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29/06/2005 | FRANCE | N°269125

France | France, Conseil d'État, 3eme et 8eme sous-sections reunies, 29 juin 2005, 269125


Vu la requête, enregistrée le 25 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Kamel X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 10 mai 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 mai 2004 du préfet des Alpes-Maritimes décidant sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir ;

3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de s

éjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article...

Vu la requête, enregistrée le 25 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Kamel X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 10 mai 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 mai 2004 du préfet des Alpes-Maritimes décidant sa reconduite à la frontière ;

2°) d'annuler cet arrêté pour excès de pouvoir ;

3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Danièle Burguburu, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (…) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) ;

Considérant que lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée ; qu'une telle substitution relevant de l'office du juge, celui ;ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité tunisienne, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification de la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 9 avril 2003 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il entrait ainsi dans le champ d'application du 3° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; que la circonstance que le préfet des Alpes ;Maritimes a fondé à tort son arrêté du 6 mai 2004, non sur cette disposition, mais sur le 1° du I de l'article 22 de ladite ordonnance, n'est pas de nature à entacher cet arrêté d'illégalité dès lors que les deux dispositions permettent au préfet de prendre la même mesure et que, les conditions fixées pour la mise en oeuvre des dispositions du 3° étant en l'espèce réunies, la substitution de la première à la seconde comme base légale n'a pas pour effet de priver l'intéressé des garanties de procédure qui lui sont offertes par la loi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 6 mai 2004, par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a décidé la reconduite à la frontière de M. X, énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; qu'il est ainsi suffisamment motivé ;

Considérant que le préfet n'était pas tenu d'indiquer, dans l'arrêté attaqué, le pays à destination duquel serait reconduit l'intéressé ; que, dès lors, le moyen tiré de l'absence de décision fixant le pays à destination duquel M. X peut être reconduit est sans incidence sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière ;

Considérant que M. ENISKEKKkkkKCHARNI, de nationalité tunisienne, ne saurait utilement se prévaloir, à l'encontre de l'arrêté du 6 mai 2004, des dispositions du 3° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, qui ne sont pas applicables aux ressortissants tunisiens depuis l'entrée en vigueur le 1er novembre 2003 du deuxième avenant de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ; que, toutefois, aux termes de l'article 7 ter de cet accord dans sa rédaction issue du deuxième avenant du 8 septembre 2000 : d) Reçoivent de plein droit un titre de séjour renouvelable valable un an et donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle dans les conditions fixées à l'article 7 : les ressortissants tunisiens qui justifient par tous moyens résider habituellement en France depuis plus de dix ans, le séjour en qualité d'étudiant n'étant pas pris en compte dans la limite de cinq ans ;

Considérant que si M. X fait valoir qu'il réside en France depuis 1990, les pièces qu'il produit à l'appui de ses allégations sont insuffisantes pour établir sa présence habituelle en France depuis plus de dix ans ; que par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7 ter précité de l'accord franco-tunisien modifié doit être écarté ;

Considérant que M. X fait valoir qu'il est entré en France en 1990, qu'il a deux soeurs qui résident régulièrement sur le territoire national, que toutes ses nièces ont la nationalité française, qu'il a noué des relations avec une ressortissante française et qu'il ne trouble pas l'ordre public ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des conditions du séjour en France de M. X, qui est célibataire sans enfant et qui ne démontre ni qu'il n'a plus d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 24 ans, ni que l'état de santé de sa soeur et de son beau-frère nécessite sa présence pour leur apporter aide et assistance, le préfet des Alpes-Maritimes, en décidant sa reconduite à la frontière, ait porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise ; qu'il n'a, ainsi, pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes motifs, l'arrêté attaqué n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 6 mai 2004 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a ordonné sa reconduite à la frontière ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que la présente décision, qui rejette la requête de M. X, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. X ne peuvent être que rejetées ;

Sur les conclusions de M. X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. X demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. X est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Kamel X, au préfet des Alpes-Maritimes et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : 3eme et 8eme sous-sections reunies
Numéro d'arrêt : 269125
Date de la décision : 29/06/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ÉTRANGERS - RECONDUITE À LA FRONTIÈRE - LÉGALITÉ INTERNE - ARRÊTÉ FONDÉ À TORT SUR LE 1° DU I DE L'ARTICLE 22 DE L'ORDONNANCE DU 2 NOVEMBRE 1945 - POSSIBILITÉ POUR LE JUGE DE L'EXCÈS DE POUVOIR D'Y SUBSTITUER LE 3° DU I DU MÊME ARTICLE - CONDITIONS [RJ1].

335-03-02 Une mesure de reconduite à la frontière d'un étranger fondée à tort sur le 1° du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 n'est pas illégale dès lors, d'une part, que les conditions permettant au préfet de prendre la même mesure sur le fondement du 3° du I de cet article sont réunies, et d'autre part, qu'une telle substitution de base légale n'a pas pour effet de priver l'intéressé des garanties de procédures que lui offre la loi.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - SUBSTITUTION DE BASE LÉGALE - CONDITIONS - A) RESPECT DES GARANTIES DE PROCÉDURE ATTACHÉES À LA NOUVELLE BASE - B) SUBSTITUTION OPÉRÉE D'OFFICE - OBLIGATION DE METTRE LES PARTIES À MÊME DE PRÉSENTER LEURS OBSERVATIONS [RJ2].

54-07-01-05 a) Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.,,b) Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.


Références :

[RJ1]

Cf. 27 juillet 2001, Préfet de police c/ M. Kamdoum, T. p. 993.,,

[RJ2]

Cf. 26 février 2001, Mme Fadiadji, T. p. 993 ;

Section, 3 décembre 2003, Préfet de la Seine-Maritime c/ M. El Bahi, p. 479 ;

Comp., s'agissant du contentieux fiscal, Section, 21 mars 1975, Min. c/ Sieur X, p. 217 ;

Section, 1er octobre 1999, Association pour l'unification du christianisme mondial, p. 286.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2005, n° 269125
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Hagelsteen
Rapporteur public ?: M. Séners

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2005:269125.20050629
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