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08/11/2019 | FRANCE | N°424148

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 08 novembre 2019, 424148


Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés le 13 septembre 2018 et les 22 janvier et 25 février et 21 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoire Glaxosmithkline France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite rejetant son recours gracieux tendant au retrait des arrêtés du 28 juin 2018 par lesquels la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont inscrit la spécialité Trelegy sur la liste

des médicaments remboursables aux assurés sociaux mentionnée à l'article L. 1...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés le 13 septembre 2018 et les 22 janvier et 25 février et 21 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoire Glaxosmithkline France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite rejetant son recours gracieux tendant au retrait des arrêtés du 28 juin 2018 par lesquels la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont inscrit la spécialité Trelegy sur la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, en tant qu'ils assortissent cette inscription d'une condition relative à la qualification des prescripteurs ;

2°) d'enjoindre aux ministres de modifier ces listes en supprimant la condition dont a été assortie l'inscription de la spécialité Trelegy ;

3°) d'enjoindre aux ministres de communiquer les motifs de l'adoption de cette condition ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. En vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des mêmes ministres. L'inscription sur ces listes, qui est prononcée après avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, peut, au vu des exigences de qualité et de sécurité des soins mettant en oeuvre la spécialité pharmaceutique en cause, énoncées le cas échéant par cette même commission, " être assortie de conditions concernant la qualification ou la compétence des prescripteurs, l'environnement technique ou l'organisation de ces soins et d'un dispositif de suivi des patients traités ".

2. Il ressort des pièces du dossier que la société Laboratoire Glaxosmithkline France a sollicité l'inscription sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique de la spécialité Trelegy Ellipta 92, 55 et 22 microgrammes (fluticasone, umeclidinium, vilanterol), poudre pour inhalation en récipient unidose, indiquée dans le traitement continu de la bronchopneumopathie chronique obstructive modérée à sévère chez les adultes traités de façon non satisfaisante par l'association d'un corticostéroïde inhalé et d'un bêta-2 agoniste de longue durée d'action. Par deux arrêtés du 28 juin 2018, la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont procédé à cette inscription pour le traitement continu de la forme sévère de la pathologie, en subordonnant la prise en charge de la spécialité à une prescription initiale par un médecin pneumologue. La société Laboratoire Glaxosmithkline France, dont la demande de retrait a prorogé le délai de recours contentieux contre ces arrêtés, doit être regardée comme en demandant l'annulation en tant qu'ils ont prévu cette condition.

3. L'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance maladie prévoit que : " Les dispositions suivantes sont applicables lorsqu'un médicament n'est couvert par le système national d'assurance-maladie qu'après que les autorités compétentes ont décidé d'inclure le médicament en question dans une liste positive de médicaments couverts par le système national d'assurance-maladie. / (...) / 2) Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations des experts sur lesquels les décisions s'appuient. En outre, le demandeur est informé des moyens de recours dont il dispose selon la législation en vigueur, ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés. / 3) Les États membres publient dans une publication appropriée et communiquent à la Commission, avant la date visée à l'article 11 paragraphe 1, les critères sur lesquels les autorités compétentes doivent se fonder pour décider d'inscrire ou non des médicaments sur les listes. / (...) / 5) Toute décision d'exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (...) ".

4. Par son arrêt C-271/14 et C-273/14 du 16 avril 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a retenu que, afin de garantir l'effet utile de la directive du Conseil du 21 décembre 1988, il était nécessaire " de permettre aux intéressés de s'assurer que l'inscription administrative de médicaments répond à des critères objectifs et qu'aucune discrimination n'est opérée entre les médicaments nationaux et ceux provenant d'autres États membres " et a dit pour droit que l'article 6 de la directive doit être interprété en ce sens que l'obligation de motivation qu'il prévoit à ses points 3 et 5 est applicable à une décision qui, bien que n'ayant pas pour effet d'exclure un médicament de la prise en charge par l'assurance maladie, restreint toutefois les conditions de son remboursement. Il en va nécessairement de même, en application du point 2 de ce même article, d'une décision ayant pour effet de subordonner à des conditions restrictives l'inscription d'un médicament sur la liste des médicaments remboursables par l'assurance maladie, cette interprétation s'imposant avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, conformément aux principes dégagés par la Cour de justice des Communautés européenne dans son arrêt Srl Cilfit et Lanificio di Gavardo SpA en date du 6 octobre 1982 (C-283/81, point 16).

5. Pour assurer la transposition des dispositions du paragraphe 2 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE, l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale dispose que : " Les décisions portant refus d'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique (...) sont communiquées à l'entreprise avec la mention des motifs de ces décisions ainsi que des voies et délais de recours qui leur sont applicables ". Il résulte de ces dispositions, qui doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive, que l'obligation de motivation qu'elles prévoient est applicable aux décisions qui restreignent la prise en charge d'un médicament par l'assurance maladie en assortissant son inscription sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique de conditions tenant à la qualification des prescripteurs.

6. Les arrêtés du 28 juin 2018 ont subordonné la prise en charge de la spécialité Trelegy Ellipta à une prescription initiale par un médecin pneumologue, en se référant à l'avis rendu le 4 avril 2018 par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, qui avait été précédemment communiqué à l'entreprise requérante. Cependant, cet avis n'indique pas les motifs pour lesquels la commission recommande que la prise en charge soit subordonnée à cette condition. Par suite, la société Laboratoire Glaxosmithkline France est fondée à soutenir que la décision d'assortir l'inscription de la spécialité Trelegy Ellipta sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique d'une condition de prescription initiale par un médecin pneumologue n'est pas motivée et à demander, pour ce motif, l'annulation des arrêtés du 28 juin 2018 en tant qu'ils prévoient cette condition. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens de la requête.

7. L'exécution de la présente décision n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Laboratoire Glaxosmithkline France ne peuvent qu'être rejetées.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Laboratoire Glaxosmithkline France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 28 juin 2018 sont annulés en tant qu'ils assortissent l'inscription de la spécialité Trelegy Ellipta sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique d'une condition relative à leur prescription initiale par un médecin pneumologue.

Article 2 : L'Etat versera à la société Laboratoire Glaxosmithkline France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à société Laboratoire Glaxosmithkline France et à la ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée à la Haute Autorité de santé.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 08 nov. 2019, n° 424148
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Arnaud Skzryerbak
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Date de la décision : 08/11/2019
Date de l'import : 02/06/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 424148
Numéro NOR : CETATEXT000039357573 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2019-11-08;424148 ?
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