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08/11/2019 | FRANCE | N°423971

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 08 novembre 2019, 423971


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 423971, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 7 septembre 2018 et 19 avril 2019, la société Chiesi SAS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 4 juillet 2018 modifiant les arrêtés du 22 juin 2018 en tant qu'ils portent inscription de la spécialité pharmaceutique Trimbow, dans sa présentation correspondant à 120 dos

es, d'une part, sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 423971, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 7 septembre 2018 et 19 avril 2019, la société Chiesi SAS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 4 juillet 2018 modifiant les arrêtés du 22 juin 2018 en tant qu'ils portent inscription de la spécialité pharmaceutique Trimbow, dans sa présentation correspondant à 120 doses, d'une part, sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et, d'autre part, sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités et divers services publics ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 424067, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre 2018 et 19 avril 2019, la société Chiesi SAS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 juillet 2018 modifiant la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités et divers services publiques en tant que cet arrêté subordonne la prise en charge de Trimbow, dans sa présentation de 60 doses, à une prescription initiale par un médecin spécialiste pneumologue ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. En vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des mêmes ministres. L'inscription sur ces listes, qui est prononcée après avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, peut, au vu des exigences de qualité et de sécurité des soins mettant en œuvre la spécialité pharmaceutique en cause, énoncées le cas échéant par cette même commission, " être assortie de conditions concernant la qualification ou la compétence des prescripteurs, l'environnement technique ou l'organisation de ces soins et d'un dispositif de suivi des patients traités ".

2. Par deux arrêtés du 22 juin 2018, la ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont inscrit la spécialité Trimbow, 87, 5 et 9 microgrammes (béclométasone, formotéraol, glycopyrronium), solution pour inhalation en flacon pressurisé, dans sa présentation en cent vingt doses, pour l'indication correspondant au traitement continu de la bronchopneumopathie chronique obstructive sévère chez les adultes non traités de façon satisfaisante par l'association d'un corticostéroïde inhalé et d'un bêta-2 agoniste de longue durée d'action, sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux mentionnée à l'article L. 162-17 du code la sécurité sociale, d'une part, et sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités publiques mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, d'autre part. Par deux arrêtés du 4 juillet 2018, ces ministres ont modifié ces arrêtés pour subordonner la prise en charge de la spécialité à une prescription initiale par un médecin pneumologue. Enfin, par un arrêté du 5 juillet 2018, les mêmes ministres ont inscrit cette spécialité, pour la même indication, dans sa présentation en soixante doses, sur la liste des spécialités pharmaceutiques agrées à l'usage des collectivités publiques mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, en subordonnant sa prise en charge à la même condition de prescription initiale. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, la société Chiesi, qui exploite cette spécialité, demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, des arrêtés du 4 juillet 2018 et, d'autre part, de l'arrêté du 5 juillet 2018 en tant qu'il en subordonne la prise en charge à une prescription initiale par un médecin pneumologue.

3. L'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie prévoit que : " Les dispositions suivantes sont applicables lorsqu'un médicament n'est couvert par le système national d'assurance-maladie qu'après que les autorités compétentes ont décidé d'inclure le médicament en question dans une liste positive de médicaments couverts par le système national d'assurance-maladie. / (...) / 2) Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations des experts sur lesquels les décisions s'appuient. En outre, le demandeur est informé des moyens de recours dont il dispose selon la législation en vigueur, ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés. / 3) Les États membres publient dans une publication appropriée et communiquent à la Commission, avant la date visée à l'article 11 paragraphe 1, les critères sur lesquels les autorités compétentes doivent se fonder pour décider d'inscrire ou non des médicaments sur les listes. / (...) / 5) Toute décision d'exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (...) ".

4. Par son arrêt C-271/14 et C-273/14 du 16 avril 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a retenu que, afin de garantir l'effet utile de la directive du Conseil du 21 décembre 1988, il était nécessaire " de permettre aux intéressés de s'assurer que l'inscription administrative de médicaments répond à des critères objectifs et qu'aucune discrimination n'est opérée entre les médicaments nationaux et ceux provenant d'autres États membres " et a dit pour droit que l'article 6 de la directive doit être interprété en ce sens que l'obligation de motivation qu'il prévoit à ses points 3 et 5 est applicable à une décision qui, bien que n'ayant pas pour effet d'exclure un médicament de la prise en charge par l'assurance maladie, restreint toutefois les conditions de son remboursement. Il en va nécessairement de même, en application du point 2 de ce même article, d'une décision ayant pour effet de subordonner à des conditions restrictives l'inscription d'un médicament sur la liste des médicaments remboursables par l'assurance maladie, cette interprétation s'imposant avec une évidence telle qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, conformément aux principes dégagés par la Cour de justice des Communautés européenne dans son arrêt Srl Cilfit et Lanificio di Gavardo SpA en date du 6 octobre 1982 (C-283/81, point 16).

5. Pour assurer la transposition des dispositions des paragraphes 2 et 5 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE, l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale dispose que : " Les décisions portant refus d'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, refus de renouvellement de l'inscription, radiation de ces listes (...) sont communiquées à l'entreprise avec la mention des motifs de ces décisions ainsi que des voies et délais de recours qui leur sont applicables ". Il résulte de ces dispositions, qui doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive, que l'obligation de motivation qu'elles prévoient est applicable aux décisions qui restreignent la prise en charge d'un médicament par l'assurance maladie en assortissant son inscription sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique de conditions tenant à la qualification des prescripteurs.

6. Les arrêtés attaqués des 4 et 5 juillet 2018 ont subordonné la prise en charge de la spécialité Trimbow à une prescription initiale par un médecin pneumologue, en se référant à l'avis rendu le 21 mars 2018 par la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé, qui avait été précédemment communiqué à l'entreprise requérante. Cependant, cet avis n'indique pas les motifs pour lesquels la commission recommande que la prise en charge soit subordonnée à cette condition. Par suite, la société Chiesi est fondée à soutenir que la décision d'assortir l'inscription de la spécialité Trimbow sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique d'une condition de prescription initiale par un médecin pneumologue n'est pas motivée et à demander, pour ce motif, l'annulation des arrêtés du 4 juillet 2018, ainsi que celle de l'arrêté du 5 juillet 2018 en tant qu'il inscrit cette spécialité, dans sa présentation en soixante doses, sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités publiques mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, en subordonnant sa prise en charge à une telle condition. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens des requêtes.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Chiesi au titre dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'action et des comptes publics du 4 juillet 2018 et l'arrêté de ces ministres du 5 juillet 2018, en tant qu'il assortit l'inscription de la spécialité Trimbow, dans sa présentation en soixante doses, sur la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités publiques d'une condition relative à sa prescription initiale par un médecin pneumologue, sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société Chiesi une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Chiesi et à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 423971
Date de la décision : 08/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - QUESTIONS GÉNÉRALES - MOTIVATION - MOTIVATION OBLIGATOIRE - MOTIVATION OBLIGATOIRE EN VERTU D'UN TEXTE SPÉCIAL - INCLUSION - DÉCISIONS RESTREIGNANT LA PRISE EN CHARGE D'UN MÉDICAMENT PAR L'ASSURANCE MALADIE PAR DES CONDITIONS TENANT À LA QUALIFICATION DES PRESCRIPTEURS [RJ1].

01-03-01-02-01-02 Il résulte de l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale (CSS), qui doit être interprété conformément aux objectifs de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie dont il assure sur ce point la transposition, que l'obligation de motivation qu'il prévoit est applicable aux décisions qui restreignent la prise en charge d'un médicament par l'assurance maladie en assortissant son inscription sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du CSS et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique (CSP) de conditions tenant à la qualification des prescripteurs.

SANTÉ PUBLIQUE - PHARMACIE - PRODUITS PHARMACEUTIQUES - DÉCISIONS RESTREIGNANT LA PRISE EN CHARGE D'UN MÉDICAMENT PAR L'ASSURANCE MALADIE PAR DES CONDITIONS TENANT À LA QUALIFICATION DES PRESCRIPTEURS - OBLIGATION DE MOTIVATION - EXISTENCE [RJ1].

61-04-01-023 Il résulte de l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale (CSS), qui doit être interprété conformément aux objectifs de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie dont il assure sur ce point la transposition, que l'obligation de motivation qu'il prévoit est applicable aux décisions qui restreignent la prise en charge d'un médicament par l'assurance maladie en assortissant son inscription sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du CSS et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique (CSP) de conditions tenant à la qualification des prescripteurs.

SÉCURITÉ SOCIALE - PRESTATIONS - PRESTATIONS D'ASSURANCE MALADIE - DÉCISIONS RESTREIGNANT LA PRISE EN CHARGE D'UN MÉDICAMENT PAR L'ASSURANCE MALADIE PAR DES CONDITIONS TENANT À LA QUALIFICATION DES PRESCRIPTEURS - OBLIGATION DE MOTIVATION - EXISTENCE [RJ1].

62-04-01 Il résulte de l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale (CSS), qui doit être interprété conformément aux objectifs de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie dont il assure sur ce point la transposition, que l'obligation de motivation qu'il prévoit est applicable aux décisions qui restreignent la prise en charge d'un médicament par l'assurance maladie en assortissant son inscription sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du CSS et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique (CSP) de conditions tenant à la qualification des prescripteurs.


Références :

[RJ1]

Rappr. CJUE, 16 avril 2015, LFB Biomédicaments SA e.a., aff. C-271/14 et C-273/14 ;

CE, 19 juillet 2017, Société Astrazeneca, n° 399174, aux Tables sur un autre point.


Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2019, n° 423971
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Boussaroque
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Date de l'import : 21/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:423971.20191108
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