui résulte de la différence, pour chaque mesure de protection dont il a assuré la charge, entre, d'une part, le coût de cette mesure, calculée conformément à la nouvelle réglementation, dans la limite du plafond mensuel de 132,4 euros fixé par l'arrêté du 15 juin 2009 précité, et, d'autre part, la somme qu'il a effectivement perçue auprès du majeur en cause, le cas échéant complétée de la somme versée par l'Etat ou d'autres personnes publiques, en application des textes rappelés au point précédent.

14. Si M. B... chiffre son préjudice, correspondant à la différence entre les sommes qu'il a effectivement perçues des majeurs dont il a assuré la protection en 2016, 2017 et 2018 et la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre sur cette même période si les mesures d'application de la nouvelle réglementation avaient été en vigueur, à 26 124 809 F CFP, il n'est toutefois pas possible, en l'état de l'instruction, de fixer le montant total des sommes qui lui sont effectivement dues, faute, notamment, d'informations quant aux sommes qui lui ont été versées, le cas échéant, par l'Etat ou d'autres personnes publiques en application des textes rappelés au point 12. Dès lors, il y a lieu, dans ces conditions, de renvoyer M. B... devant les services de l'Etat compétents en Polynésie française afin qu'il soit procédé à la liquidation de la somme à laquelle il a droit en application de la présente décision, déterminée selon les paramètres précisés au point précédent de la présente décision.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au requérant, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du haut-commissaire de la République en Polynésie française du 2 novembre 2016, en tant qu'elle traduit le refus du pouvoir réglementaire d'édicter les mesures qu'implique nécessairement l'application des articles L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles en Polynésie française, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires qu'implique nécessairement l'application des articles L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles en Polynésie française, conformément aux motifs de la présente décision, dans un délai de six mois à compter de la notification de celle-ci.

Article 3 : M. B... est renvoyé devant les services de l'Etat compétents en Polynésie française pour qu'il soit procédé à la liquidation qui lui est due en application de la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la garde des sceaux, ministre de la justice, à la ministre des outre-mer, à la ministre des solidarités et de la santé et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416546
Date de la décision : 13/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 nov. 2019, n° 416546
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP COLIN-STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:416546.20191113
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