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26/04/2018 | FRANCE | N°408506

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 26 avril 2018, 408506


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 février, 26 mai et 30 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale agroalimentaire et forestière - Confédération générale du travail demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 décembre 2016 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt portant extension d'un avenant à l'accord national sur une protection sociale complémentaire en agriculture

et la création d'un régime de prévoyance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 février, 26 mai et 30 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale agroalimentaire et forestière - Confédération générale du travail demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 29 décembre 2016 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt portant extension d'un avenant à l'accord national sur une protection sociale complémentaire en agriculture et la création d'un régime de prévoyance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière - Confédération générale du travail.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que l'accord national du 10 juin 2008 sur la protection sociale complémentaire en agriculture et la création d'un régime de prévoyance a été modifié par un avenant n° 5 du 28 septembre 2016. Par un arrêté du 29 décembre 2016, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a rendu les stipulations de cet avenant obligatoires pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d'application professionnel et territorial de l'accord. La Fédération nationale agroalimentaire et forestière - Confédération générale du travail demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté d'extension.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale : " À moins qu'elles ne soient instituées par des dispositions législatives ou réglementaires, les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale sont déterminées soit par voie de conventions ou d'accords collectifs, soit à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise, soit par une décision unilatérale du chef d'entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Les dispositions du titre III du livre Ier du code du travail sont applicables aux conventions et accords collectifs mentionnés à l'article L. 911-1. Toutefois, lorsque les accords ont pour objet exclusif la détermination des garanties mentionnées à l'article L. 911-2, leur extension aux salariés, aux anciens salariés, à leurs ayants droit et aux employeurs compris dans leur champ d'application est décidée par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget, après avis motivé d'une commission dont la composition est fixée par décret ". Enfin, aux termes de l'article L. 727-3 du code rural et de la pêche maritime : " Par dérogation aux dispositions des articles L. 911-3 et L. 911-4 du code de la sécurité sociale, les accords collectifs ayant pour objet exclusif la détermination des garanties mentionnées à l'article L. 911-1 de ce code au profit des seuls salariés agricoles sont étendus par arrêté du ministre chargé de l'agriculture après avis motivé de la sous-commission des conventions et accords de la commission nationale de la négociation collective (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions que, par dérogation à l'article L. 911-3 du code de la sécurité sociale, l'extension d'un accord collectif ayant pour objet exclusif la détermination des garanties accordées au profit des seuls salariés agricoles en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale relève de la compétence du ministre chargé de l'agriculture et n'a à être précédé que de la consultation de la sous-commission des conventions et accords de la commission nationale de la négociation collective.

4. L'extension de l'avenant n° 5 du 28 septembre 2016 à l'accord national sur la protection sociale complémentaire en agriculture et la création d'un régime de prévoyance relève des dispositions de l'article L. 727-3 du code rural et de la pêche maritime. Par suite, la fédération requérante ne peut utilement invoquer l'article L. 911-3 du code de la sécurité sociale pour soutenir que cette extension aurait dû être décidée par un arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget après avis de la commission des accords de retraite et de prévoyance et que, de ce fait, l'arrêté attaqué serait entaché d'incompétence ou aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

5. D'une part, aux termes du A du I de l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi : " Avant le 1er juin 2013, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels engagent une négociation, afin de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident dont chacune des catégories de garanties et la part de financement assurée par l'employeur sont au moins aussi favorables que celles mentionnées aux II et III de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale, au niveau de leur branche ou de leur entreprise, d'accéder à une telle couverture avant le 1er janvier 2016. (...) ". Le premier alinéa du III de l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale prévoit que : " L'employeur assure au minimum la moitié du financement de la couverture collective à adhésion obligatoire des salariés en matière de remboursement complémentaire des frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident. (...) ". Aux termes de l'article L. 911-7-1 du même code : " I.- La couverture en matière de remboursement complémentaire de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident des salariés en contrat à durée déterminée, en contrat de mission ou à temps partiel mentionnés au présent article est assurée, dans les cas prévus aux II et III, par le biais d'un versement, par leur employeur, d'une somme représentative du financement résultant de l'application des articles L. 911-7 et L. 911-8, et qui s'y substitue alors. / II.- Ce versement est conditionné à la couverture de l'intéressé par un contrat d'assurance maladie complémentaire portant sur la période concernée et respectant les conditions fixées à l'article L. 871-1. Le salarié justifie de cette couverture. Ce versement ne peut être cumulé avec le bénéfice d'une couverture complémentaire au titre de l'article L. 861-3, d'une aide à l'acquisition d'une assurance complémentaire en matière de santé au titre de l'article L. 863-1, d'une couverture collective et obligatoire, y compris en tant qu'ayant droit, ou d'une couverture complémentaire donnant lieu à la participation financière d'une collectivité publique. (...) / III.- Un accord de branche peut prévoir que l'obligation de couverture des risques mentionnée au I du présent article et, le cas échéant, l'obligation mentionnée à l'article L. 911-8 sont assurées selon les seules modalités mentionnées au II du présent article pour les salariés dont la durée du contrat ou la durée du travail prévue par celui-ci est inférieure à des seuils fixés par cet accord, dans la limite de plafonds fixés par décret. (...) ". L'article D. 911-7 du même code précise que : " Les salariés mentionnés au III de l'article L. 911-7-1 sont ceux dont la durée du contrat de travail ou du contrat de mission est inférieure ou égale à trois mois ou ceux dont la durée effective du travail prévue par ce contrat est inférieure ou égale à 15 heures par semaine ".

6. D'autre part, le préambule de l'avenant étendu par l'arrêté litigieux indique que les partenaires sociaux ont décidé de faire bénéficier les salariés titulaires d'un contrat de travail d'une durée inférieure ou égale à 3 mois " du dispositif versement santé, tel que prévu par la loi " et, à cet effet, l'article 4.1. de l'accord national tel que modifié par l'article 2 de l'avenant étendu stipule que : " Sont (...) exclus du dispositif frais de santé : / (...) / - les salariés bénéficiaires d'un contrat de travail à durée déterminée ou d'un contrat de mission d'une durée inférieure ou égale à 3 mois. / Pour ces salariés, l'obligation patronale de couverture en matière de remboursement de frais de santé est assurée par le dispositif versement santé tel que défini dans l'article 4.8 du présent accord. (...) ". Aux termes de cet article 4.8., créé par l'avenant étendu : " (...) Le dispositif versement santé permet à l'employeur de remplir son obligation de couverture en matière de remboursement complémentaire de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident des salariés bénéficiaires d'un contrat de travail à durée déterminée ou d'un contrat de mission d'une durée inférieure ou égale à 3 mois. / (...) / Pour bénéficier du versement santé les salariés doivent justifier auprès de leur employeur du bénéfice d'une couverture individuelle par un contrat de complémentaire santé responsable tel que défini à l'article L. 871-1 du code de la sécurité sociale et portant sur la période concernée. / (...) Le salarié ne justifiant pas du bénéfice d'un contrat responsable ne pourra pas prétendre au versement santé et ne sera pas couvert au titre de la couverture collective obligatoire. / (...) / Lorsque les conditions du bénéfice du dispositif du versement santé sont remplies, l'employeur doit verser mensuellement au salarié une participation patronale visant à l'aider à financer sa complémentaire santé individuelle, le temps de la durée du contrat de travail à durée déterminée ou du contrat de mission. / Cette participation patronale correspond à un montant mensuel équivalant à la contribution patronale de la couverture collective et obligatoire de frais de santé majorée de 25 %. (...) ".

7. Il résulte des dispositions citées au point 5 que, si le législateur a entendu permettre à tous les salariés d'accéder à une couverture complémentaire collective de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident et a imposé une participation de l'employeur couvrant au moins la moitié du financement de cette couverture, l'article L. 911-7-1 du code de la sécurité sociale permet, pour les salariés dont la durée du contrat ou la durée du travail prévue par celui-ci est inférieure à certains seuils, que cette obligation pesant sur l'employeur soit assurée non par une participation au financement de la couverture collective à adhésion obligatoire mais par un versement au salarié d'une somme représentative de cette participation, dite " versement santé ". Ce versement n'est toutefois dû qu'à la condition que le salarié ait souscrit sans aide publique un contrat d'assurance maladie complémentaire individuel portant sur la période concernée et dit " responsable ", c'est-à-dire respectant les conditions fixées à l'article L. 871-1 du code de la sécurité sociale, telles qu'elles s'imposent également à l'employeur pour le choix de la couverture santé collective à adhésion obligatoire, en vertu du dernier alinéa du II de l'article L. 911-7 de ce code.

8. D'une part, en prévoyant que l'obligation de couverture des risques maladie, maternité et accident est assurée uniquement par la mise en oeuvre du " versement santé " pour les salariés bénéficiaires d'un contrat de travail à durée déterminée ou d'un contrat de mission d'une durée inférieure ou égale à trois mois et que ces salariés ne peuvent par conséquent pas prétendre à la couverture collective obligatoire, les parties à l'avenant se sont bornées à exercer la faculté qui leur était ouverte par le III de l'article L. 911-7-1 du code de la sécurité sociale. D'autre part, en stipulant que le salarié ne justifiant pas du bénéfice d'un contrat responsable tel que défini à l'article L. 871-1 du code de la sécurité sociale ne pourra pas prétendre au versement santé, elles n'ont fait que reprendre la condition fixée par l'article L. 911-7-1 du même code. Dans ces conditions, ne sauraient être regardés comme soulevant une contestation sérieuse les moyens tirés par la fédération requérante de ce que l'avenant du 28 septembre 2016, en excluant du bénéfice tant du versement santé que de la couverture collective obligatoire ceux des salariés qui, employés sur la base d'un contrat de travail ou de mission d'une durée inférieure à trois mois, ne justifient pas d'une couverture individuelle par un contrat responsable de complémentaire santé conforme à l'article L. 871-1 du code de la sécurité sociale, méconnaîtrait les principes et objectifs fixés par la loi du 14 juin 2013 ou le principe d'égalité. La fédération requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir que l'arrêté litigieux serait illégal pour ce motif.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Fédération nationale agroalimentaire et forestière - Confédération générale du travail est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale agroalimentaire et forestière - Confédération générale du travail et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Copie en sera adressée à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, à la Fédération nationale des entrepreneurs des territoires, à la Fédération nationale du bois, aux Forestiers privés de France, à la Fédération nationale des coopératives d'utilisation de matériel agricole, à l'Union syndicale des rouisseurs teilleurs de lin de France, à la Fédération générale agroalimentaire CFDT, à la Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation et des secteurs connexes Force ouvrière, à la Fédération CFTC de l'agriculture et au Syndicat national des cadres d'entreprises agricoles CFE-CGC.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 408506
Date de la décision : 26/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2018, n° 408506
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:408506.20180426
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