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06/01/2006 | FRANCE | N°263608

France | France, Conseil d'État, 7ème sous-section jugeant seule, 06 janvier 2006, 263608


Vu la requête, enregistrée le 16 janvier 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 19 décembre 2003 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 21 novembre 2003 décidant la reconduite à la frontière de M. Qaush YX ainsi que la décision du même jour fixant la Serbie-Monténégro comme pays de destination ;

2°) de rejeter la demande de M. YX ;

Vu le

s autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l...

Vu la requête, enregistrée le 16 janvier 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 19 décembre 2003 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 21 novembre 2003 décidant la reconduite à la frontière de M. Qaush YX ainsi que la décision du même jour fixant la Serbie-Monténégro comme pays de destination ;

2°) de rejeter la demande de M. YX ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 modifiée relative au droit d'asile ;

Vu le décret n° 98-503 du 23 juin 1998 pris pour l'application de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile et relatif à l'asile territorial ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Escaut, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article 22-I de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée alors en vigueur : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. YX, Albanais du Kosovo, titulaire d'un titre d'identité serbo-monténégrin, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois à compter de la notification, le 13 septembre 2003, de la décision du 10 septembre 2003 par laquelle le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour ; qu'il se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant que, par le jugement attaqué en date du 19 décembre 2003, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a estimé que M. YX devait être regardé comme établissant l'existence des risques que lui ferait courir un retour dans son pays d'origine et a annulé, pour ce motif, l'arrêté du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE du 21 novembre 2003 ordonnant la reconduite à la frontière de l'intéressé ainsi que la décision distincte de la même date fixant la République de Serbie et Monténégro comme pays de destination ;

Considérant d'une part que le moyen tiré de ce que M. YX courait des risques dans son pays d'origine ne pouvait utilement être invoqué à l'encontre de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ; qu'ainsi, en annulant la mesure ordonnant la reconduite à la frontière de M. YX, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a entaché sa décision d'une erreur de droit ;

Considérant d'autre part que si le moyen précité peut être utilement invoqué à l'encontre de la décision qui fixe la Serbie Monténégro comme pays à destination duquel M. YX devait être reconduit, ce dernier n'apporte pas le moindre commencement de preuve au soutien de ses allégations selon lesquelles, du fait de sa désertion des rangs de l'armée de libération du Kosovo, il serait aujourd'hui recherché par les forces armées de son pays et sa vie serait menacée ; qu'ainsi la décision attaquée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur les risques encourus par M. YX en cas de retour dans son pays d'origine pour annuler son arrêté du 21 novembre 2003 décidant la reconduite à la frontière de M. YX ainsi que la décision du même jour fixant le pays à destination duquel il devait être reconduit ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. YX ;

Sur l'exception d'illégalité de la décision du ministre de l'intérieur rejetant la demande d'asile territorial :

Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 25 juillet 1952, en vigueur à la date de la décision attaquée : Dans des conditions compatibles avec les intérêts du pays, l'asile territorial peut être accordé par le ministre de l'intérieur après consultation du ministre des affaires étrangères à un étranger si celui-ci établit que sa vie ou sa liberté est menacée dans son pays ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les décisions du ministre n'ont pas à être motivées (...) ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 23 juin 1998 pris pour l'application de cette disposition : L'étranger est entendu en préfecture au jour que lui a fixé la convocation. Il peut demander au préalable l'assistance d'un interprète et peut être accompagné d'une personne de son choix (...). L'audition donne lieu à un compte-rendu écrit ; qu'aux termes de l'article 3 du même décret : Le préfet transmet au ministre de l'intérieur le dossier de la demande, comportant (...) son avis motivé. Avant de statuer, le ministre de l'intérieur transmet la copie des éléments mentionnés au deuxième alinéa de l'article 1er et du compte-rendu mentionné à l'article 2 au ministre des affaires étrangères, qui lui communique son avis dans les meilleurs délais ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient M. YX, il ressort des pièces du dossier qu'après avoir reçu une convocation le 12 avril 2002, il a été reçu, le 28 mai suivant, à la préfecture de la Haute-Savoie où il a été procédé à son audition au cours de laquelle il a bénéficié de l'assistance de son beau-frère qui a servi d'interprète ; que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a ensuite communiqué au ministre de l'intérieur son avis sur la demande d'asile territorial formée par l'intéressé ; que le ministre des affaires étrangères a émis son avis le 26 septembre 2002 ; qu'ainsi M. YX n'est pas fondé à soutenir que la décision du ministre de l'intérieur en date du 30 juin 2003 rejetant sa demande d'asile territorial serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière ;

Considérant que Mme Celestin, adjointe au chef du 4ème bureau de la sous-direction des étrangers et de la circulation transfrontière du ministère de l'intérieur, qui a signé la décision refusant l'asile territorial, avait reçu une délégation de signature du ministre de l'intérieur par arrêté du 31 octobre 2002, régulièrement publié au Journal officiel de la République française du 8 novembre 2001 ; que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision rejetant la demande d'asile territorial de M. YX manque ainsi en fait ;

Considérant qu'il résulte des termes de l'article 13 précité de la loi du 13 juillet 1952 que la décision du ministre de l'intérieur refusant le bénéfice de l'asile territorial n'avait pas à être motivée ; que, par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation ne peut qu'être écarté ;

Considérant que si, ainsi qu'il a été dit, M. YX soutient que, du fait de sa désertion des rangs de l'armée de libération du Kosovo, il serait aujourd'hui recherché par les forces armées de son pays et sa vie serait en danger, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur ait commis une erreur manifeste d'appréciation en lui refusant l'asile territorial, ni méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur l'exception d'illégalité de la décision du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE refusant à M. YX la délivrance d'un titre de séjour :

Considérant que M. Y, secrétaire général de la préfecture de la Haute-Savoie, avait reçu, par un arrêté préfectoral en date du 2 décembre 2002 régulièrement publié, délégation de signature pour signer toutes décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département ; qu'ainsi il était compétent pour signer la décision en date du 10 septembre 2003 refusant à M. YX la délivrance d'un titre de séjour ;

Considérant qu'aux termes de l'article 12 quater de l'ordonnance du 2 novembre 1945, alors en vigueur : Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...) la commission est saisie par le préfet lorsque celui-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour à un étranger mentionné à l'article 12 bis ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné à l'article 15 ; qu'il résulte de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions énoncées aux articles 12 bis et 15 auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions ; que M. YX n'entrait dans aucun des cas visés aux articles précités ; qu'il n'est donc pas fondé à soutenir que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE aurait dû, conformément aux dispositions de l'article 12 quater de ladite ordonnance, procéder à la consultation préalable de la commission du titre de séjour ;

Considérant que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, qui a notamment examiné la situation de M. YX au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a bien procédé à l'examen de la situation personnelle de l'intéressé et ne s'est pas estimé lié par la décision du ministre de l'intérieur rejetant la demande d'asile territorial M. YX;

Considérant que si M. YX, qui est entré en France en décembre 1999, fait valoir qu'il est hébergé chez sa soeur et son beau-frère et qu'il bénéficie d'une promesse d'embauche, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de séjour de M. YX en France, qui est célibataire, sans charge de famille et qui n'établit pas ne plus avoir d'attaches familiales dans son pays d'origine, la décision de refus de titre de séjour du 10 septembre 2003 n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que cette décision n'a ainsi pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ce refus sur la vie personnelle de l'intéressé ;

Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant que l'arrêté en date du 21 novembre 2003 ordonnant la reconduite à la frontière de M. YX a été signé par M. Y qui, par l'arrêté précité du 2 décembre 2002, bénéficiait d'une délégation régulière de signature du préfet ;

Considérant que l'arrêté attaqué ordonnant la reconduite à la frontière de M. YX comporte les éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde ; qu'il est ainsi suffisamment motivé ; que si, dans la motivation de cet l'arrêté, il n'est fait référence qu'à la vie familiale de l'intéressé, dès lors que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est visé, le préfet doit être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement pris en compte aussi la vie privée de l'intéressé, ce dernier ne se prévalant au demeurant d'aucun élément de sa vie privée que le préfet aurait omis d'examiner ;

Considérant que, pour les raisons déjà indiquées et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté litigieux n'a pas porté au droit de M. YX au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris ; que, par suite, il ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; que cet arrêté n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la vie personnelle de l'intéressé ;

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

Considérant que la décision en date du 21 novembre 2003 fixant le pays à destination duquel M. YX serait renvoyé a été signé par M. Y qui, par l'arrêté précité du 2 décembre 2002, bénéficiait d'une délégation régulière de signature du préfet ;

Considérant que la décision attaquée comporte les éléments de droit et de fait sur lesquels elle est fondée ; qu'elle est ainsi suffisamment motivée ;

Considérant que les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation du préfet au regard de l'intégration sociale et professionnelle de M. YX ainsi que de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont inopérants à l'encontre de la décision fixant le pays de destination ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 21 novembre 2003 ordonnant la reconduite à la frontière de M. YX ainsi que sa décision du même jour fixant le pays de destination ; que, dès lors, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, verse à M. YX les sommes qu'il demande, en première instance et en appel, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du 19 décembre 2003 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. YX devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE, à M. Qaush YX et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : 7ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 263608
Date de la décision : 06/01/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jan. 2006, n° 263608
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Delarue
Rapporteur ?: Mme Nathalie Escaut
Rapporteur public ?: M. Boulouis

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:263608.20060106
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