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26/12/2018 | FRANCE | N°422664

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 26 décembre 2018, 422664


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 juillet et 23 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes 190 et 210 des commentaires administratifs publiés le 3 juin 2015 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-20-30-10.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du

7 novembre 1958 ;

- la directive 90/434/CE du Conseil, du 23 juillet 1990 ;

- la directi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 juillet et 23 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes 190 et 210 des commentaires administratifs publiés le 3 juin 2015 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-20-30-10.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la directive 90/434/CE du Conseil, du 23 juillet 1990 ;

- la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 ;

- le règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'article 150-0 D du code général des impôts soumet les plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux réalisées à compter du 1er janvier 2013, auparavant imposées à un taux forfaitaire, à une imposition au barème de l'impôt sur le revenu, tout en prévoyant un dispositif d'abattement, de droit commun ou renforcé dans certaines situations, sur le montant des gains nets résultant de ces cessions, variable selon la durée de détention de ces valeurs. Le 1 quater de cet article institue un abattement renforcé de 85 % lorsque, notamment, la société émettrice des droits cédés satisfait à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur. Le b) du 2° du B du 1 quater de l'article 150-0 D prévoit que le respect de cette condition est apprécié à la date de clôture du dernier exercice précédant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits ou, à défaut d'exercice clos, à la date du premier exercice clos suivant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits. L'avant dernier alinéa de ce même 2° précise que lorsque la société émettrice des droits cédés est une société holding animatrice de groupe, le respect des conditions mentionnées par ce 2°, notamment celle tenant à ce que la société émettrice des droits cédés satisfasse à la définition des micro, petites et moyennes entreprises, s'apprécie au niveau de la société émettrice et de chacune des sociétés dans lesquelles elle détient des participations.

2. M. et Mme A...demandent l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes 190 et 210 des commentaires administratifs publiés le 3 juin 2015 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-20-30-10, par lesquels l'administration fiscale a fait connaître son interprétation des dispositions du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts. Ils soulèvent, à l'appui de leur requête, une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre le B de ces dispositions.

Sur la recevabilité des conclusions de la requête :

3. L'intérêt dont se prévalent les requérants au soutien de leur demande tient à l'application qui leur a été faite des dispositions du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts à l'occasion d'une opération d'échange de titres suivie d'une cession des titres remis à l'échange entre des sociétés toutes deux établies en France. Cet intérêt ne leur donne qualité pour demander l'annulation des commentaires en litige qu'en tant qu'ils concernent les situations internes. En revanche, il ne leur donne pas qualité pour demander l'annulation de ces commentaires en tant qu'ils s'appliquent à des plus-values résultant d'opérations intéressant des sociétés d'Etats membres différents. Il en résulte que la requête n'est pas recevable dans la mesure où elle est dirigée contre les commentaires attaqués, en tant qu'ils donnent une interprétation de la loi fiscale dans son application aux situations entrant dans le champ de la directive 90/434/CE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions des sociétés d'Etats membres différents, dont les dispositions ont été reprises par la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

6. Les dispositions du B du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts prévoient, ainsi qu'il a été dit au point 1, d'une part, que lorsque la société émettrice des droits cédés est une société holding animatrice de groupe, la condition, à laquelle est notamment subordonné le bénéfice de l'abattement renforcé, tenant à ce que la société en cause réponde à la définition des micro, petites et moyennes entreprises, s'applique à la fois à la société holding émettrice et à chacune des sociétés dans laquelle elle détient des participations et, d'autre part, que le respect de cette condition s'apprécie à la date de clôture du dernier exercice précédant la date de souscription ou d'acquisition des droits cédés ou, à défaut d'exercice clos, à la date du premier exercice clos suivant la date de souscription ou d'acquisition de ces droits. Il en résulte que lorsque les droits cédés sont des parts d'une société holding animatrice de groupe reçues par le contribuable en rémunération de l'apport de titres d'une autre société, le respect de la condition tenant à ce que les sociétés dont la société holding détient les participations, notamment celle dont les titres lui ont été apportés par le contribuable, répondent à la définition des micro, petites et moyennes entreprises s'apprécie à la date de l'opération d'échange. Est à cet égard dépourvue d'incidence la circonstance qu'en vertu des dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts, l'opération d'échange n'ait donné lieu à aucune taxation immédiate, celle-ci n'intervenant, en application du 9 de l'article 150-0 D du même code, que lors de la vente ultérieure des titres de la société holding reçus en échange, le gain net étant alors calculé à partir du prix d'acquisition des titres remis à l'échange. Est également sans incidence sur la portée des dispositions en cause la circonstance que le 1 quinquies du même article, relatif à la durée de détention des actions, parts, droits ou titres cédés, précise qu'en cas de vente ultérieure d'actions, parts, droits ou titres reçus à l'occasion d'opérations mentionnées à l'article 150-0 B, la durée de détention est décomptée à partir de la date de souscription ou d'acquisition des actions, parts, droits ou titres remis à l'échange.

7. S'il résulte de ces dispositions une différence de traitement entre les contribuables, au regard de la date à laquelle est apprécié le respect de la condition tenant à ce que la société dont ils détenaient les titres réponde à la définition des micro, petites et moyennes entreprises, selon qu'ils ont cédé directement ces titres ou qu'ils ont réalisé une opération intercalaire d'échanges de ces mêmes titres, cette différence de traitement répond à une différence de situation liée à la nature des titres cédés et qui, au regard de l'objectif poursuivi tendant à favoriser l'investissement dans les petites et moyennes entreprises, est en rapport direct avec l'objet de la loi. Cette différence de traitement repose, en outre, sur des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi par le législateur, consistant à réserver le bénéfice de l'abattement renforcé à l'acquisition de titres de sociétés qui, à la date de cette acquisition, satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises telle qu'elle résulte de l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014. De même, il n'en résulte pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Par suite, les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques ne présentent pas un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens de la requête :

9. Le paragraphe 190 des commentaires administratifs contestés prévoit que " en cas de cession de titres ou droits d'une société holding animatrice de son groupe, tant cette société holding que chacune des sociétés dans lesquelles elle détient des participations doivent respecter toutes les conditions d'application de l'abattement pour durée de détention renforcé (...) / Il est précisé que les conditions tenant à l'âge de la société ainsi qu'au caractère de PME au sens du droit de l'Union européenne (...) des sociétés dans lesquelles la holding détient des participations sont appréciées : - à la date d'acquisition par le contribuable des titres ou droits de la holding quand celle-ci détient, à cette date, des participations dans la société considérée ; - à la date à laquelle la holding acquiert les titres de la société considérée quand cette acquisition intervient postérieurement à l'acquisition par le contribuable des titres ou droits de la holding (...) ". L'article 210 des mêmes commentaires prévoient que " Lorsque les titres ou droits cédés ont été reçus lors d'une opération d'échange qui a bénéficié du sursis d'imposition prévu à l'article 150-0 B du CGI, les conditions mentionnées du II-A au II-G § 30 à 200 sont appréciées au niveau de la société dont les titres ou droits ont été reçus lors de l'échange et qui font l'objet de la cession ".

10. En premier lieu, il résulte de ce qui est dit au point 6 qu'en indiquant que le respect de la condition tenant au caractère de micro, petite ou moyenne entreprise, au sens du droit de l'Union européenne, des sociétés dans lesquelles la holding détient des participations s'apprécie à la date d'acquisition par le contribuable des titres ou droits de la holding quand celle-ci détient, à cette date, des participations dans la société considérée ou à la date à laquelle la holding acquiert les titres de la société considérée quand cette acquisition intervient postérieurement à l'acquisition par le contribuable des titres ou droits de la holding, les commentaires attaqués ne donnent pas des dispositions qu'ils ont pour objet d'éclairer une interprétation qui en méconnaît la portée. Les requérants ne sauraient, en outre, utilement se prévaloir, à l'appui de leur contestation des commentaires litigieux, des dispositions du 1 quinquies de l'article 150-0 D du code général des impôts, relatif à la durée de détention des actions, parts, droits ou titres cédés, prise en compte pour la détermination des abattements applicables dès lors que ces commentaires ne sont pas relatifs à cette durée de détention, mais uniquement à la condition tenant au caractère de petite ou moyenne entreprise de la société dont les titres ou droits sont cédés.

11. En second lieu, M. et Mme A...ne peuvent utilement se prévaloir, à l'appui des conclusions pour lesquelles ils sont recevables à agir telles que définies au point 3, de ce que les dispositions de la loi, telles que réitérées par les énonciations attaquées, seraient incompatibles avec les objectifs de l'article 8 de la directive 90/434/CE du Conseil du 23 juillet 1990, dont les dispositions ont été reprises à l'article 8 de la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009.

12. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. et Mme A...doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et MmeA....

Article 2 : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... A...et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 422664
Date de la décision : 26/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 déc. 2018, n° 422664
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Domingo
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:422664.20181226
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