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20/02/2019 | FRANCE | N°419143

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 20 février 2019, 419143


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 décembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé de procéder à l'échange de son permis de conduire algérien contre un titre de conduite français et d'enjoindre au préfet de police de procéder à cet échange. Par un jugement n° 1605438 du 21 novembre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mars et 18 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Cons

eil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) ...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 décembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé de procéder à l'échange de son permis de conduire algérien contre un titre de conduite français et d'enjoindre au préfet de police de procéder à cet échange. Par un jugement n° 1605438 du 21 novembre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mars et 18 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la route ;

- l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M.B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B...a sollicité le 16 novembre 2015 l'échange de son permis de conduire algérien, délivré le 1er juin 1997 et renouvelé le 23 novembre 2014, contre un permis français. Par une décision du 10 décembre 2015, le préfet de police a refusé, sur le fondement du D du II de l'article 5 de l'arrêté ministériel du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen, de procéder à cet échange, au motif que l'intéressé n'avait pas apporté la preuve de l'établissement de sa résidence normale sur le territoire de l'Etat qui lui avait délivré le permis. M. B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cette décision et d'enjoindre au préfet de police de procéder à l'échange de son permis de conduire. Il demande l'annulation du jugement du 21 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 18 du code civil : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ". Aux termes de l'article 20 du même code : " L'enfant qui est français en vertu des dispositions du présent chapitre est réputé avoir été français dès sa naissance, même si l'existence des conditions requises par la loi pour l'attribution de la nationalité française n'est établie que postérieurement. / La nationalité de l'enfant qui a fait l'objet d'une adoption plénière est déterminée selon les distinctions établies aux articles 18 et 18-1,19-1,19-3 et 19-4 ci-dessus. / Toutefois, l'établissement de la qualité de Français postérieurement à la naissance ne porte pas atteinte à la validité des actes antérieurement passés par l'intéressé ni aux droits antérieurement acquis à des tiers sur le fondement de la nationalité apparente de l'enfant ".

3. Aux termes de l'article R. 222-3 du code de la route : " Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article D. 221-3. Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité routière, après avis du ministre de la justice et du ministre chargé des affaires étrangères. Au terme de ce délai, ce permis n'est plus reconnu et son titulaire perd tout droit de conduire un véhicule pour la conduite duquel le permis de conduire est exigé ". Aux termes du II de l'article 5 de l'arrêté du 12 janvier 2012 précité, dans sa rédaction applicable à la date de la décision litigieuse du préfet de police, le titulaire d'un permis de conduire délivré par un Etat n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen doit, pour obtenir l'échange de ce permis contre un permis français, notamment : " D. - Apporter la preuve de sa résidence normale au sens du quatrième alinéa de l'article R. 222-1 sur le territoire de l'Etat de délivrance, lors de celle-ci, en fournissant tout document approprié présentant des garanties d'authenticité. Les ressortissants étrangers qui possèdent uniquement la nationalité de l'Etat du permis détenu ne sont pas soumis à cette condition. / Entre autres documents permettant d'établir la réalité de cette résidence normale, il sera tenu compte, pour les Français, de la présentation d'un certificat d'inscription ou de radiation sur le registre des Français établis hors de France délivré par le consulat français territorialement compétent, ou, pour les ressortissants étrangers ne possédant pas la nationalité de l'Etat de délivrance, d'un certificat équivalent, délivré par les services consulaires compétents, rédigé en langue française ou accompagné d'une traduction officielle en français. / Pour les ressortissants français qui possèdent également la nationalité de l'Etat qui a délivré le permis de conduire détenu, la preuve de cette résidence normale, à défaut de pouvoir être apportée par les documents susmentionnés, sera établie par tout document suffisamment probant et présentant des garanties d'authenticité ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article R. 222-1 du code de la route, dans sa rédaction alors applicable : " On entend par "résidence normale" le lieu où une personne demeure habituellement, c'est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison d'attaches personnelles ou d'attaches professionnelles ".

4. Il résulte de ces dispositions que, lorsque le demandeur n'a, à la date d'obtention de son permis étranger, d'autre nationalité que celle de l'Etat de délivrance de ce permis, il est dispensé de faire la preuve de sa résidence normale dans cet Etat. La circonstance que l'intéressé se soit par la suite vu reconnaître la nationalité française est, même lorsqu'il est réputé français dès sa naissance, sans incidence sur l'application de cette règle de preuve.

5. Pour rejeter la demande dont il était saisi, le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que M.B..., dont la nationalité française a été reconnue par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 13 mars 2014 devait, en application des dispositions citées ci-dessus de l'article 20 du code civil, être réputé français dès sa naissance. Il en a déduit que la demande de l'intéressé devait être examinée au regard des règles posées pour les ressortissants français par les dispositions citées ci-dessus du D du II de l'article 5 de l'arrêté du 12 janvier 2012, ce qui lui imposait de justifier de sa résidence normale en Algérie à la date d'obtention du titre de conduite. Il résulte de ce qui précède que le tribunal a, ce faisant, entaché son jugement d'une erreur de droit qui en justifie l'annulation, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi.

6. Il y a lieu, par application, des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond.

7. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que c'est en méconnaissance des dispositions du D du II de l'article 5 de l'arrêté du 12 janvier 2012 que le préfet de police a rejeté la demande de M. B...au motif qu'il n'apportait pas la preuve de sa résidence normale en Algérie à la date de délivrance de son permis de conduire. Le requérant est, dès lors, fondé à demander l'annulation de la décision du 10 décembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé de procéder à l'échange de son permis de conduire algérien contre un titre de conduite français.

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Le ministre de l'intérieur n'ayant, en réponse à une mesure d'instruction mise en oeuvre par la 5ème chambre de la section du contentieux dans l'éventualité d'un règlement au fond du litige par le Conseil d'Etat, fait état d'aucun autre motif de nature à justifier le refus de procéder à l'échange sollicité, l'annulation de la décision attaquée implique nécessairement que le préfet de police procède à cet échange. Il y a lieu d'ordonner qu'il y soit procédé dans un délai d'un mois à compter de la notification au ministre de la présente décision.

9. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Levis, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, au titre de l'ensemble de la procédure, à verser à cette société.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : La décision du 10 décembre 2015 par laquelle le préfet de police a refusé de procéder à l'échange du permis de conduire algérien de M. B...contre un permis français est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de procéder à l'échange du permis de conduire algérien de M. B...contre un permis français dans un délai d'un mois.

Article 4 : L'Etat versera à la SCP Levis, avocat de M.B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police et à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 419143
Date de la décision : 20/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-04-01-04-01 POLICE. POLICE GÉNÉRALE. CIRCULATION ET STATIONNEMENT. PERMIS DE CONDUIRE. DÉLIVRANCE. - ECHANGE D'UN PERMIS DE CONDUIRE ÉTRANGER CONTRE UN PERMIS FRANÇAIS (ART. R. 222-3 DU CODE DE LA ROUTE) - CONDITIONS DE RECONNAISSANCE ET D'ÉCHANGE - DEMANDEUR N'AYANT, À LA DATE D'OBTENTION DU PERMIS ÉTRANGER, PAS D'AUTRE NATIONALITÉ QUE CELLE DE L'ETAT DE DÉLIVRANCE - CONSÉQUENCE - DISPENSE DE L'OBLIGATION DE PROUVER SA RÉSIDENCE NORMALE DANS CET ETAT - INCIDENCE DE LA RECONNAISSANCE POSTÉRIEURE DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE - ABSENCE [RJ1], Y COMPRIS LORSQUE L'INTÉRESSÉ EST RÉPUTÉ FRANÇAIS DÈS SA NAISSANCE.

49-04-01-04-01 Il résulte des dispositions des articles R. 222-1 et R. 222-3 du code de la route et de l'article 5 de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échanges des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen que lorsque le demandeur n'a, à la date d'obtention de son permis étranger, d'autre nationalité que celle de l'Etat de délivrance de ce permis, il est dispensé de faire la preuve de sa résidence normale dans cet Etat. La circonstance que l'intéressé se soit par la suite vu reconnaître la nationalité française est, même lorsqu'il est réputé français dès sa naissance, sans incidence sur l'application de cette règle de preuve.


Références :

[RJ1]

Rappr. CE, 8 février 2012,,, n° 350881, T. pp. 884-911.


Publications
Proposition de citation : CE, 20 fév. 2019, n° 419143
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Rousselle
Avocat(s) : SCP LEVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:419143.20190220
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