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17/07/2013 | FRANCE | N°334551

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 17 juillet 2013, 334551


Vu 1°, sous le n° 334551, le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, enregistré le 11 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 06MA01101 du 15 octobre 2009 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'après avoir partiellement annulé le jugement du 13 février 2006 du tribunal administratif de Marseille rejetant la demande de M. A...B...tendant à la décharge des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribu

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Vu 1°, sous le n° 334551, le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, enregistré le 11 décembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 06MA01101 du 15 octobre 2009 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'après avoir partiellement annulé le jugement du 13 février 2006 du tribunal administratif de Marseille rejetant la demande de M. A...B...tendant à la décharge des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribution pour le remboursement de la dette sociale et de prélèvement social de 2 % auxquelles il a été assujetti au titre des années 1997 à 2000 à raison de ses revenus d'origine néerlandaise, il a déchargé M. B...des cotisations assises sur les rentes viagères à titre onéreux qu'il avait perçues de source néerlandaise ;

Vu 2°, sous le n° 342944, le pourvoi du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, enregistré le 2 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n°s 07MA01676, 09MA00513 et 09MA003828 du 1er juillet 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir annulé les jugements des 8 mars 2007, 2 décembre 2008 et 15 septembre 2009 du tribunal administratif de Nîmes, a déchargé M. A...B...des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de prélèvement social et de contribution additionnelle à ce prélèvement auxquelles il a été assujetti au titre des années 2001 à 2004, à raison de ses rentes viagères à titre onéreux de source néerlandaise ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 39 ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

Vu le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Claude Hassan, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. B...;

1. Considérant que les pourvois du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat enregistrés sous les n°s 334551 et 342944 sont relatifs, respectivement, à l'assujettissement de M. B...à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, à la contribution pour le remboursement de la dette sociale et au prélèvement social de 2 % au titre des années 1997 à 2000 à raison des rentes viagères à titre onéreux qu'il avait perçues de source néerlandaise, et à son assujettissement aux mêmes impositions ainsi qu'à la contribution additionnelle de 0,3 % au prélèvement social mentionné ci-dessus au titre des années 2001 à 2004 à raison des rentes viagères à titre onéreux qu'il avait continué de percevoir de source néerlandaise ; que ces pourvois présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'en vertu de l'article 1600-0 C du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, les personnes physiques fiscalement domiciliées en France sont assujetties à une " contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine " (CSG), assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu afférent aux revenus du patrimoine énumérés à cet article, au nombre desquels figurent les " rentes viagères constituées à titre onéreux " ; qu'en vertu des articles 1600-0 G et 1600-0 H du même code, ces personnes sont également assujetties à une " contribution au remboursement de la dette sociale " (CRDS), assise sur les mêmes revenus ; qu'en vertu de l'article 1600-0 F bis du code, dans sa rédaction alors applicable, ces personnes sont, en outre, assujetties à un " prélèvement social " de 2 % sur ces revenus ainsi que, depuis le 1er juillet 2004, en vertu de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, à une contribution additionnelle de 0,3 % ; que ces " contributions " et " prélèvement " constituent des " impositions " au sens du droit national ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que M.B..., domicilié..., directeur de la société néerlandaise Vermeer Verenigde Bedrijven BV, a déclaré au titre des années 1997 à 2004 des revenus composés de salaires, de revenus de capitaux mobiliers, de bénéfices industriels et commerciaux et de rentes viagères à titre onéreux de source néerlandaise, versées par des compagnies d'assurance et dont M. B... a renoncé à alléguer qu'elles résulteraient de la constitution préalable d'un capital à laquelle son employeur aurait contribué ; qu'il a été assujetti à des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de prélèvement social de 2 % ainsi que de contribution additionnelle de 0,3 % à ce prélèvement à raison, notamment, des rentes viagères à titre onéreux qui lui avaient été versées durant cette période et que l'administration fiscale a considérées comme des revenus de son patrimoine ; que la cour administrative d'appel de Marseille l'a déchargé des cotisations relatives à ces rentes viagères au titre des années 1997 à 2000, par un arrêt du 15 octobre 2009, et au titre des années 2001 à 2004, par un arrêt du 1er juillet 2010 ; que le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat demande, par le pourvoi enregistré sous le n° 334551, l'annulation de l'arrêt du 15 octobre 2009 en tant qu'il a statué sur les cotisations auxquelles M. B... a été assujetti à raison des rentes viagères à titre onéreux qu'il avait perçues de source néerlandaise et, par le pourvoi enregistré sous le n° 342944, l'annulation de l'arrêt du 1er juillet 2010 ;

4. Considérant que le traité instituant la Communauté européenne, alors applicable, ne prescrivait pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les Etats membres s'agissant de l'élimination des doubles impositions à l'intérieur de l'Union européenne ; qu'il suit de là qu'en jugeant que l'assujettissement des rentes viagères aux impositions litigieuses méconnaissait, du seul fait que ces revenus auraient déjà fait l'objet de prélèvements de même nature aux Pays-Bas, le principe de la libre circulation des travailleurs institué par l'article 39 de ce traité, devenu l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sans rechercher si des mesures spécifiques prises par la Communauté européenne tendaient à mettre fin à la situation de double imposition dont il s'agit, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit dans chacun des deux arrêts attaqués ; qu'il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, d'une part, que l'arrêt du 15 octobre 2009 doit être annulé en tant qu'il a déchargé M. B...des cotisations assises, au titre des années 1997 à 1999, sur les rentes viagères à titre onéreux qu'il a perçues de source néerlandaise et, d'autre part, que l'arrêt du 1er juillet 2010 doit être annulé dans sa totalité ;

5. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler les affaires au fond dans la mesure de la cassation prononcée ci-dessus ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la seule circonstance, invoquée par le requérant, que les revenus litigieux auraient également fait l'objet d'une imposition aux Pays-Bas ne suffit pas, en l'absence de mesures spécifiques prises par les autorités communautaires pour mettre fin à cette situation de double imposition, à caractériser une atteinte à la libre circulation des travailleurs garantie par l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne, alors en vigueur ;

7. Considérant, toutefois, que le requérant soutient que les prélèvements litigieux sont contraires à l'article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dès lors qu'en vertu de ce règlement, il relève du régime néerlandais de sécurité sociale en sa qualité de travailleur salarié aux Pays-Bas ;

8. Considérant que le règlement du 14 juin 1971 concerne les législations de sécurité sociale ; que, selon son article 13, dans ses rédactions applicables aux années d'imposition en litige, les personnes salariées auxquelles le règlement est applicable " ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre " ; que, lorsqu'elles exercent leur activité sur le territoire d'un Etat membre, elles sont soumises à la législation de cet Etat, même si elles résident sur le territoire d'un autre Etat membre ;

9. Considérant que, pour apprécier la portée du principe d'unicité de législation posé par l'article 13 du règlement du 14 juin 1971 pour le règlement des présentes affaires au fond, il y a lieu de déterminer si la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle de 0,3 % à ce prélèvement présentent un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement du 14 juin 1971 et entrent ainsi dans le champ d'application de ce règlement ;

10. Considérant, d'une part, que ces contributions participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale ; qu'en effet, la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine contribue au financement des prestations d'assurance-maladie, des prestations familiales, des prestations non contributives de l'assurance vieillesse et des prestations liées à la dépendance ; que la contribution au remboursement de la dette sociale est perçue au profit de la Caisse d'amortissement de la dette sociale et destinée à apurer les déficits de la sécurité sociale ; que le prélèvement social de 2 % est perçu au profit de la Caisse nationale d'allocations familiales et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et qu'enfin, la contribution additionnelle de 0,3 % est affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ;

11. Considérant, d'autre part, que si, par deux arrêts rendus le 15 février 2000 dans les affaires C-34/98 et C-169/98, Commission c/ France, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que la contribution sociale généralisée et la contribution au remboursement de la dette sociale, lorsqu'elles frappent, comme c'est également le cas, les revenus d'activité et de remplacement, se substituant ainsi pour partie aux cotisations de sécurité sociale, entrent dans le champ d'application du règlement du 14 juin 1971, les prélèvements en cause dans les présents litiges sont assis uniquement sur les revenus du patrimoine d'un contribuable, indépendamment de toute activité professionnelle, actuelle ou passée, de ce dernier ; qu'ils sont, en outre, dépourvus de tout lien avec l'ouverture d'un droit à prestation ou un avantage servis par un régime de sécurité sociale et sont, pour ce motif, regardés comme ayant le caractère d'impositions et non de cotisations de sécurité sociale au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales ;

12. Considérant que la question se pose ainsi de savoir si des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentent, du seul fait qu'ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et entrent ainsi dans le champ d'application de ce règlement ;

13. Considérant que cette question est déterminante pour la solution des litiges que doit trancher le Conseil d'Etat ; qu'elle présente une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur les pourvois du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 15 octobre 2009 est annulé en tant qu'il a déchargé M. B...des cotisations assises, au titre des années 1997 à 1999, sur les rentes viagères à titre onéreux qu'il a perçues de sources néerlandaises.

Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 1er juillet 2010 est annulé.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur les pourvois du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante : " Des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentent-ils, du seul fait qu'ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et entrent-ils ainsi dans le champ de ce règlement ' ".

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances, à M. A... B...et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 334551
Date de la décision : 17/07/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 17 jui. 2013, n° 334551
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Claude Hassan
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:334551.20130717
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