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29/09/2000 | FRANCE | N°198325

France | France, Conseil d'État, 8 / 3 ssr, 29 septembre 2000, 198325


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 29 juillet et 23 novembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Pierre-Yves X... demeurant ... ; M. LE DIBERDER demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 28 mai 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur recours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a annulé le jugement du 8 février 1996 le déchargeant des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au t

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Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 29 juillet et 23 novembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Pierre-Yves X... demeurant ... ; M. LE DIBERDER demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 28 mai 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur recours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a annulé le jugement du 8 février 1996 le déchargeant des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre des années 1984 à 1986 et des revenus fonciers au titre des années 1985 et 1986 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 18 090 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Sauron, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Pierre-Yves X...,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours des années 1984 à 1986, M. LE DIBERDER, président directeur général de la société anonyme Industrie de récupération métallurgique (Siderem), a occupé conjointement avec une autre personne un appartement sis ... (16ème), que la société avait pris à bail ; que cette dernière, qui supportait l'intégralité des charges locatives correspondantes, déclarait un avantage en nature au profit de son président évalué à 26 000 F par an ; qu'à l'occasion de la vérification de comptabilité de la société anonyme Siderem l'administration fiscale a estimé à 75 % des dépenses locatives supportées par la société la valeur de l'avantage en nature résultant de la mise à disposition sans contrepartie de l'appartement dont s'agit et à 50 % la part de cet avantage bénéficiant à chacun des occupants ; qu'elle a imposé M. LE DIBERDER sur des revenus considérés comme lui ayant été distribués par la SA Siderem à concurrence de la différence entre sa part de l'avantage en nature ainsi évalué et le montant de 26 000 F déclaré par la société, soit à hauteur de 56 611 F en 1984, 62 937 F en 1985 et 74 086 F en 1980 ; que, par ailleurs, dans le cadre du contrôle sur pièces de son dossier, l'intéressé s'est vu notifier, s'agissant des années 1985 et 1986 respectivement les sommes de 3 960 F et 3 946 F au titre des revenus fonciers lui revenant dans la société civile immobilière "Les Chênes" ; que M. LE DIBERDER se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris faisant droit au recours du ministre contre le jugement du tribunal administratif de Paris, a remis à sa charge les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il avait été assujetti ;
Considérant qu'aux termes de l'article 54 bis du code général des impôts : "Les contribuables visés à l'article 53 A ... doivent obligatoirement inscrire en comptabilité, sous une forme explicite, la nature et la valeur des avantages en nature accordés à leur personnel" ; qu'aux termes de l'article 111 du même code : "Sont notamment considérés comme revenus distribués ... c) les rémunérations et avantages occultes" ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une société, qui comptabilise les avantages en nature accordés à son personnel de façon explicite, respecte les dispositions précitées, alors même qu'ils auraient été inscrits pour une valeur inférieure à leur valeur réelle ; que, par suite, la cour n'a pu, sans commettre d'erreur de droit, juger que l'avantage en nature consenti à M. LE DIBERDER présentait du seul fait de sa sous-évaluation, un caractère occulte justifiant l'imposition de la partie sous-évaluée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; que l'arrêt attaqué doit en conséquence être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. LE DIBERDER au recours du ministre devant la cour administrative d'appel :

Considérant que le recours du ministre a été enregistré au greffe de la cour administrative d'appel dans le délai d'appel de deux mois qui commence à courir à compter de l'expiration du délai de deux mois imparti au service local pour lui transmettre le jugement attaqué et le dossier de l'affaire, en vertu des dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales ; que si M. LE DIBERDER soutient que les dispositions de cet article seraient contraires aux stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ne saurait invoquer utilement lesdites stipulations dans un litige relatif à la contestation de la détermination de l'assiette d'un impôt direct, dès lors qu'elles ne visent que les procès portant sur des droits ou obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale ; que les dispositions de l'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales tiennent compte des nécessités particulières du fonctionnement de l'administration fiscale qui la placent dans une situation différente de celle des autres justiciables, et justifient le délai complémentaire de deux mois accordé au ministre, délai dont les contribuables peuvent d'ailleurs, en provoquant eux-mêmes la signification du jugement au ministre, réduire la durée ; que lesdites dispositions ne confèrent pas au ministre, contrairement à ce que soutient à titre subsidiaire M. LE DIBERDER, un privilège qui serait de nature à porter atteinte au principe d'égalité ;
Sur le bien-fondé de l'appel :
En ce qui concerne les cotisations afférentes aux revenus fonciers :
Considérant que, par réclamation au directeur présentée le 28 avril 1992, M. LE DIBERDER n'a contesté les impositions litigieuses qu'à hauteur des cotisations afférentes aux revenus de capitaux mobiliers ; que, cependant, dans ses deux demandes enregistrées au greffe du tribunal administratif de Paris les 21 novembre 1992 et 9 décembre 1992, le requérant a, pour les années 1985 et 1986, présenté des conclusions en décharge excédant le quantum qui était celui de sa réclamation préalable en étendant sa contestation aux droits rappelés afférents aux revenus fonciers ; qu'il suit de là que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a fait droit à des conclusions irrecevables ; que le jugement attaqué doit, dans cette mesure, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu, pour le juge d'appel, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande relatives aux rehaussements d'imposition afférents aux revenus fonciers ;
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les conclusions de la demande de première instance tendant à la décharge des impositions supplémentaires afférentes aux revenus fonciers sont irrecevables dans la mesure où le montant de la décharge demandée au juge de l'impôt excède le montant du dégrèvement sollicité dans la réclamation préalable adressée au directeur ;
En ce qui concerne les cotisations afférentes aux revenus mobiliers :

Considérant que l'administration a fait état de ce que l'appartement mis gratuitement par la société Siderem à la disposition de son président constituait le domicile de l'intéressé, lequel n'avait pas d'autre habitation à Paris ; que le ministre est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé sur ce que l'administration n'apportait pas la preuve lui incombant en raison de la procédure d'imposition suivie, de l'utilisation par l'intéressé pour ses besoins privés de l'appartement dont s'agit pour faire droit aux conclusions en décharge présentées sur ce point pour M. LE DIBERDER ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble dulitige par l'effet dévolutif de l'appel de statuer sur les autres moyens soulevés par M. LE DIBERDER devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction qu'en estimant que l'utilisation de l'appartement par M. LE DIBERDER était privative à hauteur de 75 % et en en déduisant que la valeur de l'avantage représenté par la mise à disposition gratuite de cet appartement devait être estimée à 75 % du total des charges supportées par la société pour la location de cet appartement, enfin que M. LE DIBERDER, qui partageait cet appartement avec une autre personne, bénéficiait de la moitié de cet avantage, l'administration a fait une exacte appréciation de la valeur de l'avantage en nature reçu par M. LE DIBERDER au cours de chacune des années d'imposition ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que si la société avait déclaré accorder à M. LE DIBERDER un avantage en nature d'une valeur de 26 000 F elle ne le comptabilisait pas explicitement en tant que tel, contrairement aux exigences découlant des dispositions de l'article 54 bis du code général des impôts, pas plus qu'elle ne l'avait mentionné sur un relevé nominatif qu'elle aurait fourni à l'appui des déclarations de ses résultats en application de l'article 54 quater du même code ; que, par suite, du fait de son absence de déclaration explicite, cet avantage présentait un caractère occulte au sens des dispositions du c) de l'article 111 du code général des impôts, sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'avantage dont a bénéficié M. LE DIBERDER a eu pour effet de porter la rémunération globale de l'intéressé à un niveau excessif ; que c'est ainsi à bon droit que l'administration a imposé M. LE DIBERDER dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur la fraction non déclarée de l'avantage en nature dont il a bénéficié au cours des années d'imposition en litige ;
Considérant enfin, que si M. LE DIBERDER, à l'appui de ses conclusions en décharge se prévaut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de ce que l'administration n'aurait pas mis en recouvrement des rappels de même nature au titre des années 1977 à 1980, une telle circonstance, à la supposer établie, ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration sur la situation de fait du contribuable au regard d'un texte fiscal ; que les conditions d'application de l'article L. 80 B n'étant pas réunies, le moyen doit être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a accordé à M. LE DIBERDER la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1984 à 1986 du fait de ses revenus mobiliers ; qu'il y a lieu, en conséquence, de remettre ces cotisations à la charge de l'intéressé ;
Sur les conclusions relatives au remboursement des frais irrépétibles :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à M. LE DIBERDER la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 28 mai 1998 et le jugement du 8 février 1996 du tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles M. LE DIBERDER a été assujetti dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au titre des années 1984, 1985 et 1986 et dans la catégorie des revenus fonciers au titre des années 1985 et 1986 sont remises à sa charge.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. LE DIBERDER devant le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre-Yves LE DIBERDER et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : 8 / 3 ssr
Numéro d'arrêt : 198325
Date de la décision : 29/09/2000
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux fiscal

Analyses

- RJ1 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - BENEFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX - DETERMINATION DU BENEFICE NET - AVANTAGES EN NATURE ALLOUES AU PERSONNEL - CAAvantage en nature consenti à un dirigeant - déclaré de façon explicite en comptabilité mais pour une valeur inférieure à sa valeur réelle - Avantage occulte non déductible au sens des articles 54 bis et 111-c du Code général des impôts - Absence (1).

19-04-02-01-04-06, 19-04-02-03-01-01 Aux termes de l'article 54 bis du code général des impôts : "Les contribuables visés à l'article 53 A ... doivent obligatoirement inscrire en comptabilité, sous une forme explicite, la nature et la valeur des avantages en nature accordés à leur personnel". L'article 111 du même code dispose que "sont notamment considérés comme revenus distribués : ... c) les rémunérations et avantages occultes". Il résulte de ces dispositions qu'une société qui comptabilise les avantages en nature accordés à son personnel de façon explicite respecte les dispositions précitées, alors même qu'ils auraient été inscrits pour une valeur inférieure à leur valeur réelle. Commet une erreur de droit la cour qui juge que l'avantage en nature consenti à un dirigeant présente, du seul fait de sa sous-évaluation, un caractère occulte justifiant l'imposition de la partie sous-évaluée dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

- RJ1 CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPOTS SUR LES REVENUS ET BENEFICES - REVENUS ET BENEFICES IMPOSABLES - REGLES PARTICULIERES - REVENUS DES CAPITAUX MOBILIERS ET ASSIMILABLES - REVENUS DISTRIBUES - NOTION DE REVENUS DISTRIBUES - CAAvantage occulte (article 111-c du C - G - I - ) - Avantage en nature consenti à un dirigeant - déclaré de façon explicite en comptabilité mais pour une valeur inférieure à sa valeur réelle - Absence (1).


Références :

CGI 54 bis, 111, 54 quater
CGI Livre des procédures fiscales R200-18, L80 B
Loi 87-1127 du 31 décembre 1987 art. 11
Loi 91-647 du 10 juillet 1991 art. 75

1.

Cf. sol. contr. 1991-03-22, SA Sapo, T. p. 865 ;

1996-02-02, Ministre c/ Ecalle, RJF 3/96 n° 302


Publications
Proposition de citation : CE, 29 sep. 2000, n° 198325
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Genevois
Rapporteur ?: M. Sauron
Rapporteur public ?: M. Arrighi de Casanova

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2000:198325.20000929
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