La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2006 | FRANCE | N°269857

France | France, Conseil d'État, 2eme sous-section jugeant seule, 07 juin 2006, 269857


Vu la requête, enregistrée le 13 juillet 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DU VAL-D'OISE ; le PREFET DU VAL-D'OISE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 22 juin 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 6 mai 2004 décidant la reconduite à la frontière de Mme Emilienne A, épouse B et lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de l'intéressée dans un délai de 30 jours ;

2°) de rejeter la demande prése

ntée par Mme B devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

Vu les autres ...

Vu la requête, enregistrée le 13 juillet 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DU VAL-D'OISE ; le PREFET DU VAL-D'OISE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 22 juin 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 6 mai 2004 décidant la reconduite à la frontière de Mme Emilienne A, épouse B et lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la situation de l'intéressée dans un délai de 30 jours ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945, modifiée ;

Vu la loi n° 91 ;647 du 10 juillet 1991, modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Sophie-Justine Liéber, Auditeur,

- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de Mme A, épouse B,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, modifiée, en vigueur à la date de l'arrêté contesté : « Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police, peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire français au-delà du délai d'un mois à compter de la notification du refus ou du retrait (…) » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B, de nationalité congolaise, s'est maintenue sur le territoire français plus d'un mois à compter de la notification, le 8 novembre 2003, de la décision du 31 octobre 2003 par laquelle le PREFET DU VAL-D'OISE lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant que, si Mme B, entrée en France en septembre 2002, à l'âge de 52 ans, fait valoir qu'elle vit auprès de ses enfants, dont deux sont nés en France et ont la nationalité française, l'hébergent et assurent sa prise en charge, qu'elle est séparée de son mari demeuré au Congo, qui a eu un enfant hors mariage, et que son état de santé nécessite la présence de ses enfants auprès d'elle, il ressort des pièces du dossier, d'une part, qu'elle n'est hébergée par son fils que depuis l'année 2004 et que sa prise en charge financière par ses enfants n'est pas établie, d'autre part, qu'elle a vécu auprès de son mari jusqu'en 2002 alors même que ce dernier a eu un enfant hors mariage né en 1984, enfin, que la double pathologie dont elle est atteinte ne nécessite pas la présence de ses enfants à ses côtés ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la durée et des conditions du séjour en France de Mme B et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté du PREFET DU VAL-D'OISE n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que, par suite, le PREFET DU VAL-D'OISE est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté au motif qu'il méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme B devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et le Conseil d'Etat ;

Sur la légalité externe de l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant, en premier lieu, que l'arrêté de reconduite à la frontière contesté est signé par M. Marc Vernhes, secrétaire général de la préfecture du Val-d'Oise, qui avait reçu délégation par arrêté préfectoral du 13 mars 2003 publié le même mois au recueil des actes administratifs de la préfecture ; qu'en conséquence, le moyen tiré de l'incompétence du signataire doit être écarté ;

Considérant, en second lieu, que les conditions de notification de l'arrêté de reconduite à la frontière sont sans incidence sur sa légalité ;

Sur la légalité interne de l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant qu'indépendamment de l'énumération donnée à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, modifiée, des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une mesure de reconduite à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour ; que lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ;

Considérant qu'aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction alors en vigueur : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (…) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par le préfet ou, à Paris, le préfet de police, après avis du médecin inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police » ; que si la double pathologie dont est atteinte Mme B a justifié des interventions chirurgicales et des soins pendant une durée de six mois en France, pour lesquels elle a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour jusqu'au 18 novembre 2003, ces pathologies, selon trois avis successifs du médecin inspecteur de santé publique, peuvent dorénavant être traitées dans son pays d'origine sans que, en outre, le défaut de prise en charge entraîne de conséquences d'une exceptionnelle gravité pour l'intéressée ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait, en raison des risques d'une exceptionnelle gravité pour sa santé, contraire aux dispositions du 11° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 doit donc être écarté ;

Considérant que le 7° de ce même article prévoit la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale de plein droit : « A l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus » ; que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B, entrée en France en 2002, qui ne vit chez son fils aîné que depuis 2004, soit dépourvue d'attaches familiales au Congo ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait contraire aux dispositions du 7° de l'article 12 bis de l'ordonnance précitée doit être écarté ;

Considérant qu'aux termes de l'article 15 de la même ordonnance, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté contesté : « Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : (…) 2° A l'enfant étranger d'un ressortissant de nationalité française si cet enfant a moins de vingt et un ans ou s'il est à la charge de ses parents ainsi qu'aux ascendants d'un tel ressortissant et de son conjoint qui sont à sa charge » ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment de la déclaration de revenus 2003 de son fils aîné, que Mme B soit effectivement à la charge de ses enfants ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 2° de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ne peut qu'être écarté ;

Considérant que le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de l'arrêté de reconduite à la frontière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DU VAL-D'OISE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 6 mai 2004 décidant la reconduite à la frontière de Mme B ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que la présente décision, qui rejette la demande présentée par Mme B devant le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions de l'intéressée tendant à ce qu'il soit enjoint au PREFET DU VAL-D'OISE de lui délivrer un titre de séjour doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, la somme que demande la SCP Defrenois-Levis, avocat de Mme B, au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 22 juin 2004 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DU VAL-D'OISE, à Mme Emilienne A, épouse B et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : 2eme sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 269857
Date de la décision : 07/06/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2006, n° 269857
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Honorat
Rapporteur ?: Mlle Sophie Liéber
Rapporteur public ?: Mme de Silva
Avocat(s) : SCP DEFRENOIS, LEVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:269857.20060607
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award