Vu la procédure suivante :
Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 5 juin 2018 par laquelle le ministre de l'Europe et des affaires étrangères l'a rappelée en France à titre conservatoire, de l'arrêté du 9 juillet 2018 par lequel il l'a placée en situation d'appel spécial, ainsi que de l'arrêté du 17 juillet 2018 modifiant la date de prise d'effet de l'arrêté du 9 juillet 2018 précité jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de ces décisions, d'autre part, d'enjoindre à ce ministre de la réintégrer dans ses fonctions à l'ambassade de France auprès de la République de Turquie.
Par une ordonnance n° 1812398 du 1er août 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de la décision du 5 juin et de l'arrêté du 9 juillet 2018, enjoint au ministre de réintégrer la requérante dans ses fonctions à l'ambassade puis rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un pourvoi, enregistré le 16 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle a suspendu ses décisions des 5 juin et 9 juillet 2018 et lui a enjoint de réintégrer Mme A...dans ses fonctions à l'ambassade ;
2°) statuant en référé, à titre principal, de rejeter la demande de Mme A...ou, à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution des décisions attaquées en tant seulement qu'elles emportent des conséquences pécuniaires pour l'intéressée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;
- le décret n° 79-433 du 1er juin 1979 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de MmeA....
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 novembre 2018, présentée par Mme A....
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que MmeA..., adjointe administrative en poste à l'ambassade de France auprès de la République de Turquie à Ankara, a été rappelée sur demande de l'ambassadeur par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères par décision du 5 juin 2018 ; qu'elle a ensuite été placée en situation d'appel spécial par arrêté du ministre du 9 juillet 2018 ; que, saisi par Mme A...sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, par une ordonnance du 1er août 2018, suspendu l'exécution de ces deux décisions et a enjoint au ministre de la réintégrer dans ses fonctions à l'ambassade ; que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; que ces dispositions ne permettent au justiciable de demander la suspension d'une décision administrative qu'à la condition qu'une telle décision soit encore susceptible d'exécution ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 9 du décret du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des ambassadeurs et à l'organisation des services de l'Etat à l'étranger : " L'ambassadeur peut demander le rappel de tout agent affecté à sa mission et, en cas d'urgence, lui donner l'ordre de partir immédiatement " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 22-1 du décret du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat en service à l'étranger : " L'appel spécial est la situation de l'agent qui, en raison de la situation politique ou des circonstances locales appréciées par le ministre (...) dont relève l'intéressé, reçoit instruction soit de quitter le pays où il est affecté et de regagner la France métropolitaine (...) " ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a rappelé Mme A...en France sur le fondement des dispositions précitées du décret du 1er juin 1979 par une décision du 5 juin 2018 avant de la placer en situation d'appel spécial par un arrêté du 9 juillet 2018 à compter de la même date, en application des dispositions précitées du décret du 28 mars 1967 ; que du fait de l'intervention de cette nouvelle décision, qui a modifié la situation administrative de l'agent sans se borner à définir les modalités de sa rémunération durant sa période de rappel, la décision du 5 juin 2018 portant rappel de Mme A... a épuisé ses effets et n'était plus susceptible d'exécution lors de la saisine, le 12 juillet 2018, du juge des référés du tribunal administratif de Paris ; qu'il suit de là que celui-ci, en admettant la recevabilité des conclusions de Mme A...tendant à la suspension de la décision de rappel du 5 juin 2018, a commis une erreur de droit ;
4. Considérant, en second lieu, que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; qu'il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence ;
5. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour apprécier concrètement si les effets de la mesure de suspension de l'exécution des décisions litigieuses sur la situation de Mme A...étaient de nature à caractériser une urgence, le juge des référés du tribunal administratif de Paris s'est borné à reprendre les justifications fournies par l'intéressée, sans se prononcer sur les éléments avancés par le ministre, tenant notamment à l'intérêt du service compte tenu des conséquences sur celui-ci de l'absence prolongée de Mme A... eu égard aux fonctions qu'elle exerçait à l'ambassade ; qu'en omettant de mettre en balance cet intérêt public avec celui de la requérante, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a suspendu les décisions des 5 juin et 9 juillet 2018 et enjoint au ministre de réintégrer Mme A...dans ses fonctions à l'ambassade ;
7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 5 juin 2018 :
8. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 5 juin 2018 portant rappel de Mme A...sont dirigées contre une décision qui n'est plus susceptible de recevoir exécution depuis l'intervention de la décision du 9 juillet 2018 par laquelle le ministre de l'Europe et des affaires étrangères l'a placée en situation d'appel spécial ; que ces conclusions sont, par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 9 juillet 2018 :
9. Considérant que Mme A...fait valoir que l'arrêté du 9 juillet 2018 la plaçant en situation d'appel spécial n'est pas motivé ; qu'elle n'a pas été mise à même de demander la communication préalable de son dossier ; que la commission administrative paritaire n'a pas été consultée ; que la décision attaquée constitue une sanction disciplinaire déguisée ; que la procédure disciplinaire n'a pas été respectée ; que cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'elle constitue un détournement de pouvoir ; qu'elle revêt un caractère discriminatoire ; qu'elle méconnaît les dispositions des articles 6 et 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; qu'aucun de ces moyens ne paraît, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que la demande de Mme A...tendant à la suspension de l'arrêté du 9 juillet 2018 doit être rejetée ;
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er à 3 de l'ordonnance du 1er août 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par Mme A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à Mme B...A....