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15/03/2017 | FRANCE | N°396786

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 15 mars 2017, 396786


Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 février 2016, 4 avril 2016 et 14 février 2017, le syndicat SGP Police - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2015 du ministre des finances et des comptes publics, du ministre de l'intérieur, du ministre de la décentralisation et de la fonction publique et du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports fixant la liste des circonscriptions de police prévues au 1° de l'article 1er

du décret n° 95-313 du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prior...

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 4 février 2016, 4 avril 2016 et 14 février 2017, le syndicat SGP Police - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du 3 décembre 2015 du ministre des finances et des comptes publics, du ministre de l'intérieur, du ministre de la décentralisation et de la fonction publique et du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports fixant la liste des circonscriptions de police prévues au 1° de l'article 1er du décret n° 95-313 du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles, en tant qu'il limite le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté aux seuls agents affectés dans les 161 circonscriptions de police qu'il liste en annexe ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, notamment son article 60 ;

- la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991, notamment son article 11 ;

- la loi n° 95-115 du 4 février 1995 ;

- la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 ;

- le décret n° 95-313 du 21 mars 1995 ;

- le décret n° 97-848 du 10 septembre 1997 ;

- le décret n° 99-1055 du 15 décembre 1999 ;

- les décrets n°s 2014-1750 et 2014-1751 du 30 décembre 2014 ;

- l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale ;

- l'arrêté du préfet de police n° 2015-00852 du 23 octobre 2015 relatif aux missions et à l'organisation de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat du syndicat SGP Police - Force ouvrière.

1. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, modifié par l'article 17 de la loi du 25 juillet 1994 : " Les fonctionnaires de l'Etat et les militaires de la gendarmerie affectés pendant une durée fixée par décret en Conseil d'Etat dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ont droit, pour le calcul de l'ancienneté requise au titre de l'avancement d'échelon, à un avantage spécifique d'ancienneté dans des conditions fixées par ce même décret " ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'Etat affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles : " Les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, mentionnés au quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée et à l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 susvisée, doivent correspondre :/ 1° En ce qui concerne les fonctionnaires de police, à des circonscriptions de police ou à des subdivisions de ces circonscriptions désignées par arrêté conjoint du ministre chargé de la sécurité, du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget ;/ 2° En ce qui concerne les fonctionnaires relevant du ministre chargé de l'éducation nationale, à des écoles et établissements d'enseignement désignés par arrêté conjoint du ministre chargé de l'éducation, du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget ;/ 3° En ce qui concerne les autres fonctionnaires civils de l'Etat, à des secteurs déterminés par arrêté conjoint du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget " ; que la liste des circonscriptions de police mentionnées au 1° de cet article a été fixée par un arrêté du 30 décembre 2015, dont le syndicat SGP Police - Force ouvrière demande l'annulation pour excès de pouvoir ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 que le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté est ouvert aux fonctionnaires de l'Etat et aux militaires de la gendarmerie nationale qui sont affectés pendant une certaine durée, définie par décret, pour exercer leurs fonctions dans des quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles ; qu'en instituant cet avantage, le législateur a entendu inciter les agents concernés à exercer leurs fonctions dans de tels quartiers pendant une plus longue durée ; que les agents qui sont affectés dans les quartiers en cause et ceux qui, sans y être affectés, peuvent être amenés à y accomplir une partie de leur service ne se trouvant pas dans la même situation au regard de l'objet de la disposition en cause, le législateur n'a pas méconnu le principe constitutionnel d'égalité devant la loi, résultant notamment de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en réservant le bénéfice de l'avantage à la première de ces deux catégories ; qu'il suit de là que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat requérant, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin de transmettre cette question au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur les autres moyens :

4. Considérant, en premier lieu, que l'article 1er du décret du 21 mars 1995, prévoit, pour l'attribution de l'avantage spécifique d'ancienneté, des ressorts différents pour les fonctionnaires de police, les fonctionnaires de l'éducation nationale et les autres fonctionnaires civils de l'Etat : que l'article 1er du décret du 10 septembre 1997 relatif au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordé à certains militaires de la gendarmerie affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles prévoit des ressorts différents de ceux qui sont définis par le décret du 21 mars 1995 pour les militaires de la gendarmerie nationale ; que, compte tenu, d'une part, des différences qui existent dans l'organisation territoriale des services déconcentrés de l'Etat et, d'autre part, de la spécificité des missions de ces différentes catégories d'agents publics et des difficultés qu'ils peuvent rencontrer, le pouvoir réglementaire a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 ni, en tout état de cause, le principe d'égalité, prévoir que la condition d'affectation dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles serait appréciée de façon différente pour les fonctionnaires de police, les fonctionnaires de l'éducation nationale, les autres fonctionnaires civils de l'Etat et les militaires de la gendarmerie nationale ; que la circonstance que des circonscriptions de police qui coïncideraient pour partie au moins avec des circonscriptions propres à certains services de l'Etat ouvrant aux agents qui y sont affectés le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté ne seraient pas mentionnées dans l'annexe de l'arrêté attaqué n'est en tout état de cause pas de nature, par elle-même, à établir que cet arrêté méconnaîtrait le principe d'égalité ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que la liste établie par l'arrêté attaqué comprend soit des circonscriptions de sécurité publique, qui constituent, aux termes de l'article 252-3 du règlement général d'emploi de la police nationale approuvé par l'arrêté du 6 juin 2006, " la structure de base des services territoriaux de la sécurité publique ", soit, à Paris et dans les départements de la petite couronne, des circonscriptions de sécurité de proximité, qui constituent, conformément à l'article 15 de l'arrêté du préfet de police du 23 octobre 2015, l'échelon de base de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne ; que ce choix, qui ouvre le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté, dans les conditions prévues par le décret, à tous les fonctionnaires de police affectés dans ces circonscriptions et y exerçant leurs fonctions n'est pas, en tant qu'il exclut de son bénéfice les fonctionnaires de police affectés dans les autres directions de la direction générale de la police nationale, lesquelles ne comportent pas de circonscriptions ou subdivisions territoriales où sont exercées des missions en relation directe avec ces quartiers, contraire aux dispositions précitées de la loi du 26 juillet 1991 et du décret du 21 mars 1995 ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la méthode retenue par les auteurs de l'arrêté attaqué pour dresser la liste des circonscriptions de police éligibles s'appuie sur le calcul d'un indice moyen de délinquance à partir des statistiques des faits recensés en matière de délinquance de voie publique, violences crapuleuses, outrages ou violences à dépositaires de l'autorité et violences urbaines, corrigé pour tenir compte, le cas échéant, du classement du territoire comme quartier prioritaire au sens des décrets du 30 décembre 2014 fixant la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou comme zone de sécurité prioritaire au sens de la circulaire du 30 juillet 2012 du ministre de l'intérieur relative à la mise en oeuvre des zones de sécurité prioritaires ; qu'ont été retenues les circonscriptions de police dans lesquelles l'indice ainsi calculé était supérieur à la moyenne nationale ; que, contrairement à ce qui est soutenu, ce choix, dès lors qu'il s'appuie sur des éléments statistiques couramment utilisés et est fondé sur des critères objectifs, rationnels, cohérents et en rapport avec l'objet de la mesure, qui consiste à déterminer les circonscriptions ayant en charge des quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ne méconnaît pas le principe d'égalité ni les dispositions de la loi du 26 juillet 1991 et du décret du 21 mars 1995 ;

7. Considérant, enfin, que le syndicat requérant soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne retient pas certaines circonscriptions recouvrant des secteurs classés comme difficiles au titre de diverses réglementations intéressant la politique de la ville ; que, toutefois, les zones urbaines sensibles créées par l'article 42 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ou les quartiers prioritaires qui les ont remplacées à compter du 1er janvier 2015, en application de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, ont été définis, pour les premières, à partir de critères privilégiant les problèmes d'habitat et de déséquilibre entre habitat et emploi et, pour les seconds, en se fondant sur un écart de développement économique et social, sans que les questions de sécurité ne soient déterminantes ; qu'en outre, la présence dans la circonscription d'un quartier prioritaire ou celle d'une zone de sécurité prioritaire a été prise en compte, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, pour la détermination de la liste établie par l'arrêté attaqué ; que les secteurs difficiles, créés par le décret du 15 décembre 1999 portant attribution d'une indemnité de fidélisation en secteur difficile aux fonctionnaires actifs de la police nationale, n'avaient pas nécessairement à être inclus dans le périmètre défini par l'arrêté attaqué, dès lors qu'ils ont pour seule vocation de servir de base à l'attribution d'une indemnité de fidélisation aux agents qu'il vise, dispositif dont la nature et l'objet diffèrent de celui de l'avantage spécifique d'ancienneté que régit l'arrêté attaqué ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Syndicat SGP Police - Force ouvrière n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté qu'il attaque ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat SGP Police-Force ouvrière.

Article 2 : La requête du Syndicat SGP Police-Force ouvrière est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat SGP Police-Force ouvrière, au ministre des finances et des comptes publics, au ministre de l'intérieur, au ministre de la décentralisation et de la fonction publique et au ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

Copie en sera adressé au Conseil constitutionnel et au premier ministre.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 396786
Date de la décision : 15/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mar. 2017, n° 396786
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alain Seban
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:396786.20170315
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